Communication politique
Décryptage des idées reçues sur les stratégies de communication et les dispositifs médiatiques des deux finalistes à la primaire de la droite et du centre.

TF1, France 2 et France Inter ont retransmis jeudi 24 novembre le dernier débat des Primaires de la droite et du centre. Plus de 8,5 millions personnes l'ont suivi sur France 2 et TF1, soit 33,8% de l'audience, selon Médiamétrie. Plus de 4,5 millions de téléspectateurs ont suivi la confrontation entre François Fillon et Alain Juppé sur France 2 (18,1% de part d'audience), et près de 4 millions sur TF1 (15,7% de PdA). En 2011, le débat final des premières primaires de la gauche, entre François Hollande et Martine Aubry, n'était passé que sur France 2 et avait rassemblé 5,9 millions de personnes. Retour sur les enseignements "médias et communication" de ces dernières semaines à travers sept idées reçues.

 

1/ Peu importe les grands médias. Tout se joue aujourd’hui sur les réseaux sociaux

FAUX. La campagne a au contraire montré l’importance des grands débats télévisés pour donner à la primaire de la droite et du centre sa dimension événementielle. Les réseaux sociaux semblent avoir joué, à l’inverse, un rôle de second plan, contribuant même à conforter l’idée erronée d’un duel annoncé entre Juppé et Sarkozy. "Les réseaux sociaux annoncent Sarkozy vainqueur du premier tour", avait même assuré Visibrain jeudi 17 novembre. "Le web social n'est pas un bon indicateur pour évaluer la puissance d'un candidat dans les urnes", reconnaît Nicolas Vanderbiest, de Reputatio Lab.

Les audiences TV sont éloquentes. Les débats à sept ont rassemblé 5,6 millions de téléspectateurs lors du premier rendez-vous sur TF1 (26,3% de part d’audience), 5,1 millions pour le troisième sur France 2 (23,1% de part d’audience) et tout de même 2,9 millions sur BFM TV et I-Télé (12,2% de part d’audience) pour la deuxième soirée. Pas étonnant que la première chaîne d’information continue s’offusque de ne pouvoir diffuser le débat de l’entre-deux-tours entre François Fillon et Alain Juppé ce jeudi 24 novembre sur TF1 et France 2 (la Une s’y opposerait). 

De leur côté, les matinales des radios sont utilisées pour alimenter la polémique entre les deux prétendants: Alain Juppé demande par exemple sur Europe 1 à François Fillon de «clarifier sa position sur l’avortement».

Les réseaux sociaux servent ensuite à propager les vidéos. Mais un des soutiens du maire de Bordeaux, Benoît Apparu, estime que «le second tour se jouera sur le débat télévisé de jeudi soir, comme le premier tour s'est joué sur les débats TV».



2/ Il n’y a pas besoin de communiquer pour sortir finaliste au premier tour

FAUX. Les deux candidats ont fait appel à des communicants aguerris. Pour Juppé, c'est son conseiller Gilles Boyer, de l'agence Brainstorming, qui est à la manœuvre. Côté Fillon, c’est Image 7, l'agence d'Anne Méaux, qui se fait un devoir de soutenir le plus libéral des candidats, avec Olivier Jay de Brunswick.

Les éléments de langage varient suivant le positionnement dans la campagne. Quand il était le favori des sondages, Alain Juppé mettait en avant «l’identité heureuse» et se posait en rassembleur. Depuis le premier tour, il n’hésite plus à mener une campagne de challenger et à asséner des coups en alignant les attaques sur le caractère «irréaliste» de la suppression de 500 000 emplois de fonctionnaires ou en fustigeant le caractère «traditionnaliste» de son rival, «plus proche de Sens commun que du pape François». Il accuse sur BFM TV François Fillon de recevoir des soutiens d’extrême droite. «Jamais je n’aurais pu penser que mon ami Alain Juppé tombe aussi bas», lui rétorque l’intéressé. Qui assume son positionnement radical par des images parlantes: «Il faut casser la baraque pour la reconstruire autrement». 

 

3 / Le storytelling est mort avec l’échec de Sarkozy

FAUX. François Fillon n’a pas le storytelling de Nicolas Sarkozy sur le «petit Français de sang mêlé» mais il est également porteur d’histoires. Comme l’a montré l’émission Ambition intime, opportunément rediffusée mercredi 23 novembre par le groupe M6 sur Paris Première, il incarne d’abord avec sa femme britannique Pénélope un couple de 35 ans qui est à la fois assez traditionnel pour plaire à la branche conservatrice et catholique de la droite et suffisamment moderne et transfrontière pour convenir à l’électorat le plus libéral. Dans l’émission, François Fillon se montre accessible, ouvert et laisse voir son goût pour la famille comme pour les drônes. «Incontestablement, cela a joué», a-t-il confié au Parisien.

François Fillon est aussi un as du storytelling autour de sa passion pour la course automobile, dont rend compte également l'émission de M6. «Le 20 novembre, pas d’hésitation, foncez! Foncez vers la réussite, foncez vers le progrès, foncez vers la justice, foncez vers la grandeur», tweete-t-il deux jours avant le premier tour. Il s’agit toujours «d’accélérer dans les réformes», de remonter en «pole position». Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat qui le soutient, parle de «la Formule 1 François Fillon».

De son côté, Alain Juppé tente de fendre l'armure depuis le résultat du premier tour. Il fait intervenir sa femme Isabelle pour séduire l'électorat féminin qui lui a fait cruellement défaut. Et, alors même que le camp Fillon lui reproche ses attaques, se pose en victime d'une campagne d'intoxication«franchement dégueulasse» venus de sites d'extrême droite autour «d'Ali Juppé» ou d'un pseudo-soutien aux Frères musulmans comme à la construction d'une mosquée à Bordeaux.

 

4/ Twitter et Facebook n’ont compté pour rien dans les résultats du premier tour

FAUX. Twitter a par exemple permis à Fillon, dans les deux semaines précédent le vote, de pointer que les médias et les instituts de sondages ne rendaient pas compte d'une réalité qu'il appréciait lui sur le terrain. Il s'en sert pour dénoncer un «duel annoncé» qui fait fi des opinions des électeurs de droite. Le 17 novembre on peut lire: «Dimanche prochain, je dis aux Français, n'ayez pas peur de contredire les sondages et médias qui avaient déjà tout arrangé à votre place». Le candidat appelle les électeurs à «voter pour [leurs] convictions».

L'analyse sur Facebook montre que les conversations concernant François Fillon ont décollé le 17 novembre, pour atteindre le double de celles d'Alain Juppé, selon le cabinet luxembourgeois Talkwaker qui observent 150 sites et dix réseaux sociaux, cité par l'AFP. Reputatio Lab note aussi que les partages sur Facebook, longtemps favorables à Nicolas Sarkozy, s'étaient faits dépasser par François Fillon.



5/Seule compte l’image du candidat. Les gens n’ont pas le temps de le lire.

FAUX.  Au sein de l'électorat de droite, plutôt âgé, la lecture compte. François Fillon a vendu 95 000 exemplaires de son livre Faire (3500 exemplaires pour la seule journée du 23 novembre) et 52 000 exemplaires de Vaincre le totalitarisme islamique, paru en octobre. Alain Juppé a publié, lui, en septembre gratuitement sur internet De Vous à moi, un ouvrage qualifié de personnel.

La presse a joué son rôle en aidant les électeurs à faire leur choix entre les candidats à travers des synthèses de leurs propositions. Mais elle n'a pris la mesure de la montée en puissance de François Fillon que très tardivement. Selon nos informations, Le Figaro magazine a par exemple attendu le milieu de la semaine dernière avant de commander un portrait du député de Paris, alors que ceux de Juppé et Sarkozy étaient fin prêts.

Enfin, les mots et les références employés comptent aussi. François Fillon en tweetant par exemple en novembre «18 juin 1940: une voix vient de Londres et réveille les espoirs d'une nation brisée» convoque l'imagerie gaulliste. Et quand il lance en conclusion de son débat du 17 novembre «Nous les Français, nous sommes un peuple fier et nous n'aimons pas qu'on nous dicte nos choix», c'est l'esprit de résistance d'un Astérix qu'il invoque.



6/ Il vaut mieux faire ami-ami avec les médias pour avoir une chance de l’emporter

FAUX Si François Fillon n'est pas mis en examen comme Nicolas Sarkozy, il le rejoint dans sa vindicte contre les grands médias. A David Pujadas qui demande aux candidats de «guerroyer» en seconde partie du troisième débat, il reproche publiquement d'avoir «une conception de ces débats en termes de spectacle». Alain Juppé, lui, a pointé la tendance des journalistes à escamoter la question sur l'Europe. Il a accepté des interviews à Society ou aux Inrocks qui visaient sans doute à rajeunir son image mais qui l'ont, in fine, associé à l'idée d'un candidat des bobos. Quant à Nicolas Sarkozy, qui a parlé de «honte» et de propos «indigne du service public» à propos de la question de David Pujadas sur la vidéo de Takkiedine attestant d'un finacement libyen à sa campagne en 2007, il arrive quand même en troisième position. Preuve que la posture anti-médias à la Trump a encore de beaux jours devant elle.



7/Il est plus facile d’être le favori des sondages pour s'imposer dans l’opinion

FAUX. C'est tout le problème d'Alain Juppé. Il s'est longtemps contenté d'être «celui qui incarne le mieux la fonction», comme le lui reconnaît un sondage Harris Interactive. Sa crainte: apparaître cassant et droit dans ses bottes. Las, il a adopté une ligne de rassemblement de candidat à la l'élection présidentielle avant d'être élu à la primaire, qui se retourne contre lui. D'où la volonté de montrer aujourd'hui ce qui fait sa différence, notamment sur le plan sociétal, avec la droite conservatrice incarnée par François Fillon aux messages subliminaux («N'ayez pas peur», en référence à Jean-Paul II).

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