«Digital Journalism. Société, pouvoirs et cultures numériques»: depuis un an, Owni (acronyme d'Objet Web non identifié, alias La Soucoupe pour les initiés) explore les voies du «journalisme numérique». Et se distingue par un graphisme décoiffant. Derniers faits d'armes récents, Owni a été choisi par Wikileaks pour concevoir l'interface technique de visualisation des fichiers secrets sur la guerre en Irak. Puis a décroché le 30 octobre un Prix de l'excellence du journalisme en ligne remis par l'ONA, association américaine de journalistes multimédias.
Au commencement était la société 22-Mars, créée en septembre 2008 pour assurer des prestations de conseil, création et formation autour des médias sociaux. En avril 2009 naît Owni.fr, initialement engagé dans la bataille contre la loi Hadopi. «Plutôt que de lancer un média et de se demander ensuite comment le financer et le rentabiliser, nous avons d'abord créé une société susceptible de le financer et de nous assurer une indépendance», explique Nicolas Voisin, 32 ans, directeur de la publication d'Owni et PDG de 22-Mars.
Sans publicité et gratuit, le site s'est rapidement développé en agrégeant articles de journalistes et billets de blogueurs, écrits par des contributeurs extérieurs, sur des thématiques tournant autour de l'évolution de la société numérique, tel le modèle américain Wired. Ces derniers mois, Owni a pris de l'ampleur, avec de nouvelles déclinaisons pour élargir son champ de vision (Owni Politics, Owni Sciences, Owni.eu) et «une audience moyenne de 250 000 visiteurs uniques par mois», d'après Nicolas Voisin.
Esprit collaboratif et technophile
Pour se distinguer des autres sites d'info, Owni ne jure que par le «journalisme de données» («data journalism»), ou comment visualiser l'information à partir de données présentées sous forme de graphiques. Quitte à sacrifier le reportage sur le terrain. L'équipe (20 salariés à ce jour), nichée dans des bureaux à deux pas de la place de la République, à Paris, est d'ailleurs constituée de journalistes, de développeurs et de graphistes. C'est toute l'originalité d'Owni: «Faire travailler ensemble journalistes et développeurs. C'est aussi une présentation de l'info qui décoiffe, avec de nouvelles interfaces visuelles, un état d'esprit collaboratif», détaille Éric Scherer, directeur de la prospective et de la stratégie numérique à France Télévisions, et un de leurs «parrains».
Un format qui intéresse d'autres sites d'informations. Lexpress.fr travaille avec Caroline Goulard, étudiante et cofondatrice d'Actuvisu, et d'une start-up de visualisations interactives, Dataeyes. Ici, pas de «journalisme expérimental comme Owni, mais nous envisageons de recourir au “data journalism” pour certains événements, comme la prochaine élection présidentielle ou la Coupe du monde de rugby», explique Éric Mettout, rédacteur en chef de Lexpress.fr.
Owni.fr est donc financé par les activités de 22-Mars, qui comprennent des prestations autour du journalisme de données. Il vise un chiffre d'affaires de 600 000 euros cette année (contre 234 000 euros en 2009) et de 1,2 million d'euros en 2011. «Le média s'est développé au rythme que pouvait supporter la société 22-Mars, qui y réinvestit ses bénéfices», souligne Philippe Couve, journaliste, qui prépare un rapport sur les nouveaux modèles économiques des médias. De fait, la start-up a vendu des prestations de journalisme de données à France 24, Slate.fr, Le Monde diplomatique, RFI et le groupe Moniteur. Et est en discussions avec un média économique, selon nos informations.
Mais cela suffira-t-il pour financer Owni? Si la start-up vient de boucler une levée de fonds de 340 000 euros (soit 12,73% de son capital), celle-ci est plus modeste que les 600 000 euros annoncés par Nicolas Voisin en juin dernier. Elle espère boucler courant 2011 une seconde levée de fonds de 1 million d'euros. Reste qu'elle devra accroître ses revenus propres pour ne pas devenir une machine à brûler du cash…