C’est dans une vidéo avec Mathias Döpfner, le patron du groupe allemand Axel Springer, que Mark Zuckerberg a révélé le 1er avril qu’il travaillait sur un espace d’actualité mettant en avant « l'info de haute qualité et digne de confiance ». Une façon de montrer que le réseau social n’ignore pas que son fil d’actualité peut être le lieu d’expression de fake news qui sont difficiles à débusquer par la seule force des algorithmes. C’est la raison pour laquelle il a précisé que cet espace, qui intéresserait 10 à 15 % des utilisateurs de Facebook, sera sélectif sur les informations publiées et s’adjoindra le concours de grands groupes de médias.
D’ores et déjà, la plateforme travaille en concertation avec l’AFP pour chasser les informations fallacieuses en Europe. Et elle a promis fin mars de se doter de nouveaux outils pour « rendre la publicité politique sur Facebook plus transparente », afin d’éviter l'ingérence en période électorale.
Une infox née au Malawi
Mais les médias eux-mêmes n’entendent pas tout attendre des géants du numérique. Depuis plusieurs années, certains concourent à déminer les intox. C’est le cas de Checknews (Libé), Les Décodeurs (Le Monde) ou, plus récemment, d'AFP Factuel qui fait travailler 30 journalistes sur 17 pays et a publié 1300 articles depuis novembre 2017. Un dispositif en lien avec les 1500 journalistes de l’agence qui permet de mesurer, par exemple, qu’une fausse info sur la présidente croate vendant l’avion présidentiel et baissant son salaire a été dupliquée d’une infox née au Malawi et en langue arabe. À France Télévisions, Delphine Ernotte, la présidente, ne cachait pas sa crainte, en début d’année, d’être confrontée pendant les élections à des fausses informations, voire des manipulations d’États. C’est pourquoi L’œil du 20 heures, créé en 2014, s’est enrichi depuis le 4 février de Faux et usage de faux dans le 20 heures de France 2 (et sur Franceinfo.fr).
Le lendemain du débat, le 4 avril, avec les têtes de liste aux élections européennes, c’est cette pastille qui a permis de démontrer que les 18 millions de migrants en Europe en cinq ans, cités par Nicolas Dupont-Aignan, intégrait en réalité les expatriés à l’intérieur de l’UE. Ou que Ian Brossat, pour le PC, exagérait le nombre de lobbyistes par député européen (plutôt 16 que « 40 »). Le week-end, un magazine de 20 minutes, Vrai ou fake, est proposé par Adrien Rohard sur Franceinfo « pour y voir plus clair dans la jungle des intox ». France Télévisions entend aller plus loin dans le journal télévisé [JT] de Laurent Delahousse avec une série de reportages, L’Europe dans tous ses États, du 22 mars au 17 mai, qui cherche à démonter des idées reçues et parfois des manipulations sur l’UE. Exemples : « L’Europe, eldorado pour les migrants » ou « la PAC, cauchemar des agriculteurs ».
Une nouvelle rubrique va aussi apparaître dans le 20 heures en semaine, « Europe ou pas », pour déterminer si c’est, ou non, « la faute à l’Europe ». « Des sujets sur lesquels on peut s’écharper dans certains déjeuners de familles », sourit Eléonore Gay, directrice adjointe de la rédaction du groupe qui rappelle que la consultation à laquelle ont répondu 130 000 personnes sur la « télé de demain » montrait que près de la moitié des répondants – et notamment les plus de 60 ans - estimaient que c’était au service public de venir les aider à décrypter les infox. 130 journalistes ont suivi des ateliers de sensibilisation au fact checking via, par exemple, la recherche d’images inversés. Des vidéos, réalisées à partir des JT, seront par ailleurs retravaillés pour les réseaux sociaux.
L'heure des deep fakes
TF1, de son côté, est en train de créer une cellule de fact checking et de datajournalisme au sein de sa rédaction. « On expérimente un outil de détection d’images avec l’AFP », a précisé le 19 mars Thierry Thuillier, directeur de l’information de TF1, qui a créé en février « Factuel » dans son 20 heures pour décrypter le parcours d’une rumeur ou d’une fausse info et en démonter les mécanismes. À l’heure de deep fakes, qui font dire à un homme politique ce qu’il n’a pas dit, la certification des vidéos est une nécessité. « Les journalistes ne produisent plus de façon monopolistique des images, tout le monde le fait et certains sont mal intentionnés. »
France 24, qui dispose de l’antériorité de ses 6000 « Observateurs », depuis 2007, s’attaque à travers Info ou intox à la désinformation en images en traquant les infox. L’appui de cette communauté de vérificateurs lui a permis de comprendre que la lutte contre les fausses nouvelles n’était pas que l’affaire des journalistes. Ou comme dit Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, « c’est un enjeu citoyen et pas seulement médiatique ». Si l’expertise journalistique est bien sûr requise, il s’agit donc d’alerter les jeunes aux dangers des infox et de partager les outils pour les débusquer. En mai, une websérie de six vidéos d’animation, l’Europe en vrai, permettra aussi de déconstruire les fausses rumeurs qui polluent la campagne, avec les journalistes d’Accents d’Europe, sur RFI (qui a lancé aussi en novembre Les dessous de l’infox, avec Sophie Malibeaux). Quant à Caroline de Camaret, avec Contre-faits, le samedi sur France 24, elle revient sur des interprétations erronées comme pour le pacte de Marrakech sur les migrations pilotées par l’ONU ou le traité d’Aix la Chapelle, censé livrer l’Alsace à l’Allemagne. « Les fournisseurs de fake news sont aussi des élus européens », constate-t-elle, en citant Bernard Monot pour Debout la France ou un député du Mouvement 5 étoiles.
« Confusionisme »
Cela ne signifie pas que des États comme la Russie sont inopérants. RT France a relayé fin mars l’affirmation d’un général russe selon lequel les services français et belge préparaient une provocation à l’arme chimique en Syrie pour l’attribuer à la Russie. « C’est plutôt du confusionisme », explique Tristan Mendès-France, enseignant au Celsa, pour qui « les infox ne peuvent pas faire l’élection mais nuisent à la qualité de la campagne ». Pour ce spécialiste du numérique, le travail des médias est « essentiel » avec cette limite : « de plus en plus de Français accèdent à l’information via des bulles sur les réseaux sociaux. Si je suis d’extrême droite, j’ai de peu de chance de voir passer un article du Monde. Les algorithmes clivent les points de vue. » Souvent, les fake news sont servies par des comptes anonymes et peuvent même venir d’officiels français comme l’a montré l’utilisation par Ismaël Emelien d’images de violence faussement imputées à un manifestant cet été, au plus fort de l’affaire Benalla.
Factcheckeu.info, le site de 19 médias européens
On y retrouve l’AFP, France 24 (Les Observateurs), Libé (Checknews) Le Monde (Les Décodeurs) ou 20 Minutes. Au total, ce sont 19 médias européens qui ont choisi de se coordonner depuis le 18 mars pour lutter contre les infox en pleine campagne électorale en Europe. Le principe : la vérification des faits et la lutte contre les hoax ou les théories du complot requièrent un appareil commun entre sites afin qu’une infox puisse être contrée rapidement grâce à une traduction d’un article de debuncking (démystification). « Il est très fréquent de voir une fausse info basculer d’un pays d’Europe à un autre », expliquait le 14 mars aux Assises du Journalisme, à Tours, Jules Darmanin, coordinateur éditorial de Factcheckeu.info.