Le billet vert de Gildas Bonnel

La question de la place de chacun est centrale. Qui a un intérêt au déni, à la fuite en avant, aux fake news ? Sans doute, celles et ceux qui se pensent protégés, à l’abri des sursauts que la nature nous renvoie en boomerang.

« L’impression de vertige, presque de panique, qui traverse toute la société contemporaine, vient de ce que le sol cède sous les pieds de tout le monde à la fois, comme si l’on se sentait attaqué partout dans ses habitudes et dans ses biens. » Bruno Latour, Où atterrir, La Découverte 2017.

Je ne suis pas assez jobard pour prétendre vous faire une fiche de lecture. Chez Sidièse, on trouvait sympa de profiter de cette chronique pour saluer la mémoire d’un homme qui, décédé ce 9 octobre, aura éclairé ce qu’il a nommé le Nouveau Régime Climatique. Dans ce temps de lecture et de réflexion, dans l’air ambiant entre les menaces poutiniennes, les chiffres de l’inflation, les pénuries d’énergie et la gronde sociale qui couve, une petite phrase de Jacques Séguéla m’a fait sursauter : « Le métavers va sauver la publicité » (podcast Les métiers du futur du 12 octobre 2022). Je me pince. Comment puis-je me sentir aussi loin de quelqu’un de si proche ? Vivons-nous bien sur le même sol, partageons-nous les mêmes bases d’analyse, de connaissance, et le même univers professionnel ?

Alors que l’on cherche à s’arrimer, à se réimplanter dans les réalités physiques d’une planète épuisée par un développement débridé, il est tellement fascinant de rêver un hors-sol infini, source de créativité et de beaucoup d’argent… En effet, quand Latour explorait comment prendre en compte « à la fois la fin de la mondialisation, l’ampleur de la migration, ainsi que les limites mises à la souveraineté des États désormais confrontés aux mutations climatiques », il parlait, en fait, de notre capacité à subsister, autant que nous sommes, sur Terre.

Alors même que cette question me taraudait, une dépêche revenait sur le risque de submersion des Maldives ou des Tuvalu. « C’est la plus grande tragédie qu’un peuple, qu’un pays, qu’une nation puisse affronter », déclare, à l’AFP, l’ancien président des Maldives Mohamed Nasheed. Ces états insulaires du Pacifique resteront-ils des nations à nos yeux ? leurs populations conserveront-elles leurs droits ? Qui enlèvera leurs sièges aux Nations unies quand les autres membres regarderont leurs pieds ?

La question de la place de chacun est centrale. Qui a un intérêt au déni ? à la fuite en avant ? aux fake news ? Sans doute, celles et ceux qui se pensent protégés, à l’abri des sursauts que la nature nous renvoie en boomerang. On n’a jamais autant vendu de bunkers et d’abris antiatomiques de luxe.

Sauvons-nous d’abord nous-mêmes

Mais les gens ? On a envie de leur proposer quoi ? Aux citoyens des « périphéries », qui se voient déjà exclus de la globalisation et votent contre les élites – quand ils croient encore au vote –, et à celles et ceux qui aiment ce monde-ci, le vrai, plus local, plus terrien. Toutes et tous qui n’auront jamais de billet pour aller sur Mars, qui vivent ici, travaillent, consomment et rêvent d’avenir pour leurs enfants.

Le métavers ne sauvera rien du tout si nous ne nous sauvons pas nous-mêmes. Qui ira dans le métavers s’il n’y a plus assez de produits agricoles pour se nourrir, plus assez d’énergie pour se chauffer ? Que peuvent les algorithmes contre les mégafeux, les pandémies, les inondations, les sécheresses ?

Cette petite phrase d’un respectable patriarche de la publicité ne sonne-t-elle pas un peu comme un bunker cognitif, une bulle perchée dans la stratosphère ? Et si notre humilité à « redescendre » sur terre pouvait sauver la com ? Il est urgent d’atterrir.

Ma chronique est moins joyeuse que d’autres fois. À moins… à moins que ce soit joyeux, au contraire, de faire demi-tour dans les escaliers de la fusée, joyeux de sortir du fuselage, de regarder l’horizon, le ciel, le sol, et de se dire que finalement, on est bien mieux les pieds sur terre, en liberté, parmi les autres. Qu’on a d’abord envie de se reconnecter à « l’UNIverse ». D’atterrir. Où atterrir ? Là, sans vouloir faire le jobard, vous pouvez sans doute quand même taper une requête « Bruno Latour ». Et attention, c’est du lourd !

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