Il n’y a aucun doute à avoir sur l’importance que prend le sujet de l’intelligence artificielle (IA) dans le «zeitgeist» (l'esprit du temps), l’inconscient et le conscient collectif, pour preuve l’évolution de la thématique dans les cinq dernières années, selon Google Trends: elle a triplé et ne semble pas prête de plafonner. L’intelligence artificielle va profondément transformer le paysage du marketing, en particulier opérationnel. Elle le fait même déjà.
Le ciblage pourra être meilleur, les messages plus pertinents, le CRM plus efficace. Un certain nombre de tâches pourront être automatisées de façon… intelligente, et les humains pourront se concentrer sur les opérations à forte valeur ajoutée (pour encore quelques temps, tout du moins, avant que les machines ne prennent véritablement le contrôle, mais c’est là l’objet d’une autre tribune: #revenuuniversel ou #robotarmageddon?).
En résumé, l’impact de l’IA est assez largement couvert et le paysage commence à progressivement se dessiner. Il y a toutefois un point sur lequel peu s’attardent jusqu’à présent et qui me semble assez fondamental: le fait que l’IA va entrer dans le quotidien des consommateurs, à quel point elle sera présente dans notre vie quotidienne et en quoi elle va bouleverser notre prise de décision.
Implication pour les marques
Les Alexa, Siri, Cortana et autres Watson de ce monde ont vocation à nous accompagner au quotidien, toujours prêts à se mobiliser, à nous assister dans nos tâches quotidiennes (y compris les plus personnelles) et à répondre à nos questions les plus pressantes. Cela a bien évidemment un impact colossal sur les données partagées et la navigation sur les internets (et, ça, les Gafa y travaillent activement), mais, par ailleurs, cela va révolutionner les décisions que nous prendrons, et par conséquent la forme que pourra prendre le parcours d’achat à l’avenir. La phase de considération s’en verra dangereusement réduite à la portion congrue, voire complètement supprimée car sous-traitée à une machine qui nous connait et sait ce dont nous avons besoin.
A date, peu de choses ont été écrites sur le sujet. Google s’en approche avec son étude du ZMOT («Zero Moment Of Truth»), mais il nous est aujourd’hui presque impossible de prévoir comment les décisions assistées par machine vont évoluer, et comment les prendre en considération dans nos prédictions ou nos modélisations marketing.
Tout cela aura une implication très concrète pour les marques: il deviendra nécessaire de se vendre auprès des IA comme il est aujourd’hui nécessaire de le faire auprès des humains. Et dans cette nouvelle relation avec les IA, les marques devront considérer deux grands critères:
1. Le partenariat. Ne nous leurrons pas, les moteurs de recommandations ne sont pas toujours aussi personnalisés que nous voulons bien le croire, et il est fort probable que les IA de nos assistants personnels soient soumises à un certain nombre de contraintes commerciales. Mais il y a aussi fort à parier que ces modes de partenariats deviendront plus ciblés, plus sophistiqués, et il nous faudra réfléchir à des mécanismes plus complexes et satisfaisants pour entrer dans leurs catalogues. Pour preuve, le fait qu’aujourd’hui commander des piles par le biais d’Amazon Echo se réduit à choisir entre les piles Amazon ou les piles… Amazon (les autres? «Je ne connais pas», nous dit Alexa).
2.L’iconicité. Dans un monde où la phase de considération est sous-traitée, et annihilée, la machine, comme l’humain, se tourne vers l’évidence, et la référence de la catégorie devient de facto le choix. Ça n’est d’ailleurs pas un hasard si, aujourd’hui, les «dash buttons» que vend Amazon sont associés non pas à un produit, mais à une marque bien particulière. Il s’agit là finalement de la première étape, manuelle et humaine, de la commande sous-traitée à la machine. Etre la marque favorite, référente pour un consommateur donné sera probablement le raccourci vers la transformation, et jouissant d’un «top of mind» supérieur, la marque iconique sera mieux armée pour devenir le choix de façon dramatiquement plus forte qu’elle ne l’est aujourd’hui déjà.
Cela semble somme toute assez classique. Une simple adaptation pour nous marketers, n’est-ce pas?
De l'outil à la prescription
Mais il y a un hic: parmi les composantes de design (visuelles, sensorielles…) à notre disposition, aucune n’est vraiment amenée à être vraiment maîtrisée (et surtout comprise) par l’IA dans les années qui viennent. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la reconnaissance de formes physiques. Savoir si celles-ci sont plaisantes ou intrigantes est une toute autre affaire. Il en va de même pour la texture, l’odeur, la couleur, le son, et à peu près tout ce qui peut nous séduire et nous convaincre d’effectuer un achat.
L’arsenal à la disposition des «brand builders» s’en trouve un peu vide, non? Par quel message convaincre une IA? Quelle forme d’humour adopter? Quelles émotions peut-on véhiculer ? Est-ce seulement engageant pour elle?
Et, tout à coup, voilà qu’un paysage qui nous semblait à peu près familier est totalement bouleversé. L’IA ne sera pas juste un outil pratique pour les marques, elle devra devenir une audience bien précise à convaincre et à séduire de façon très spécifique (et complémentaire à l’humain), car si l’on intègre dans la balance les notions de sentience et de personnalité dont nous parlions il y a peu, elle ne sera pas juste le miroir des consommateurs humains: elle sera le prescripteur, la sphère d’influence et le porte-monnaie, la clé d’entrée dans les foyers.