Tech for good
À la tête de l’ONG Bayes Impact, Paul Duan, 26 ans, est convaincu que l’intelligence artificielle et le big data peuvent constituer des opportunités pour mettre la technologie au service de l’intérêt général. Rencontre avec un jeune entrepreneur social engagé.

Quelle est la mission de Bayes Impact ?

Paul Duan. Bayes Impact est une ONG globale dont l’objectif est de mettre la technologie et l’intelligence artificielle au service du bien commun. C’est ce qu’on appelle la « tech for good ». Il ne s’agit pas simplement de créer des vitrines technologiques mais vraiment de repenser la manière dont la technologie s’inscrit dans une logique de réinvention du service public, afin d’être utile au plus grand nombre. C’est cette conviction qui nous a conduits vers cette idée de service public citoyen.

Pourquoi avoir choisi ce nom ?

C’est un petit clin d’œil geek au théorème de Bayes, qui est central en probabilités statistiques. Il s’applique particulièrement à une branche de la probabilité qui permet de mettre à jour nos estimations et modèles du monde à partir de la connaissance, ou, en d’autres termes, d’améliorer nos prédictions à partir de la connaissance dont nous disposons. Qui détient la connaissance et l’information, détient le pouvoir, dit-on. Nous qui avons accès à des données, nous voulons redistribuer ce pouvoir aux gens pour engendrer de l’impact.

L’action de Bayes Impact en France est centrée sur l’emploi, à travers votre projet Bob Emploi. De quoi s’agit-il ?

C’est aujourd’hui le projet principal de Bayes Impact. Bob Emploi est une plateforme open source et gratuite, qui utilise l’intelligence artificielle et la data science pour fournir un bilan et des conseils personnalisés afin d’augmenter l’employabilité des chercheurs d’emploi. En deux ans, nous avons permis à 170 000 bénéficiaires d’obtenir un conseil personnalisé sur leur employabilité, grâce notamment à un partenariat que nous avons avec Pôle emploi, qui nous donne accès à leurs données. N’importe qui peut se rendre sur notre plateforme, répondre à un questionnaire, après quoi Bob croise ces informations avec d’autres afin de délivrer un diagnostic personnalisé. Notre outil génère un score d’employabilité et aide celui qui cherche un emploi en établissant pour lui un plan d’action, qui priorise les stratégies en fonction du diagnostic. Nous mettons à sa disposition les ressources dont il a besoin, comme la liste des villes les plus dynamiques sur son secteur, des conseils pour améliorer sa candidature, des agrégateurs d’offres... Nous ne prétendons pas résoudre magiquement le chômage mais nous redonnons du pouvoir aux individus pour agir sur leur employabilité.

Bob Emploi est-il une brique complémentaire qui s’intègrerait au service public de l’emploi ?

Les pouvoirs publics font partie intégrante de notre équation, nous avons d’ailleurs bénéficié d’une subvention du ministère du Travail. La question du financement de l’innovation dans le service public se pose de plus en plus aujourd’hui. Mais une initiative de service public citoyen comme la nôtre reste encore marginale. Nous souhaiterions que ce soit beaucoup plus simple demain, car il existe une vraie demande de co-innovation de la part de la société civile, un désir de participer, d’agir pour la société de manière constructive.

Quelles sont les prochaines étapes pour Bob Emploi ?

Nous travaillons sur trois axes : la R&D, pour améliorer le produit et rendre la plateforme utile à plus de public, la diffusion, pour renforcer la distribution de Bob en amorçant par exemple de nouvelles complémentarités avec les Missions locales, et enfin le déploiement à l’international. Plusieurs pays sont venus nous voir pour implémenter Bob. C’est une fierté pour nous de faire rayonner la France pour sa réinvention de la culture du service public à travers la technologie.

Avez-vous l’ambition d’aller au-delà du secteur de l’emploi ?

À terme, notre ambition est de répliquer la logique de la technologie mise au service de l’humain dans plusieurs domaines. Bob, avec l’emploi, ne serait alors plus qu’un exemple. Le service public traditionnel s’est plutôt construit dans une logique de guichet, en « top down ». Il y aura sans doute toujours besoin de ce modèle, mais nous pensons vraiment qu’une nouvelle génération de service public citoyen peut émerger, dans une logique d’empowerment. L’ère numérique peut servir la création d’intermédiaires nouveaux, qui placent l’humain au cœur des choses et qui repensent la relation entre le service et l’individu en donnant plus de pouvoir à ce dernier. Par exemple dans la santé, la relation patient-docteur a été transformée avec la démocratisation des connaissances médicales via les plateformes numériques. Il s’agit donc, au-delà de la visite médicale, d’inventer de nouvelles façons de répondre à des besoins qui ont muté quant à la prise en charge de la santé. Cela vaut aussi dans le domaine de l’éducation, de l’orientation scolaire…

Quel est votre modèle économique ?

Il n’y en a pas car nous sommes dans une logique de bien commun, de financement par la philanthropie. Nos mécènes (la fondation Google.org, JP Morgan, La France s’engage, Les Galeries Lafayette…) nous ont permis de créer Bob sans aucune logique mercantile, ce qui nous permet de nous concentrer sur l’utilité du service pour les personnes dans le besoin. Nous sommes actuellement en train de mener une levée de fonds philanthropique à hauteur de 1,5 million d’euros. Notre objectif premier est de trouver des soutiens qui partagent notre philosophie de service public citoyen. À terme, l’idée est de montrer que le modèle de la philanthropie peut permettre d’inventer et de développer le concept mais aussi de le pérenniser, en faisant des partenariats avec les services publics traditionnels notamment, afin de l’implémenter à grande échelle.

A 23 ans, vous avez quitté la Silicon Valley pour revenir en France. Pourquoi ?

J’ai toujours voulu agir pour le bien commun, donner du sens à mes actions. C’est pourquoi nous avons décidé, avec mon équipe, de quitter la Silicon Valley. Nous n’avons rien contre l’argent, mais nous étions prêts à en gagner moins et à nous engager davantage. Personnellement, j’ai eu la chance de bénéficier de l’ascenseur social. Je viens d’une famille d’immigrés chinois ; je suis né à Trappes, j’ai pu faire de belles études et réussir assez jeune grâce au service public. J’ai toujours été conscient que le succès ne se fait pas seul, qu’il y a tout un système derrière, et j’ai eu envie d’y contribuer.

Avez-vous un message à adresser aux pouvoirs publics ?

J’aimerais leur dire que nous ne sommes pas les seuls à avoir la volonté de participer au bien commun. J’aimerais les inciter à s’ouvrir davantage à la société civile et prendre conscience que les infrastructures manquent pour que celle-ci puisse mettre son talent à contribution. Aujourd’hui, les innovations ont tendance à se faire un peu en parallèle, voire parfois en contradiction, alors que la complémentarité est possible.

Une mission au cœur de l’impératif de proximité

Jamais la proximité n’a été autant revendiquée, comme une aspiration d’horizontalité et d’interactivité commune au citoyen (vis-à-vis des pouvoirs publics) et au client (vis-à-vis des entreprises). En même temps, jamais elle n’a aussi profondément été redéfinie, avec les nouvelles technologies qui ajoutent à sa définition spatiale une dimension virtuelle nouvelle, celle des affinités choisies. C’est tout l’apport de la contribution de Paul Duan que d’adapter cette aspiration d’horizontalité aux services publics, en promouvant une voie de co-innovation technologique de la société civile au service de l’intérêt général. Notre service public audiovisuel est aussi confronté à ce défi de la proximité, dans toutes ses dimensions. Alors que dans l’économie qui se dessine aujourd’hui, la proximité et la confiance deviennent les principaux enjeux de la création de valeur, alors que l’attrait pour les produits locaux ne cesse de croitre, la proximité devient une forme de respect et de transparence pour lesquelles l’engagement des marques est attendu dans tous les secteurs. À l’instar des projets de Bayes Impact et du génie de Paul Duan, il s’agit, ni plus ni moins, de remettre l’individu au centre des priorités.

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