Tribune
En voulant offrir une meilleure protection des données, le RGPD pourrait surtout servir les grands acteurs mondiaux qui fournissent des services gratuits aux consommateurs, GAFA en tête.

A qui profite vraiment le RGPD, le Règlement général sur la protection des données, qui entrera en vigueur le 25 mai prochain? Aux GAFA, en particulier à Google et Facebook. C’est un paradoxe quand on connaît la genèse du RGPD. L’Union européenne tente depuis de nombreuses années, et par tous les moyens, de mettre en oeuvre des règlementations qui ont pour objectif affiché une meilleure protection du consommateur. En réalité, le principal moteur qui pousse l’UE à essayer de réguler l’usage de données personnelles est l’immense business réalisé sur ces dernières et qui, de surcroit, échappe en grande partie à la fiscalité des principaux pays européens.

On pourrait se réjouir que l’UE prenne à bras le corps ce sujet, immensément stratégique aujourd’hui et encore plus demain. Cela permet à l'Union européenne de regagner un peu de légitimité auprès des citoyens. Les tensions géopolitiques à travers le monde, la tendance au protectionnisme impliquent d’être extrêmement prudents quant à l'exploitation des données personnelles de centaines de millions d’Européens.

Avocats et juristes surfent sur la vague

L’initiative de l’UE est très louable, même si l'on est en droit de se demander à qui le RGPD va profiter. A court terme, une galaxie de cabinets d’avocats et de juristes, de conseil ou encore de SSII surfent sur la vague. Des offres en tout genre viennent alimenter la crainte sur les risques du non-respect de la nouvelle réglementation avec un argument ROIste imparable: une amende de 4% du chiffre d’affaires mondial. Ces acteurs profiteront probablement encore deux ou trois ans de cette opportunité business, avant que les choses ne reviennent petit à petit à la normal. Un peu comme cela a pu être le cas lors du passage à l’Euro ou à l’an 2000.

Les directeurs des services d'information vont probablement aussi gagner en pouvoir tant leur responsabilité quant à la mise en oeuvre des principes du RGPD sera considérée comme stratégique.

Mais les plus gros gagnants, à mon sens, sont les grands acteurs mondiaux fournissant des services gratuits qui sont déjà installés dans le quotidien des consommateurs. J’ai nommé, entre autres, Google et Facebook, ceux-là même qui ont inventé un business modèle unilatéral à leur profit. L’un des principes structurant du RGPD est le renforcement des règles d’obtention du consentement. Il devra impérativement être explicite et éclairé. Or Facebook ou Google auront beaucoup moins de mal à obtenir ces consentements que par exemple la Fnac ou plus généralement les sites ou acteurs qui ont des produits à vendre.

Un service en échange

Dans l’inconscient du consommateur, l’acceptation de la nécessité de devoir donner son consentement à la collecte et au traitement de ses données sera plus fort sachant qu’il bénéficiera en échange d’un service. En caricaturant, je vois mal un site e-commerce exiger une multitude de consentements en échange de l’utilisation de son site. Avant tout, il a besoin de vendre ses produits. La collecte et le traitement de données sont certes importants mais secondaires par rapport à son besoin premier. Il ne fera donc rien qui puisse freiner le parcours d’achat, quitte à renoncer, au moins partiellement, à l’exploitation des cookies.

Je n’évoque pas ici tout l’écosystème des sites d’information et de contenus gratuits qui ne nécessitent pas de s’y loguer pour être utilisés. Ils devront rivaliser d’imagination pour obtenir les consentements explicites indispensables à la pérennité de leur modèle économique, basé essentiellement sur la monétisation de leur audience.

Un consommateur plus éclairé

Pour Google ou Facebook ce sera plus facile. A l’échelle individuelle, les consommateurs sont moins réfractaires à communiquer leurs données personnelles qu’on ne le croit, surtout s’ils pensent que cela va, en échange, leur donner accès à des services. Alors oui, le RGPD va probablement rendre le consommateur plus éclairé sur la façon dont ses données personnelles seront exploitées. Cela le responsabilisera probablement davantage. Il aura plus conscience de la valeur de ses données mais sera toujours prêt à les partager explicitement, tant qu’un service explicitement gratuit sera proposé en contrepartie.

Il s’agira en définitive d’un deal gagnant-gagnant, où finalement rien n’est gratuit. Alors oui, le RGPD risque de renforcer l’hégémonie des GAFA sur le marché publicitaire. Pour autant, sommes-nous dans un scénario de l’arroseur arrosé? Peut-être qu’un jour le consommateur pourra exiger une contrepartie financière de Google pour l’exploitation de ses données. Ce jour-là alors, l’objectif premier de l’Union européenne sera atteint: le retour de la valeur dans les assiettes fiscales du pays consommateur.

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