Partenariats
Les annonceurs sont de plus en plus nombreux à miser sur les influenceurs pour relayer et cautionner leurs messages. Une tactique à l’efficacité avérée, mais soumise au respect de règles que tout le monde semble connaître sans toutefois forcément les assimiler.

Vlad Oltean, mannequin influenceur, qui propose des (faux) AirPods à 49 euros au lieu de 179 à ses 1,4 million d’abonnés Instagram ; Nabilla qui incite ses 4,1 millions de followers à « aller les yeux fermés » sur Traderlebitcoins.com, site spécialisé de trading de cryptomonnaies ; ou encore Camille Lacourt qui pose avec sa fille et un paquet de biscuits LU dans un square, pour les fans mais aussi pour l’argent, sans préciser la nature publicitaire de son post… Les cas de dérapages n’ont pas manqué ces derniers mois pour illustrer la relation naissante et toujours chaotique entre les marques et les influenceurs.

D’après l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), ces « manquements en matière de transparence et de loyauté » auraient toutefois baissé entre 2017 et 2018. Mais ils restent suffisamment nombreux pour préoccuper la profession. Car bien que l’ARPP demande que toute collaboration commerciale soit visible de façon « explicite et instantanée » par l’emploi de hashtags clairs (#EnPartenariat, #Sponsorisé…) et bien que la relation soit encadrée par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (article 20) et par l’article L121-2 à 4 sur les pratiques commerciales trompeuses du code de la consommation, « c’est encore la jungle, résume Stéphane Bellec, avocat spécialisé dans le droit des marques au cabinet De Baecque et Associés. Ni l’ARPP, ni la DGCCRF ne se sont réellement emparées du sujet. Dans les faits, l’annonce de collaboration est peu claire car noyée dans les hashtags. On ne distingue pas les posts publicitaires – pour lesquels l’instagrameur est rémunéré – des posts d’influenceurs… » Souvent assimilés à des médias, les influenceurs rencontrent de fait les mêmes soucis de mélange des genres, tantôt subi tantôt souhaité, entre contenus éditoriaux et contenus sponsorisés. « Nombreux sont encore les acteurs – influenceurs, marques et agences – qui ne connaissent pas suffisamment le cadre légal et de contractualisation des partenariats », confirme Pascale Azria, présidente de Kingcom et du syndicat du Conseil en relations publics, qui observe cependant « une volonté du marché de s’autoréguler pour clarifier la situation ».



Les petits influenceurs plus investis

Sur le terrain des pratiques, les influenceurs sont surtout sollicités pour apporter plus de résonance à une opération ou rendre un message plus crédible. C’est leur statut de pairs, de consommateurs qui prévaut. « C’est la raison pour laquelle les marques font de plus en plus souvent appel aux nano et aux micro-influenceurs, explique Marine Ravinet, brand & content manager de Happn. Ils sont plus frais, plus spontanés et plus investis que les gros influenceurs, surtout lorsqu’ils ont un lien direct avec le service ou le sujet de l’opération. » Conseillé par l’agence Josiane, le site de rencontres géolocalisées s’est ainsi offert les services de quatre micro-influenceurs parisiens, utilisateurs ou amateurs de l’application, pour relayer une opération de guérilla marketing qui détournait les noms de rues de la capitale (« Rue du jour… de notre rencontre », « Rue du regard… complice »). La marque leur demandait de prendre des photos de circonstance devant les panneaux et de les poster, ce qui a généré 10 millions de vues sur Instagram.

Passé le rôle d’amplificateur, les annonceurs ne sont pas vraiment innovants dans l’exploitation qu’ils font des influenceurs, plébiscitant depuis toujours le placement de produits dans les contenus des instagrameurs. Lequel représente 75 % des demandes faites par les marques. En revanche, la méthode a changé, cédant la place à une vraie mise en scène de l’objet : « L’influenceur partageant ce qu’il perçoit, la marque doit faire en sorte qu’il soit en mesure de vivre une expérience positive en utilisant son produit, mais aussi cohérente avec sa ligne éditoriale, explique Pascale Azria. De fait, le produit de mauvaise qualité est un risque, tant pour la marque que pour l’influenceur. »

La pratique la plus sûre pour la marque est bien entendu la cocréation du contenu, parce qu’elle lui permet de garder un pouvoir de contrôle même si elle ne représente que 6 % des demandes. Preuve que les freins psychologiques et le manque de maturité des annonceurs persistent. Mais l’étape ultime est la cocréation de produit avec l’influenceur, sur une collection capsule, un produit spécifique pour lequel l’influenceur a valeur d’expert. À l’instar d’un Zinédine Zidane développant un modèle de chaussure chez Adidas. « L’influenceur devient partie prenante, explique Yannick Pons, creative strategist chez Reech. Il est de fait plus investi, plus engagé, plus convaincant. Charge à lui de respecter sa communauté et de garder en tête que l’honnêteté et la transparence sont essentielles en influence. »

S’investir dans l’accompagnement

Au-delà des techniques, les professionnels s’accordent tous sur le respect de quelques règles communes. Il faut d’abord bien choisir son influenceur, en évitant notamment les fakes, dont les followers ont été achetés : « Certains annonceurs, comme Unilever, ont entièrement assaini leur programme d’influence, observe Martial Rousset, responsable digital chez Enov. Résultat, de plus en plus d’influenceurs font certifier leur influence via des outils comme Hype-Auditor. » Bien entendu, mieux vaut également respecter un certain équilibre entre contenus sponsorisés et earned media (pour éviter la saturation) en proposant des actions à forte valeur ajoutée ou à forte valeur d’usage qui permettront à l’audience de s’identifier, de se projeter dans ce qu’elle voit et de passer plus facilement à l’acte d’achat.

« Dans le cadre d’un programme intégrant plusieurs influenceurs et portant sur des produits spécifiques – alimentation, alcool, cosmétiques –, la marque et/ou l’agence doivent s’investir dans l’accompagnement en leur fournissant quelques éléments de langage, car leur engagement aux côtés de la marque les expose et peut les conduire à devoir traiter des demandes techniques ou sensibles, explique Felipe Canto Forest, directeur associé de FHCom. C’est ce que nous avons vécu en lançant la Box de l’atelier Charal [service de livraison de viande à domicile] à l’heure du véganisme et du fléxitarisme. » La remarque est d’autant plus vraie pour les influenceurs dont ce n’est pas le métier, plus crédibles parce que reconnus pour leur expertise, mais aussi moins formés que les pros. « Leur métier n’est pas de faire du contenu et tout notre travail est de créer une adéquation entre leur monde et celui de la marque », explique Anne-Servane Lasserre de StudioM. Pour une campagne Toyota, l’agence a ainsi prêté pendant trois mois un véhicule hybride à différents influenceurs en leur transmettant un brief complet sur les codes de la marque et ce qu’elle souhaitait montrer de la voiture. « Puis nous leur avons demandé de l’utiliser comme si c’était la leur… et de nous raconter. Finalement, ils ont produit plus de contenus que prévu ! » Plus la relation est naturelle et laisse de liberté à l’influenceur, plus elle a de chances d’être productive et efficace parce que perçue comme sincère. Ainsi, la règle la plus essentielle à respecter par les marques dans leur relation avec les influenceurs est aussi la plus contre-intuitive : accepter de lâcher prise. ◊

Trois questions à… Mohamed Mansouri directeur délégué de l’ARPP : « Notre action se limite souvent à un rappel à la loi »

 

Comment appréciez-vous ce qui relève du manquement ou du dérapage ?

Nous effectuons un monitoring des contenus par le biais d’outils d’écoute sociale pour identifier un faisceau d’indices, comme la présence avérée d’un engagement réciproque entre l’influenceur et la marque, mais aussi l’endossement des contenus, leur récurrence, la présence d’éventuels éléments de langage…

 

Comment traitez-vous les faux influenceurs et le drop-shipping ?

Notre périmètre se limite au contenu de la publication et n’intègre pas le canal de diffusion. Concernant le drop-shipping, le fait d’annoncer un faux prix barré est certes trompeur, mais n’est pas illégal tant que le produit n’est pas une contrefaçon.

 

Comment sanctionner ces dérapages ?

Pour l’heure, la loi en vigueur est la même que pour les autres médias, qui sanctionne la non-révélation d’une intention commerciale d’une amende de 300 000 euros et d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans. Étant toutefois plus orientée sur la pédagogie et l’autorégulation du marché, notre action se limite souvent à un rappel à la loi. Si cela ne suffit pas, la seule sanction reste le « name and shame » en publiant les conclusions de nos investigations.

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