Téléviseurs de tous les foyers, connectez-vous! Fin 2016, l’institut GFK estimait à 7,5 millions le nombre de postes de télévision pouvant être connectés directement à internet. Un ménage français sur quatre en dispose. Grâce à des interfaces simplifiées et à des services répondant (enfin) aux usages des téléspectateurs, le monde de l’OTT (Over the top, accès direct à internet), qui permet de s’affranchir des box des FAI (fournisseurs d'accès à internet), de leurs offres et programmes, n’a jamais été autant à portée du grand public.
«Aujourd’hui, un téléviseur vendu sur trois est connectable, et ils le sont tous dans les grands formats d’écran, au-delà-de 40 pouces, indique Michaël Mathieu, directeur du pôle électronique grand-public de GFK France. Mais l’OTT a du mal à se développer car le marché français est dominé par les opérateurs ADSL qui ont développé leurs interfaces.» Plutôt satisfait par les expériences proposées par les opérateurs (Orange, SFR, Bouygues, Free), le téléspectateur français ne trouvait aucun intérêt à relier son téléviseur à internet.
Désintermédiation
Cette attitude évolue. Des accessoires, comme l’Apple TV ou la Chromecast de Google, permettant notamment de diffuser You Tube et ses vidéos sur le téléviseur, sont un premier accès à l’OTT. Il y en aurait 500 000 en France, selon GFK. L’OTT va surtout se développer avec la généralisation des Smart TV, des téléviseurs facilement connectables. «Ces appareils de dernière génération intègrent des interfaces plus sympathiques et ergonomiques, précise Michaël Mathieu. La navigation est très simple et réunit toutes les sources de réception.» Plus besoin de surfer entre la TNT, la box ADSL et le tuner satellite. Ces menus offrent une navigation transparente entre les programmes et intègrent l’OTT, ajoutant un accès à un nombre quasi-infini de chaînes.
A priori, cette facilité séduit et, du coup, le téléspectateur n’hésite plus à connecter son téléviseur. «On peut estimer que 5 à 10% des Smart TV sont réellement connectées, révèle Stéphane Curtelin, directeur marketing de LG France. Chez nous, ce taux se situe entre 15 et 20%. Nous dénombrons 500 000 utilisateurs mensuels.» En cumulant avec Samsung, leader en France, une estimation d’un million de foyers disposant d’un téléviseur connecté est tout à fait vraisemblable.
L’usage de masse semble donc enfin se développer. «En fait, l’OTT, c’est-à-dire la possibilité d’avoir un signal bidirectionnel, existe depuis quelques années, mais l’industrie s’est cherchée et, jusqu’alors, le téléspectateur n’avait pas vraiment changé sa manière de consommer la télévision, estime Damien Lucas, cofondateur et directeur technologie d’Anevia, spécialiste en solutions IPTV et OTT. Depuis, les capacités techniques ont évolué, surtout concernant le stockage des contenus, et nous assistons à un phénomène de désintermédiation.» Pour Damien Lucas, l’intérêt de l’OTT est la création d’un portail unique: «Nous passons au-delà des acteurs traditionnels TF1, Canalsat ou SFR, parce que, désormais, n’importe qui peut mettre son service de télévision en ligne.» Cette idée germe déjà chez les détenteurs de droits d’événements, notamment sportifs. L’ATP (association des joueurs de tennis) doit ainsi ouvrir cette année sa chaîne sur l’OTT.
Nouveaux acteurs
Malgré tout, le succès public reste à démontrer, car l’arbitre de cette mutation sera toujours le téléspectateur. France Télévisions reconnaît que ses usages en matière de consommation audiovisuelle n’évoluent pas aussi vite que la technologie. En avril 2016, le groupe public a stoppé net tous ses investissements de développement dans la Smart TV. «Rien n’avait décollé et c’était un coût important pour un résultat proche de zéro», confie Frédéric Bonnard, directeur du numérique de France Télévisions. Le groupe a également arrêté ses projets en HBBTV (Hybrid Broadcast Broadband TV), la norme permettant d’enrichir le signal hertzien.
«Pour que cela fonctionne, il faut un marché de masse et l’adhésion des autres groupes. Or, aujourd’hui, ce marché de masse est sur l’ADSL et pas ailleurs», analyse Frédéric Bonnard. Le spécialiste suit tout de même le développement du parc de téléviseurs connectés en France. Pour un diffuseur, l’OTT a une vertu: ne pas être pieds et poings liés aux opérateurs. «C’est pour cela que nous avions travaillé sur la télé connectée», précise-t-il. En revanche, la technologie ouvre le marché à de nouveaux acteurs, les constructeurs, qui, avec les interfaces embarquées dans les téléviseurs, détiennent désormais les informations de connexion de leurs clients. LG commercialise déjà, en interne, des espaces publicitaires dans ses menus.
Le développement de l’OTT passera par l’augmentation du parc de téléviseurs connectés, mais aussi par la simplification d’utilisation. «L’enjeu le plus important est clairement l’interface, plus que la technologie, confirme Vincent Grivet, directeur du développement pour l’activité audiovisuelle de TDF. C’est pour cette raison que nous avons pris une participation dans Molotov, qui apporte de nouveaux services et fonctions.» Cette entreprise française, aux ambitions internationales, parie sur l’OTT. Elle a beaucoup travaillé sur un portail simple et une navigation intuitive. «Après l’hertzien, le satellite, le câble et l’ADSL, l’OTT est un cinquième réseau de distribution, indique Jean-Marc Denoual, l’un des trois fondateurs de Molotov. L’enjeu était d’utiliser les outils rudimentaires de la télévision et d’organiser les programmes en faisant abstraction du temps, direct ou replay, afin de montrer l’abondance des programmes. Nos utilisateurs doivent comprendre facilement comment fonctionne le produit et être satisfaits de son usage.»
La révolution de l’OTT passera par la mort de la zapette. «Revenir à la télécommande est un vieux sujet, estime Thomas Follin, directeur général adjoint de M6 Web. Nous regardons beaucoup les activations de services par la voix.» Une perspective finalement raccord avec les nouvelles voies offertes par l'OTT aux chaînes et aux téléspectateurs.
Molotov veut tout révolutionner
Dans le monde de l’OTT, c’est le dynamiteur. Molotov.tv a été créé par Pierre Lescure, ex-Canal+, Jean-David Blanc, ex-Allo Ciné, et Jean-Marc Denoual, ex-TF1. Les cofondateurs promettent la révolution dans nos téléviseurs grâce à une idée facile: la simplification. L’objectif est de proposer au téléspectateur une interface fluide offrant la possibilité d’accéder à toutes les chaînes (gratuites et payantes) dont il dispose, quelle que soit la source. Ce portail de référence s’affiche quasiment en premier lorsques s'allume le téléviseur.
Pilotable grâce à une télécommande basique, l’interface a nécessité cinq années de développement, et est d'ores et déjà opérationnelle. Molotov a été lancé l’été dernier sur l’Apple TV. Depuis, l’application est disponible sur Android, notamment la Chromecast de Google, mais également dans les téléviseurs connectés (Smart TV) Samsung et LG.
Nombreuses possibilités
L’enjeu était de réaliser une ergonomie facile à utiliser. Deux choix sont possibles: soit l’accès aux directs des chaînes, avec la présentation des programmes en cours de diffusion; soit l’accès aux contenus par univers (fiction, sport, documentaire, etc.) avec l’indication de la chaîne. Une barre d’avancement permet de visualiser le stade de diffusion du programme. D’un geste sur la télécommande, le téléspectateur peut prendre le programme en cours, décider de le revoir depuis le début ou l’enregistrer sur son «cloud» personnel proposé par Molotov. Il peut aussi «épingler» le programme, s’il est diffusé plus tard. Toutes ces possibilités font fi de la box du fournisseur d’accès.
Molotov se présente comme un distributeur de chaînes. Manquent encore Canal+, Be in Sports et OCS. Si l’application est gratuite, la société propose des offres d’abonnement à des bouquets de chaînes payantes et de l’espace supplémentaire dans l'espace cloud. En janvier, Molotov a investi de nouveaux locaux dans le centre de Paris, l’ancien ministère des PTT d’où, en 1935, ont été diffusés les premiers programmes réguliers de la télévision française. Un signe?