«Comment définir la notion de "digital labor"? Cela désigne toute forme de monétisation de l’activité humaine sur les réseaux sociaux, soit à travers la marchandisation des contenus générés, soit par l’extraction de données à partir des comportements des utilisateurs. L’éventail d’activités est large: clics, "likes", "shares" sur les réseaux sociaux, mais aussi toutes formes de requêtes sur des moteurs de recherche (qui le rendent plus performant) et sur des plateformes réglées de façon algorithmique.
Le plus intéressant est que le "digital labor" n’est pas exclusivement un travail non rémunéré, il s’inscrit dans un continuum qui va jusqu’à des activités microrémunérées. Avec notamment les plateformes Amazon Mechanical Turk, une "place de marché" où les internautes se voient proposer contre rémunération des tâches, telles que des traductions de textes, liker des pages Facebook, commenter des vidéos ou des billets…
Un sujet que l’on retrouvait déjà dans les débats en 2011 autour de la rémunération des blogueurs, ou en 2014, quand Flickr a évoqué la revente des photos que des photographes amateurs avaient initialement partagées sous la licence Creative Commons. C’est lié à tout un ensemble de luttes et de revendications liées au digital labor, qui visent à dire qu’il s’agit bien d’activités travaillées. Les internautes ne sont pas tous ravis de se faire «extraire» des données.
Quatre critères
Je retiens quatre critères pour parler de digital labor:
1/ de la production de la valeur, captée par les entreprises;
2/ des activités encadrées de façon contractuelle par les conditions générales d’utilisation, qui définissent le périmètre formel d’un travail implicite;
3/ des activités encadrées par des metrics de performance, la mise en chiffre d’activité de l’internaute;
4/ des formes d’injonction à l’usage, par des alertes, invitations, et notifications. C’est un travail encadré mais invisible.
Ce sont des formes de microtravail. Le digital labor s’étend jusqu’aux plateformes qui font de la coordination algorithmique pour des activités humaines, comme Task Rabbit, ou Uber et Airbnb dans l’économie du partage. Et cela va au-delà: avec les smartphones, les montres et les objets connectés disséminés dans notre quotidien, chacune de nos actions produit désormais des données qui alimentent le big data des entreprises d'internet.
Autre piste, les "clics farms", de véritables entreprises basées en Indonésie, en Thaïlande, ou en Chine, dans la lignée de Mechanical Turk. Là, la rémunération repose sur les clics et commentaires laissés sur Facebook. Il y a aussi les "gold farms", des places de marché où des joueurs de jeux vidéo produisent des biens virtuels pour les plateformes de jeux.»