Entretien
Elle a accompagné dans leur tempête médiatique Dominique Strauss-Kahn, Jérôme Cahuzac ou Ali Bongo. Elle a aidé Benoît Magimel, Benjamin Millepied ou Maïtena Biraben à traverser de mauvaises passes. Après avoir oeuvré pour le pôle Influence d’Euro RSCG C&O (aujourd’hui Havas Worldwide Paris), Anne Hommel a créé sa propre structure Majorelle, agence spécialisée en communication de crise.

Votre définition du scandale?

Anne Hommel. C’est toujours une bousculade. Ça peut aller du léger coup d'épaule au violent croc en jambe qui jette à terre. Et le regard que l’on porte sur l’intéressé ou sur la structure concernée est modifié dans son champ habituel par un événement extérieur: un acte préjudiciable, une menace, une accusation, une procédure judiciaire.

Quels sont les ingrédients nécessaires pour qu'un scandale éclate?

Déjà, le climat extérieur. Une même affaire peut être passée sous silence un lundi et tout éclabousser le mercredi. C’est lié à la temporalité du monde, à l’actualité extérieure et à la place pour une nouvelle information. Ensuite, il y a la notoriété du sujet ou de sa structure. Et enfin, des faits crédibles: une révélation, porté par des éléments qui semblent censés.

Jalousie, règlement de compte, quel est le détonateur?

Déjà, il y a les scandales fondés et réels qui finissent par émerger. Sinon, ce peut être mille choses. Comme l’arrogance d’un patron qui ne prend pas la peine d’avoir une attitude humaine ou chaleureuse avec ses salariés. Il crée un climat de suspicion et de détestation. Parfois, les scandales malveillants, sans poursuite pénale peuvent être plus rapide et plus sévères qu’une sanction judiciaire. Je pense aux dénonciations sans preuve qui ont aussi émergé dans le climat global, légitime et nécessaire je tiens à le rappeler, de dénonciation de harcèlement sexuel. 

Quel est le rôle des médias?

Il est fondamental. Ils peuvent mettre en valeur certains drames. Mais ils peuvent aussi, parfois, être utilisés à leurs dépens, en étant piégés par la course de vitesse imposée par les réseaux sociaux. Sans prendre le temps imparti à une enquête.

Est-ce la presse qui crée le scandale ou la curiosité du public?

 Les deux. Le public a une appétence boulimique pour la chute : Strauss-Kahn, Cahuzac ou Johnny et son héritage. Il se nourrit de l’observation microscopique d’anciens rois devenus trop humains.

Ces affaires interpellent chacun d'entre nous…

Oui et notre travail est de faire entendre aux intéressés que leur histoire est passée de la sphère privée à la sphère publique. Elle ne leur appartient plus. Encore maintenant, je ne peux pas arriver dans un endroit sans que quelqu’un m’explique sa certitude sur l’histoire de l'arrestation de Strauss-Kahn. Et il faut avoir la justesse intellectuelle, même quand on sait ce qu’il en a été, d’entendre que ce type de faits divers appartient désormais à la population.

Quelle est votre première recommandation?

Quand un individu est soumis à une crise, il veut crier sa vérité. Comme il est blessé, il aimerait laisser le moins de temps possible entre le moment où la crise a éclaté et où elle se referme. Parce que c’est une béance douloureuse pour lui. Mais la blessure narcissique n’est pas compatible avec une exigence de réparation immédiate.

Devez-vous aussi convaincre l’entourage ?

Oui, les époux, les enfants, la famille mais aussi l’entourage professionnel qui peut être une production, une société et qui a ses enjeux financiers. Si l’individu touché fait appel à nous comme «urgentistes», ils nous laissent souvent la main. Mais il faut convaincre l’entourage qu’en temps de crises, tous les réflexes habituels s’inversent. Tout ce qui est intuitif doit être banni, comme toute surréaction. Les codes du monde extérieur changent et chez Majorelle, nous parlons couramment la langue étrangère qui est celle du monde du scandale.

En cas de coup monté, délivrer une information qui a valeur de preuve ne permet pas de clore la crise?

Cette parole demande une juste temporalité. Ce n’est pas parce que l’on crie sa vérité qu’elle est entendue.

Même avec un argument qui clôt le débat?

Oui, parce qu’il peut être noyé au milieu d’autres arguments dans un souci d’équité. Et parfois sur de grosses affaires, le journaliste peut être tenté de feuilletonner.

Avez-vous un exemple d’attente que vous avez conseillée?

Pour Jérôme Cahuzac, on a attendu le temps de la réflexion commune et qu’il soit en état de prendre la parole sur BFMTV. Idem pour Dominique Strauss-Kahn. Dans ces deux cas, l'intervention télévisuelle ne sert pas à les dédouaner d’une faute grave mais à percer l’appétence médiatique légitime pour qu’ils puissent tous les deux commencer le long chemin de reconstruction dans la vie d’après. C'était une acception publique de la faute. Ils ont mis un pied à terre. Bien obligés. Ils ont alors pu ne plus être reclus et se consacrer à leur défense et à leurs proches.

Récemment le producteur Thomas Langmann, attaqué par son ex-femme pour harcèlement, a pris la parole pour expliquer avoir seulement voulu voir ses deux enfants…

Il a donné une interview à Paris Match et à Léa Salamé sur France 2. C’est l’exemple de quelqu’un qui a crié sa vérité pour se livrer justice lui-même. Mais pour quel résultat ? Il a été placé en garde à vue le surlendemain. Quand on est mis en examen, on ne joue pas avec les médias. C’est une erreur.

On ne sait que rarement qui vous accompagnez. Pouvez-vous nous citer un cas récent? 

Bernard Laporte m'a demandé de l'aider dans la collision entre l'affaire dite Altrad et la candidature de la France à la Coupe du monde de rugby de 2023. Nous avons fait en sorte que cette actualité forte ne soit pas trop impactée par cette affaire [de soupçons de favoritisme].

On caricature parfois votre travail de training avec des éléments de langage du type «les yeux dans les yeux» de Jérôme Cahuzac. Mythe ou réalité?

Mais personne ne lui a demandé de dire cela. Cette phrase lui appartient. Jérôme Cahuzac est très intelligent et sait manier le vocabulaire pour exprimer ses émotions. Ce mythe est largement surévalué. Soit ils ont une vie médiatique telle qu’ils n’ont absolument pas besoin d’être entraînés. Soit ils n’ont pas l’habitude de s’exprimer devant un micro ou une caméra, et il est normal de les préparer à ces exercices minutés.

Quelle a été l’affaire la plus dure à gérer?

 L’attentat de Charlie dont j'ai accompagné les survivants. À cause des morts, de l’immense tristesse. Un traumatisme inqualifiable et une pression médiatique mondiale. On m’a reproché d’avoir été très dure en isolant les victimes. Mon travail a été de les sécuriser médiatiquement pour qu’ils puissent avoir un peu d‘air pour se reconstruire.

Et l’affaire qui vous a tout appris ?

On apprend tous les jours et on s’adapte. Et on a lancé Majorelle Digital, gérée par Maxime Daumas. C’est une sonde que l’on a créée qui plonge dans les réseaux sociaux pour avoir une cartographie juste d’un sujet et du climat. Elle dévoile la situation et nous permet de délivrer une ordonnance sur la façon chirurgicale et juste d’agir.

Vous avez la réputation d'être une guerrière. Restez-vous en contact avec les gens que vous avez accompagnés, Maïtena Biraben,  Anne Sinclair, Dominique Strauss-Kahn ?

Oui, le plus souvent parce que ma pente naturelle est d’être une immense affective. Mais parfois, on ne s’entend pas et une fois notre conseil délivré, on s'en va.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.