Yvick Letexier, avec plus de 5 millions d'abonnés, vous êtes un youtubeur à succès. Quel est votre parcours ?
Yvick Letexier : J’ai 25 ans et je suis vidéaste depuis onze ans. J’ai débuté en tant qu’humoriste, en solo et en groupe, avec Studio Bagel ou Le Woop, collectif que nous avons créé avec d’autres youtubeurs. J’ai aussi sorti mon premier album de rap, Double V, sacré disque de platine en 2017. Mais si vous avez plus de 30 ans, vous pouvez tout de même m’avoir vu en tant que comédien dans Place publique d’Agnès Jaoui ou Camping 3 de Fabien Onteniente.
Alexandra, vous représentez Yvick depuis sept ans. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Alexandra Monaury : J’étais auparavant directrice artistique chez EMI. J’ai quitté la musique pour devenir agente de jeunes artistes. Mon fils avait 10 ans à l’époque, je surveillais sa consommation internet, et j’ai découvert Cyprien, Norman ou Yvick, pour qui j’ai eu un vrai coup de cœur. Je l’ai contacté, puis j’ai rencontré ses parents pour qu’il s’installe à Paris. On s’était donné un an avec un possible retour en arrière, mais je leur avais promis que leur fils ferait du cinéma…
Y. L. : Pour mes parents, c’était l’école avant tout. Rencontrer Alexandra a été un déclic.
Vous vous êtes donc reconvertie en agente pour youtubeurs ?
A. M. : Je ne me suis jamais dit que je signais un youtubeur. Je signais un humoriste, un vidéaste, un comédien, un auteur… Bref, un artiste. Le fondement doit rester l’artistique. J’ai déjà refusé d’accompagner des instagrameurs pour cette raison.
Comment fonctionne ce métier ?
A. M. : Je l’assiste dans sa création, je l’aide à concrétiser ses envies artistiques, je défends ses intérêts, quel que soit le domaine. Je suis très classiquement rémunérée au pourcentage, mais nous pouvons être associés sur certains projets. J’ai d’ailleurs choisi aujourd’hui de représenter seulement Mister V pour être impliquée à 100 % et construire de nouveaux projets avec lui.
Yvick, comment devient-on youtubeur quand ça n’existe pas encore ?
Y. L. : J’ai toujours eu un penchant pour l’audiovisuel et la réalisation. À 7 ans, je me filmais avec le caméscope de mon père et à 10 ans je faisais du montage. À 14 ans, j’ai vu des gens se mettre en scène dans leur chambre aux États Unis, et j’ai voulu faire pareil pour amuser les amis. À partir de là, tout a été très vite sans que je m’en rende vraiment compte.
Vous êtes donc devenu un influenceur à part entière.
Y. L. : J’ai beaucoup de mal à accepter ce terme. Qu’est-ce qu’il signifie ? Que tu te lèves le matin pour influencer ? C’est absurde. L’influence n’est qu’une conséquence, la légitimité doit venir d’ailleurs.
A. M. : Un influenceur n’est pas forcément un artiste. Des personnes qui font des opérations en filmant ce qu’ils mangent, ce qu’ils vivent, ce qu’ils sont, ça ressemble plutôt à une téléréalité du net.
Yvick, reconnaissez-vous néanmoins avoir un certain poids auprès de votre communauté ?
Y. L. : La barrière de l’écran et la virtualité des chiffres m’empêchent parfois de le réaliser. Quand je vois les gens en vrai, je le comprends mieux, mais ça m’étonne encore.
Comme lors de votre mobilisation sur la Love Army, action d’aide aux Rohingyas initiée par le youtubeur Jérôme Jarre ?
Y. L. : C’était fou de voir qu’en montrant ce qui se passait sur place avec mon téléphone, j’ai participé à ce don global de 2 millions d’euros. Là, je veux bien être influenceur !
Les réseaux sociaux ont-ils créé une nouvelle génération d’artistes plus touche-à-tout ?
Y. L. : Peut-être. C’est une approche différente de la création. Pour un youtubeur, tout se passe sans casting ni école : souvent il joue, monte, réalise, fait sa musique, chante, habille ses vidéos… Ça stimule énormément et ça fait naître des envies. C’est assez magique.
Que représente en termes de travail une vidéo comme « Rap versus réalité 2 », l’une de vos dernières productions qui explose les compteurs ?
Y. L. : Elle a nécessité un mois de réflexion et d’écriture, puis quinze jours de préparation. Il y a ensuite eu trois jours de tournage et deux semaines de montage. J’ai besoin de temps, car je fais tout moi-même, y compris l’enregistrement de mes chansons. Cet exemple est un peu spécial, car il a fait 4,5 millions de vues dès le premier jour. Au bout de onze ans, je suis content.
Dans les relations entre les marques et les influenceurs, existe-t-il des tabous ?
Y. L. : Pas du tout. En signant ma première collaboration à 17 ans, j’ai quasiment toujours vécu avec. Les vues ont tout de suite généré un intérêt pour les créateurs.
A. M. : Nous avons appris en même temps que le marché se créait. Le sponsoring permet aux jeunes créateurs de se lancer, et c’est avec lui qu’ils grandissent. Les marques ont par exemple été là pour accompagner le développement du Woop, en finançant le projet artistique de sept personnes.
Sont-elles en quelque sorte les mécènes de ce nouvel écosystème créatif ?
A. M. : Pour ceux qui démarrent, j’en suis convaincue. Mais ça n’autorise pas tout. L’adéquation de la personnalité et de la marque reste fondamentale. Rien ne doit être gratuit, l’influenceur devant apporter quelque chose et inversement. Pour Yvick par exemple, si nous examinons toutes les propositions, nous n’acceptons que celles qui lui offrent une marge d’expression réelle. C’est ce qu’ont su nous offrir des marques comme Chevignon, HP, Asics ou les Produits laitiers par exemple.
Pourquoi parle-t-on toujours autant d’argent autour des youtubeurs ?
A. M. : Parce qu’il existe encore beaucoup d’incompréhension. Le cliché de la vidéo dans la chambre continue d’étonner, et ce milieu manque de normes. Chaque projet nécessite une approche différente, sans grille standard comme pour une chaîne de télévision. Cela alimente les rumeurs.
Y. L. : Du jour au lendemain, avec une webcam, tu peux faire les mêmes audiences que certaines émissions qui emploient 150 personnes. Ça fait réagir.
Cette obsession financière en agace plus d’un…
Y. L. : Parler d’argent est normal. Ce qui ne l’est pas, c’est de ne parler que de ça, au détriment de la dimension artistique.
A. M. : D’autant que les règles du jeu ont changé. Aujourd’hui, face aux nouveaux principes de monétisation, un jeune créateur ne peut plus vivre de ses seules vidéos sur YouTube. L’offre est plus dense, la concurrence plus rude.
D’où l’importance d’intégrer les marques ?
A. M. : Oui, mais intelligemment, quitte à refuser des projets qui ne correspondent pas à votre ligne éditoriale. Nous travaillons même sur un nouvel axe intéressant que sont les collaborations à long terme, en discutant par exemple en ce moment d’une mission de dix-huit mois.
Y. L. : Une collaboration doit représenter quelque chose qui puisse enrichir mon parcours et que j’aurais aimé faire de toute façon. Créer ma première paire de sneakers à 25 ans, j’en suis fier. Prendre en main la direction artistique d’une copy télé pour les Produits laitiers, c’est tout aussi génial. Par contre, mettre en avant un produit sur un post Instagram, personne n’a besoin de moi pour ça, sauf à y insuffler de l’humour.
À vous écouter, ces marques feraient donc partie intégrante du curriculum vitæ d’un youtubeur ?
Y. L. : Il n’est pas question de prêter son image, mais de marquer les esprits. C’est plus engageant et cela rentre donc dans notre champ d’action.
A. M. : Une bonne collaboration peut apporter beaucoup, une mauvaise peut profondément nuire.
Avez-vous des conseils à prodiguer aux marques ?
Y. L. : Laissez-nous faire ! Nous savons comment parler à nos communautés. Il faut capitaliser sur le créateur pour raconter une histoire. Nous pouvons faire tellement mieux que citer un produit !
Existe-t-il des dérives ?
Y. L. : Notre génération avait quitté la télé parce qu’elle était trop lisse, trop commerciale. Je commence malheureusement à retrouver cela sur internet. Une économie s’est créée, ses contraintes avec. L’argent dicte peut être trop ses lois en matière de création : la durée des vidéos par rapport au nombre de publicités, la liberté éditoriale par rapport à la monétisation, la fréquence de production pour faire la course aux clics…
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes youtubeurs ?
A. M. : Ne pas accepter toutes les propositions commerciales pour préserver leur image. Pour Yvick, nous avons refusé de très belles offres parce qu’elles pouvaient le connoter. Il faut avoir cette force.
Quels sont vos projets ?
Y. L. : La sortie d’un nouvel album de rap à la fin de l’année et la concrétisation d’un long métrage que nous écrivons depuis un an avec mes coauteurs. ◊