« Mon idée : mimer le match et faire les bruitages moi-même », réfléchit Léa à voix haute, en plein brainstorming avec elle-même. Il est 21 heures au Japon. Le soleil s’est depuis longtemps couché sur Tokyo. Le premier match de la Coupe du monde de rugby 2019 va commencer, après l’époustouflante cérémonie d’ouverture. Pour l’occasion, la marque de solutions de paiement Mastercard, a invité deux influenceuses pour un voyage co-organisé avec l’agence Oxygen : Léa Camilleri, créatrice de contenus sur YouTube et Instagram, branchée humour, voyage et écologie, et Natacha Birds, artiste, blogueuse, vidéaste, et à la tête de son propre studio créatif.
Coup de stress
Mais, quelques heures avant de partir pour le match, de nouvelles « guidelines » sont tombées, beaucoup plus strictes que prévu : les influenceuses ne peuvent filmer ni le terrain ni les joueurs, et encore moins le logo de la Rugby World Cup… « Ces instructions émanent de la fédération internationale de rugby, explique d’un ton calme et rassurant Donatienne Douriez, communication manager chez Mastercard, et représentante de la marque tout au long du voyage. En tant que partenaire officiel, nous avons des comptes à rendre. Ces impératifs sont liés à des questions de droit, d’image, etc. Ceci étant dit, vous avez la possibilité de photographier et filmer la foule, de prendre des selfies ou des silhouettes avec le stade en arrière plan, de capturer des sons d'ambiance et de faire des portraits de supporters. »
Petit coup de stress tout de même pour les créatrices, qui n’avaient pas du tout envisagé ces contraintes. « Mon travail est de proposer des idées créatives, de dialoguer et de rebooster les influenceuses afin de les aider, malgré la frustration, à créer du contenu de qualité, qui respecte à la fois leur ligne éditoriale et l'image de la marque », confie Julie Rivoire, chef de projet et activation social media chez Oxygen, sur les épaules de laquelle le bon déroulé du voyage repose.
Rebondir
« Notre métier consiste précisément à s'adapter, sourit Natacha Birds. C’est notre savoir-faire de trouver comment rebondir, de poursuivre, quoi qu'il arrive, notre storytelling à travers nos publications. Et des imprévus comme celui-là, j’en ai vécu tellement ! » Pour compenser, Mastercard multiplie les activités et les visites dans Tokyo : Shibuya, Omotesando, Harajuku… Les influenceuses, accompagnées de leur conjoint, arpentent les rues de cette ville labyrinthique et stimulante, appareils photo en bandoulière. Natacha a le don pour dénicher la jolie lumière que diffuse tel petit lampion, le graphisme étonnant de telle devanture ou encore les couleurs de telle scène de vie qui mettront en valeur sa silhouette et se marieront parfaitement à son feed Instagram. Léa est plus prompte à se mettre en scène de manière décalée, à jouer avec un petit moment de vie, devant un plat de ramen ou avec une peluche kawaii… « La créativité de ces jeunes femmes est plutôt impressionnante, commente Donatienne Douriez. On voit qu’elles ont l’habitude, que ce sont de vraies professionnelles. Elles posent des questions, sont attentives à la manière dont elles respecteront le mieux possible les valeurs de la marque… » Sur les réseaux sociaux, quasiment en live, les abonnés des deux jeunes femmes découvrent un peu Tokyo par procuration… Et la marque Mastercard.
« La raison pour laquelle nous faisons appel à des influenceurs, c’est pour leur faire vivre les expériences de notre “programme Priceless” afin qu’à leur tour ils les fassent découvrir à leur communauté », révèle Laurent Mathis, directeur marketing France de Mastercard. Le programme Priceless est le concept de communication qui irrigue la stratégie de Mastercard depuis une vingtaine d’années et notamment leur politique en matière d’influence. En France, ce programme a été créé en 2012, et a pour ambition de proposer des expériences exclusives et à la valeur inestimable aux détenteurs d’une carte Mastercard. Cela comprend par exemple les grands événements dont l'annonceur est sponsor : Festival de Cannes, Roland-Garros, Coupe du monde de rugby… L'idée est de travailler la préférence de marque et la différenciation avec les concurrents. « Lorsqu’on invite un influenceur, c’est aussi l’opportunité de sensibiliser le public à nos enjeux, nos priorités, notre vision… À l'instar du Japon, qui nous permet d'aborder les notions d'innovation en termes de paiement », ajoute le directeur marketing.
Jeune profession
Le voyage d’influenceurs est une technique de communication qui se développe depuis à peine cinq ou six ans. Et à bien des égards, tous les annonceurs tâtonnent encore et composent leur méthodologie sur le tas. De leur côté, les influenceurs se professionnalisent toujours un peu plus, mais face aux contraintes, aux imprévus, ils sont toujours seuls pour prendre les décisions. « Les marques sont de plus en plus accoutumées à travailler avec nous, nous nous sommes éduqués ensemble, au fil des années. Pour autant, notre profession est en cours de construction. Ce nouveau “média” que les influenceurs constitue reste très jeune et très flou professionnellement, confie Natacha Birds. Il n'y a pas (encore) de charte de déontologie de l'influence, de personnes physiques ou entités pour nous représenter, nous guider sur nos droits et nos choix... » Léa Camilleri confirme les difficultés à « être son propre rédacteur en chef » : « De manière générale, j’essaye de verrouiller au maximum avec les marques les conditions du projet commun, que ce soit une simple collaboration, un événement ou un voyage, afin de gérer au mieux l'équilibre entre ma ligne éditoriale et les attentes de la marque partenaire. Mais notre véritable enjeu, c’est toujours le respect de notre communauté. » Sur Instagram, le rythme des stories des deux influenceuses ne faiblit à aucun moment. Et qu’importe si les abonnés n’ont pas accès aux images du match de rugby : les sons, l’ambiance, les couleurs et leurs commentaires sont autant de matière pour poursuivre, quoi qu'il arrive, la création et le partage de contenus.