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L'offensive de la Commission européenne contre Google, accusé d'abus de position dominante avec Android, tranche avec l'approche plutôt non interventionniste des Etats-Unis, où certains craignent même que les fonctionnaires bruxellois ne figent l'innovation dans un secteur en pleine évolution. «De toute évidence, les autorités américaines de la concurrence n'agissent pas dans ce secteur, donc l'UE apparaît comme un cas à part», relève Daniel Castro, vice-président du centre de réflexion ITIF (Information Technology and Innovation Foundation).

L'autorité canadienne de la concurrence a aussi classé sans suite cette semaine une enquête sur de potentielles pratiques anticoncurrentielles de Google dans la recherche et la publicité en ligne. A Washington, une longue enquête sur le même sujet avait été également close faute de preuves en 2013. Les autorités s'étaient contentées d'engagements de bonne conduite du groupe internet, concernant l'accès à certains de ses brevets et la suppression de restrictions d'usage pour sa plateforme de publicité en ligne.

Après l'échec de plusieurs tentatives d'accord à l'amiable, la Commission européenne est de son côté passée l'an dernier à la vitesse supérieure dans sa propre enquête sur le moteur de recherche de Google, avec des accusations formelles (une «communication de griefs» en jargon bruxellois). S'y est ajoutée cette semaine une nouvelle charge, contre le système d'exploitation mobile Android: Bruxelles accuse notamment Google d'obliger les fabricants de smartphones qui utilisent son logiciel à également préinstaller ou privilégier certains de ses services sur leurs appareils.

Système ouvert

Daniel Castro estime que l'UE n'a pas démontré en quoi la dominance d'Android nuit aux consommateurs, et pense qu'un remède pourrait s'avérer pire que le mal. «La préoccupation du point de vue du consommateur, c'est de réduire la capacité des entreprises à offrir une suite intégrée de services», a-t-il expliqué. «A l'heure actuelle, Google peut récupérer des informations sur Gmail et vous signaler une réunion ou un avion à prendre», illustre-t-il.

James Waterworth, vice-président de l'association professionnelle CCIA qui compte parmi ses membres Google et d'autres grands groupes technologiques, insiste aussi sur le fait qu'Android a été développé comme un système «ouvert» et a «injecté de la concurrence sur le marché du téléphone mobile». Google autorise n'importe quel fabricant à l'utiliser et le cas échéant à le modifier, contrairement au grand système concurrent iOS dont Apple garde l'exclusivité.

Marchés différents

Une autre différence notable, c'est qu'Android est beaucoup moins dominant aux Etats-Unis qu'en Europe. Le système d'exploitation fait fonctionner plus de 80% des smartphones vendus dans le monde. Mais d'après la société de recherche Comscore, sa part de marché aux Etats-Unis était de seulement 52,7% en février, contre 43,9% pour iOS. La Commission européenne arrive même à 90% de part de marché pour Android, car elle utilise une définition plus restreinte du marché des systèmes d'exploitation, relève Jan Dawson, analyste chez Jackdaw Research.

Pour lui, elle cherche ainsi à protéger non «pas les consommateurs, mais les fabricants et les autres fournisseurs de services de recherche en ligne et d'explorateurs» internet. Bruxelles semble vouloir découpler le système d'exploitation Android des services de Google, comme elle avait interdit dans le passé à Microsoft d'intégrer Media Player ou Internet Explorer à Windows, juge également Jan Dawson, se demandant «si cela ferait beaucoup de différence dans un monde où les consommateurs sont déjà libres d'installer d'autres services et d'en faire leurs applications par défaut».

D'autres voix s'élèvent malgré tout pour dire que Washington devrait suivre l'exemple de Bruxelles. «Google se livre aux mêmes pratiques anti-concurrentielles, injustes et abusives aux Etats-Unis», a estimé John Simpson, de l'organisation de défense des consommateurs Consumer Watchdog. «Nos autorités de la concurrence doivent aller de l'avant et faire leur travail, au lieu de laisser les Européens le faire pour eux.»

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