«France Télévisions nous ressemble, France Télévisions nous rassemble.» Depuis une semaine, c'est le message que diffuse le groupe audiovisuel public sur ses antennes. Élaborée avec la société de production Gédéon, cette campagne ne sera diffusée qu'une quinzaine de jours. «Ce type de communication doit rester exceptionnel», estime Alain Vautier, directeur des antennes et des programmes de France 2. Dans ces petits films, des animateurs du groupe public jouent la complicité avec des anonymes, le tout dans une sauce «black-blanc-beur».
Selon les dirigeants du groupe public, cette prise de parole, qui rappelle un peu la campagne de TF1, lancée en mai 2009, était nécessaire: «Nous sommes souvent attaqués sur ce thème de la diversité. Notre idée était de montrer tout ce que l'on fait déjà. Jusque-là, nous avons connu un déficit de communication sur ce terrain car ce n'est pas notre culture», explique Alain Vautier.
Cela n'empêche pas Benoît Héry, président de Draft-FCB et vice-président de l'Association des agences-conseils en communication (AACC), en charge du comité Image, de se montrer critique: «La grosse ficelle de la proximité incarnée par des “vraies gens” est utilisée et connue depuis le président de la République Valéry Giscard d'Estaing jouant de l'accordéon dans le salon des Français…»
Pour le groupe public, la campagne n'a pas de lien direct avec la remise, le 12 avril dernier, du rapport du comité de la diversité de France Télévisions, créé par Patrick de Carolis en juin 2009 et présidé par Hervé Bourges. «Il est important que ces clips existent car il y a encore deux ans, nous réceptionnions une fin de non-recevoir quand nous évoquions la question de la diversité avec France Télévisions», affirme Rachid Arhab, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Mais, pour certains, c'est malgré tout une campagne qui tombe mal.Y compris en interne. «Il y a clairement un problème de calendrier entre cette campagne de communication et les annonces qui auraient dû être faites par la présidence de France Télévisions concernant la diversité», confie Augustin Hoareau, directeur des ressources humaines du domaine réseaux au sein de France Télévisions et membre du Comité de la diversité.
Un «point noir» dans le bilan
Petit retour en arrière. Le 12 avril, au 8e étage du paquebot France Télévisions avec vue sur la Seine, les dirigeants Patrick de Carolis et Patrice Duhamel ne sont pas à la fête. Tendus, ils écoutent Hervé Bourges, qu'ils ont nommé président du Comité permanent de la diversité en juin 2009, rendre son rapport. Car l'ancien patron des chaînes publiques n'y va pas de main morte. Il parle de «cas de discrimination systémique» qui subsistent au sein du groupe. Au-delà des écrans, il émet des critiques fortes vis-à-vis de la politique de ressources humaines de France Télévisions. Ce jour-là, Patrick de Carolis se défend: «On ne peut pas reprocher à la télévision la monochromie des élites françaises qui, par définition, occupent une bonne part de l'espace médiatique français.» Mais il reconnaît aussi que France Télévisions «n'est pas la télévision de tous les Français».
La diversité sonnant déjà comme un «point noir» de son bilan, le président sortant promet alors des annonces dans les jours à venir. Mais les rumeurs autour de sa succession et la vente de la régie publicitaire de France Télévisions vont noyer cette promesse dès le conseil d'administration du 14 avril. «C'est justement parce que je me méfiais de ce calendrier chargé que j'ai voulu rendre mon rapport le plus vite possible», confie Hervé Bourges à Stratégies. Un rapport salué par les instances observatrices de la diversité «médiatique».
«Hervé Bourges nous fait passer pour des enfants de chœur et tant mieux. Cela prouve que notre travail a été entendu», ironise Amirouche Laïdi, président du Club Averroès. Depuis plusieurs mois, ce dernier n'a pas épargné le groupe audiovisuel public, jugeant, notamment fin 2009, que la diversité était «loin des préoccupations» de France Télévisions. Une constation soulignée également par les rapports rendus par la Haute Autorité de lutte contre les discrimination et pour l'égalité (Halde), en décembre 2009, et par le CSA, le 21 avril 2010.
Premier point souligné par Hervé Bourges: «Rédiger ce rapport m'a permis de prendre conscience de plusieurs cas graves de discrimination qui traînaient en longueur, finissaient devant les tribunaux ou étaient réglés en catastrophe de peur que ça apparaisse au grand jour…» Il pointe notamment le manque de diversité dans les effectifs du service des sports. Publiée par la Halde en 2009, une enquête de l'Institut national d'études démographiques (Ined) menée à France 2, France 3 et RFO avait déjà fait état de nombreuses personnes confiant avoir été «la cible d'insultes, de propos ou d'attitudes hostiles ou négatives (homophobie, sexisme, racisme, antisémitisme, etc.)» sur leur lieu de travail.
En décembre 2009, le Club Averroès avait sorti un rapport – jamais publié – réalisé par deux sociologues en 2006 à l'initiative de France Télévisions. Ceux-ci, Candida Ferreira-Leconte et Julien Viteau, témoignent aujourd'hui: «Il ne faut pas cacher que nous avons été ébranlés par le contenu de certains entretiens.» Au point de douter: «Nous étions au milieu du gué, une moitié des entretiens s'était déroulée, nous avons eu le sentiment d'être pris dans une double contrainte: faire connaître les situations évoquées, c'est-à-dire assumer notre responsabilité, tout en restant dans la commande, c'est-à-dire garder notre légitimité.»
Mesures cosmétiques ou symboliques dépassées
L'accumulation de ces témoignages a accéléré une prise de conscience que reflète le rapport d'Hervé Bourges. «Bien au-delà de l'antenne, il y a un vrai combat à mener de l'intérieur», confirme Jean-Marc Souami, président de l'association France Télés Diversités, qui parle d'une «vingtaine de cas de discrimination» en cours de règlement.
Créée il y a un an, l'association regroupe plus de cent cinquante salariés du groupe, même si elle n'a pas eu le droit d'élire domicile dans les locaux de France Télévisions. «Au niveau des femmes de service et du personnel de sécurité, c'est sûr que la diversité est respectée! Mais quand on monte dans l'organigramme du groupe, il n'y a plus de diversité…», souligne Jean-Marc Souami. Selon lui, les seuls représentants de la diversité sont envoyés sur France Ô (ex-RFO), devenue de facto une chaîne «communautaire».
Certaines des propositions de France Télés Diversités ont été reprises dans le rapport rendu par Hervé Bourges. Parmi celles-ci, la nomination d'un médiateur social et l'arrivée souhaitée d'un directeur délégué à la diversité auprès du directeur des ressources humaines (DRH) de France Télévisions.
Pas question, toutefois, de retomber dans le «cas Édouard Pellet». Nommé directeur de l'intégration et de la diversité à France Télévisions il y a cinq ans, il aurait été mis depuis «au placard» (voir Stratégies n° 1554 du 27 août 2009). Il est en procès avec son employeur. Mais son travail sur la diversité est salué par les syndicats du groupe public qui «regrettent de ne pas avoir été associés au récent travail du Comité de la diversité», note Jean-François Téaldi, secrétaire général du SNJ-CGT de France Télévisions. Selon le DRH, Augustin Hoareau, «la fonction initiale d'Édouard Pellet n'était pas assez large car il ne pouvait pas s'intégrer dans le processus de ressources humaines. C'est pour cela que le rôle du futur directeur délégué à la diversité doit être directement rattaché à la fonction RH.»
C'est donc principalement vers l'interne que tous les regards se tournent. «Car ce qui se fera en interne se verra encore plus à l'extérieur», affirme Amirouche Laïdi, du Club Averroès. Une politique interne volontariste plus en accord avec les mentalités françaises que l'instauration de quotas adoptés par les médias anglo-saxons.
L'étape des mesures cosmétiques et des symboles – comme la nomination d'un Harry Roselmack à l'antenne de TF1 - semble dépassée. Dans ce contexte, il appartient au service public de devenir plus que jamais exemplaire en termes de diversité, au lieu d'être à la traîne (voir sous-papier).
Beaucoup espèrent que Patrick de Carolis ou son successeur s'empareront à bras-le-corps de ce dossier. Hervé Bourges promet, lui, de ne pas lâcher prise: «Je viens d'écrire une lettre pour réunir de nouveau le Comité au mois de juin, car le président de France Télévisions doit nous répondre!»
Chiffres clés
11 000. Nombre de personnes employées par le groupe France Télévisions, dont 8 500 à temps plein.
4 Français sur 10 regardent les programmes du groupe chaque jour.
32,7%. Part d'audience du groupe audiovisuel public en 2009.
19,6 millions d'euros. Résultat net en 2009.
404,9 millions d'euros. Montant des recettes publicitaires perçues par France Télévisions pour cette même année.
Sous-papier
Et les chaînes privées?…
Côté diversité, les médias français dans leur ensemble sont observés à la loupe. Les rapports se suivent de près. Prochain en date: le rapport Médias et Diversité commandé par Yazid Sabeg, commissaire à la Diversité et à l'Egalité des chances. Dans un entretien au supplément Télévision du Monde le 26 avril, celui-ci souligne que «le compte n'y est pas» en termes de diversité dans les médias… Selon lui, les «personnes non blanches» ne représentent qu'un locuteur sur dix à la télévision française.
Si des efforts sont encore nécessaires chez les opérateurs privés, il semble que ceux-ci aient plus vite intégré la notion de diversité en leur sein. Plus soumis au diktat de l'audience, ils auraient saisi l'importance d'une représentation de tous les publics. «Une chaîne comme Canal+ a su faire de la diversité un axe créatif, bien au-delà de la simple présence à l'écran», souligne Benoît Héry, président de Draft-FCB et vice-président de l'AACC, en charge du comité Image. La chaîne cryptée a d'ailleurs été félicitée par le Club Averroès, qui la place en tête des bons élèves de l'année 2009. En revanche, le Club signale que TF1, «un temps exemplaire en matière de diversité dans le paysage audiovisuel français», a relâché ses efforts «depuis quelques années».
Dans la TNT, la diversité semble mieux prise en compte. Dans son rapport, le Club Averroès souligne entre autres le travail effectué en collaboration avec le groupe Next Radio TV en matière d'apprentissage des métiers de l'information.