En 2022, Carine Kraus a investi la nouvelle direction de l’engagement du groupe Carrefour, pour travailler de concert les questions RSE, diversité et inclusion. Pour Stratégies, elle revient sur sa feuille de route et fait le point sur ses prochains défis.

On évoque aujourd’hui une opinion publique qui a perdu confiance dans les institutions, attendant en contrepartie beaucoup des entreprises. Est-ce un fantasme ou une réalité ?

Carine Kraus La crise de confiance est là et la grande distribution a un rôle à jouer, car nous portons un sujet du quotidien, celui de l’alimentation. Chez Carrefour, nous voulons répondre à ces attentes en incarnant notre raison d’être, la transition alimentaire pour tous. Cela veut dire démocratiser la nécessaire transition vers une alimentation respectueuse de l’environnement et bonne pour la santé de nos clients. Démocratiser cette alimentation durable, cela implique aussi de la rendre accessible en termes de prix. Cela signifie enfin prendre nos responsabilités pour lutter contre une précarité alimentaire de plus en plus forte, chantier désormais exclusif de notre Fondation Carrefour.

Croyez-vous pouvoir avoir une influence sur la préservation de l’environnement ainsi que sur l’assiette du consommateur ?

Absolument ! Avec un chiffre d’affaires de 90 milliards d’euros, quand nous prenons une initiative majeure, elle a tout de suite un impact fort en termes de volume. Notre objectif d’atteindre 8 milliards d’euros de produits certifiés durables en 2026 – nous sommes en 2023 à 5,3 milliards – a un effet immédiat pour nos clients. Idem concernant notre stratégie pour développer les alternatives végétales à hauteur de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires ou lorsque nous décidons de retirer 2 500 tonnes de sucre, 250 tonnes de sel et 120 substances controversées dans nos produits de marque Carrefour. Tout cela se voit dans l’assiette.

Mais notre taille et notre capacité à innover nous permettent aussi de prendre de vrais paris sur l’avenir. La transition alimentaire pour tous dès 2018, c’était précurseur, et nous étions les seuls, même si beaucoup s’y sont mis depuis. Retirer les emballages alimentaires deux ans avant que la loi Agec ne l’impose aussi, avec une économie réalisée depuis de 20 738 tonnes. Aujourd’hui, nous continuons, avec des sujets comme la consigne, relancée en décembre, le développement du vrac ou les produits solidaires, tendance nouvelle à laquelle nous croyons beaucoup avec des initiatives comme Café Joyeux ou Ramdam Social. Notre taille nous permet d’être véritablement précurseurs sur les sujets de RSE de demain.

Certains experts réclament la division par deux de nos émissions de CO2 d’ici à 2030. Quels sont les résultats concrets de votre stratégie climat ?

Nous avons une politique climat de longue date. Cette année, avec une réduction de 38 % de nos émissions directes, c’est-à-dire comprises dans les scopes 1 et 2, nous sommes en avance de deux ans sur notre objectif de réduction de 50 % à horizon 2030. Et chaque année, de nouveaux leviers sont identifiés pour accélérer encore sur le climat. Pour nos émissions indirectes, par exemple, notre top 100 fournisseurs devra respecter une stratégie climat d’ici à 2026 pour continuer à être commercialisé chez nous. Nous avons également une gouvernance solide sur ces sujets, avec désormais 10 000 collaborateurs en France, dont l’intégralité de nos managers, qui voient leur bonus corrélé pour partie à l’atteinte des objectifs RSE.

Nous sommes très en retard en France en matière de handicap, dans sa reconnaissance comme dans son intégration. Vous en faites pour votre part une priorité. Comment agissez-vous ?

Là encore, notre taille est un atout : avec 335 000 salariés dans le monde, quand nous menons une action inclusive, nous pouvons faire évoluer les mentalités. Nous avons pour objectif d’employer 15 000 collaborateurs en situation de handicap en 2026. Rien qu’en 2023, nous en avons recruté plus de 2 000 nouveaux. Nous devons aussi, dans le cadre de notre politique d’inclusion, proposer une expérience client accessible à tous. Notre premier magasin handi-accessible a donc été lancé à Villeneuve-la-Garenne le 15 décembre dernier, avec l’aide d’associations partenaires et de nos collaborateurs en situation de handicap. Une dizaine d’innovations sont en cours d’évaluation actuellement, comme le caddie à scratch adapté aux fauteuils roulants, les compagnons de route, les bandes de guidage podotactiles… Nous prévoyons ensuite un déploiement dans dix hypermarchés et magasins de proximité d’ici à l’été.

Dans cette direction de l’engagement qui recouvre la RSE, la diversité et l’inclusion ainsi que le pilotage de la fondation, quel est votre plus grand défi ?

Après le covid, nous avons vécu des années bénies sur les sujets de RSE, grâce à une sensibilité collective très forte pour l’environnement, la santé, la résilience. Mais le contexte inflationniste change la donne. La question majeure devient dès lors désormais : comment concilier RSE et pouvoir d’achat ? L’appétence des clients pour la RSE est toujours là mais à prix équivalent. Or le durable est parfois coûteux, notamment lorsqu’on parle d’initiatives nouvelles testées sur de petits volumes ou nécessitant de nouveaux modes de production. À nous de trouver d’autres modèles d’affaires. Cela va du partenariat antigaspi avec Too Good To Go à des dispositifs définis à large échelle avec nos marques partenaires. Ces alliances représentent d’ailleurs à mon sens la grande tendance des années à venir. Proposer des produits durables mais à prix identique passera par ces partenariats stratégiques avec de grands industriels ou des start-up.

Si vous deviez citer plus particulièrement un projet qui vous a tenu à cœur ?

Le nouveau congé endométriose de douze jours par an pour toutes les femmes. Nous sommes heureux d’avoir été précurseurs sur ce sujet de santé qui améliore l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Au-delà du progrès social qu’il apporte dans l’entreprise, nous avons également eu le sentiment de contribuer à faire sauter un tabou.

Vous visez la neutralité carbone pour 2040. À quoi ressemblera alors la grande distribution ?

L’inclusion, la diversité, le végétal, le vrac, les magasins durables… L’hypermarché de 2040 demeurera un format discount puissant, tout en ayant développé massivement les tendances que nous cherchons à faire émerger aujourd’hui.

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