On s’en doutait, mais le rapport parlementaire du député socialiste Jean-Marie Beffara, rendu public le 13 juillet, le confirme: le lancement de France Info, le 1er septembre, obéit à un calendrier très politique. La nouvelle chaîne d'information du service public va être lancée en urgence, avant l'élection présidentielle de 2017, pour éviter qu'un changement de gouvernement n'enterre le projet, estime le rapport. «Des délais très courts de mise en oeuvre étaient sans nul doute nécessaires à l'aboutissement de ce projet, le lancement de la chaîne devant intervenir avant les élections de 2017 et la finalisation du contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions et Radio France», écrit le rapporteur.
En clair, il s’agit d’éviter la mésaventure du gouvernement de Lionel Jospin, qui avait prévu de lancer une chaîne d’info en septembre 2002, avant que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin – et son ministre de la Culture proche de Jacques Chirac, Jean-Jacques Aillagon – ne décide de revenir sur cette décision «arguant d'un risque économique important pour les chaînes privées concurrentes», en référence à LCI du groupe TF1.
«Montée en charge progressive»
Lors de la présentation de la chaîne, lundi 11 juillet, l’écho de cette hâte était perceptible. «Ce sera une montée en charge progressive, tout ne sera pas calé le 1er septembre», a reconnu Michel Field, directeur de l’information de France Télévisions, qui entend «tourner le dos à l’hystérisation, à la boule obsessionnelle de l’info qui brasse souvent plus de vent que d’info». Sont visés I-Télé et surtout BFM TV, que l’ancien animateur de LCI avait déjà épinglée il y a deux ans dans un article sévère publié dans Le Monde (1) et qui avait fortement déplu à Guillaume Dubois, alors directeur général de la chaîne de Next Radio TV.
Mais les premiers pas difficiles de LCI dans l’information en continu gratuite à l’occasion de l’attentat de Nice (lire l'encadré) en atteste: il n’est pas évident d’être sur le pont 24 heures sur 24 pour réagir à l’information chaude. D’autant que le service public se doit d’être exemplaire en matière de déontologie et de respect de la dignité de la personne humaine. Or, il ne l’est pas toujours, comme l’a reconnu France Télévisions dans un communiqué d’excuses après des «images brutales» et «choquantes» diffusées sur France 2 comme cette interview d’un homme, sur la promenade des Anglais, à côté du cadavre de sa femme.
«Comme nous sommes le service public, nous irons vers la justesse et la prudence dans l'information. On préfère louper un scoop que raconter n'importe quoi», a déclaré Delphine Ernotte le 11 juillet, à l’occasion de la présentation du grand studio plongé au milieu de la salle rédaction du futur France Info.
«Réflexion et profondeur»
Germain Dagognet qui pilotera la chaine côté France Télévisions avec Laurent Guimier de France Info, parle aussi d’une «autre temporalité, d’un autre narration susceptible d’apporter de la réflexion et de la profondeur».
Heureusement pour le groupe audiovisuel public, la future chaîne pourra profiter de l’expertise de la radio France Info et de France 24 dans l’information continue.
Un studio installé au cœur de France Info proposera un rappel des titres de 90 secondes toutes les dix minutes. On retrouvera aussi une interview politique commune aux deux médias entre 8h30 et 9h et la reprise simultanée de l’émission Les Informés autour de Jean-Mathieu Pernin. En tout, trois heures de télévision viendront de la station de radio.
De son côté, France 24 assurera l’antenne de minuit à six heures du matin et mettra à disposition de l’antenne les correspondants de ses 140 bureaux en cas de breaking news à l’étranger. La chaîne fournira des émissions comme le Journal du monde ou Les Observateurs pour apporter une dimension internationale à France Info, tout comme la couverture locale sera favorisée par l’appui des locales de France Bleu et les rédactions régionales de France 3.
Des petits modules de deux à trois minutes seront aussi proposés sur internet pour apporter éclairages et mises en lumière sur la fabrique de l’information face aux théories du complot qui peuvent circuler sur la Toile.
Ménage à quatre
L’enjeu de cette mobilisation à quatre du service public – avec France Télévisions, Radio France, France 24 et l’Institut national de l’audiovisuel? «Alors qu’il y a des appels à ce que les entreprises audiovisuelles publiques se rapprochent voire fusionnent, il s’agit d’apprendre à travailler ensemble», souligne Laurent Vallet, président de l’INA, qui fournira des modules d’archives et des données attachées, notamment pour l’offre numérique de France Info.
Une allusion à peine voilée au projet des Républicains, et de leur président Nicolas Sarkozy, de fusionner les médias publics dans une BBC à la française. «Ce sera un travail éditorial des rédactions ensemble, pas une fusion qui ne sert à rien au-delà de réveiller des peurs», a asséné Germain Dagognet.
Quoi qu’il en soit, avec 176 salariés et l’appui de toutes les ressources du service public (fort de 2500 journalistes rien que sur France Télévisions), la future France Info a les moyens de s’imposer dans le paysage de l’information en continu, sur le canal 27 de la TNT à côté de LCI.
Pensée pour être «une édition de plus», la chaîne prendra-t-elle la mesure du «breaking news» pour venir vraiment inquiéter BFM TV et C News, le nouveau nom d'I-Télé? Réponse dans les prochaines semaines. En attendant, Delphine Ernotte ne cache pas qu’elle estime cette chaîne d’information publique indispensable en ces temps de «regroupements de médias et de fusion avec les opérateurs télécoms». «Une offre indépendante de tout pouvoir politique ou privé est un élément extrêmement important», affirme-t-elle. D’une grande importance politique, serait-on tenté d’ajouter.
Le loupé de LCI
Pas facile de basculer dans l'information en continu. C'est ce qui domine au vu des images des chaînes d'informations jeudi 14 juillet, quelques minutes après l'attentat de Nice. Si LCI est la première chaîne à donner des images amateur de l'attentat, depuis Twitter, à l'occasion d'un bulletin d'information et alors que BFM TV et I-Télé sont encore dans la retransmission en direct du feu d'artifice de la tour Eiffel (un simple bandeau déroulant annonçant l'événement), elle ne va pas longtemps tirer parti de cette avance.
Curieusement, la décision n'est en effet pas prise au sein de la rédaction du groupe TF1 de casser l'antenne pour basculer en édition spéciale, contrairement à ce que vont très vite faire BFM TV puis I-Télé. Le téléspectateur se retrouve alors avec une scène surréaliste de deux coprésentateurs évoquant sur un ton badin le livre d'un écrivain voyageur, riant de bon coeur alors même qu'un message incrusté annonce qu'un camion a foncé sur la foule à Nice et qu'il y a plusieurs dizaines de victimes.
L'interview a-t-elle été enregistrée? C'est probable. Le couple de présentateurs va ensuite attendre plusieurs quarts d'heure pour prendre l'antenne vers 23h45, soit près d'une heure après l'attentat. Une prise d'otages est ensuite évoquée. Elle n’a en réalité jamais eu lieu…
Serait-ce un effet pervers de la vocation magazine de LCI? Pour décrocher sa fréquence gratuite sur le canal 26 de la TNT, le 6 avril dernier, la chaîne s'est en effet engagée auprès du CSA à ne pas consacrer plus de 30% de son temps d'antenne à des journaux télévisés, ce qui n'autorise qu'un bulletin d'information à heure fixe et un rappel des titres à la demi-heure. Mais selon un arrangement convenu avec le CSA, LCI a la possibilité de basculer en édition spéciale pour tout événement «majeur ou exceptionnel»… Il n’est pas précisé en combien de temps.