ONG
Après avoir multiplié les campagnes d’hiver sur le mal-logement, l’organisation fondée par l’abbé Pierre tente de sensibiliser le public à travers une série de portraits signée Altmann+Pacreau.

Les SDF sont à l’affiche à partir du 15 novembre mais ce n’est pas un spectacle. Trois portraits au regard perçant sont placardés dans les villes. Avec ce message : « Merci de ne pas avoir baissé les yeux. » Pour une fois, impossible de passer à côté. Trop souvent, juge la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés, les personnes sans-domicile sont victimes d’indifférence, pas même regardées. Avec cette campagne, elle veut provoquer un électrochoc. L’appel de l’abbé Pierre sur Radio Luxembourg du 1er février 1954, pour venir en aide aux sans-abri, semble loin.

Cinquante ans plus tard, l’homme engagé enrageait, encore, contre cette « maladie de l’indifférence ». L’indifférence, c’est donc le thème que la Fondation a choisi en 2018. Jusqu’alors dans ses campagnes d'hiver, elle mettait en exergue un aspect du mal-logement, comme l’isolation ou la précarité. Cela ne suffisait plus. « Nous faisons un reset », résume, en un mot, Olivier Altmann, dont l’agence Altmann+Pacreau se charge des campagnes depuis deux ans. En 2017, le film « Be kind, rewind » retraçait la chute d’un homme perdant son emploi, sa femme, et se retrouvant à la rue… avant de rembobiner le clip en sens inverse pour illustrer sa réinsertion, et ainsi d’appeler au don. Mais quelque chose a changé en 2018.

 

Une campagne « coup de gueule »

«Nous faisons face à une montée de l’intolérance et de l'indifférence», pointe Yves Colin, directeur de la communication de la Fondation Abbé-Pierre depuis 2007. « En parlant d’humanité plutôt que de logement, on fait écho à notre signature “Être humain” », poursuit-il. Avoir élargi le spectre permettra-t-il de toucher plus de donateurs potentiels ? Pour Yves Colin, le lien n'est pas établi : « Il est plus facile de faire un don pour résoudre un problème précis qu'une cause en général. Mais on l’assume, insiste le directeur de la communication. C'est une campagne coup de gueule qui vient des tripes. Nous voulons porter l’héritage de l’abbé Pierre qui croyait en l’humanité et pour qui la vertu cardinale était la fraternité. »

« Quand on voit la crise des migrants et la montée du populisme dans le monde, on se rend compte que l’élan de générosité que l’on pouvait connaître dans les années passées est mis à mal par le chacun pour soi. Sur les réseaux sociaux, il y a de plus en plus de verbatim éructant qu’on n’est pas là pour accueillir la misère du monde, pour appeler de leurs voeux que les autres restent chez eux, et que l’on referme les frontières… » déplore Olivier Altmann. « Si les attentats en 2015 et 2016 ont provoqué beaucoup de solidarité, s’est aussi cristallisée l’idée d’un ennemi venant de l’extérieur», poursuit-il.

Alors la campagne en appelle à l’empathie. « Avant de savoir s’il s’agit d’un Rom, d’un migrant ou d’un SDF, c’est d’abord un être humain en train de souffrir proche de moi, je dois donc le considérer comme tel avant que mon cerveau rationnel dise de l’ignorer », décrit le patron de l’agence. Si le message remercie de ne pas avoir détourné les yeux devant la misère, quand on y regarde de plus près, il verse aussi dans l’injonction. Sur l’affiche représentant une petite fille rom, est écrit « merci de ne pas fuir son regard ». « Sur celle-ci, on se l’est permis », pose Yves Colin.

 

4 millions de mal logés

En prenant la parole, non plus sur le mal-logement, mais sur l’humanité, la Fondation Abbé-Pierre « remonte sur une problématique plus globale ». « Cela permet à la Fondation d’affirmer les fondamentaux de son action », souligne Olivier Altmann. À la suite à l'opération, Yves Colin espère « une prise de conscience, et que l’on comprenne qu’on ne regarde pas ces gens-là comme on le devrait ». Du côté des donations, l’organisation – qui collecte 40 % de ses dons annuels en décembre – après une année 2017 correcte, s'attend à un effritement en 2018. La hausse de la CSG pour certains retraités et le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) auraient un impact. Les retraités, réputés être des donateurs réguliers aux ONG, auraient dû arbitrer face à une baisse de leur revenu disponible. Les plus aisés attirés par la défiscalisation des dons, eux, seraient devenus moins nombreux avec la réduction de l’impôt sur la fortune, au seul patrimoine immobilier.

En attendant, on ne connaît pas le vrai chiffre des sans domicile fixe en France. Le dernier recensement de l’Insee remonte à 2012. Il faisait déjà état d’une hausse de 50 % sur 10 ans, avec plus de 143 000 SDF. Et c’était avant les vagues migratoires d’Afghans, Libyens ou encore de Syriens. Sans compter le nombre de personnes mal-logées, que la Fondation estime à 4 millions dans son dernier rapport annuel publié en février 2018. 

La campagne de la Fondation est diffusée en télévision à titre gracieux, et probablement sur M6, avec qui la Fondation a de bonnes relations. En digital, l’agence devrait tenter un coup sur Dailymotion avec une activation en pre-roll. Le clip mettrait en scène une personne filmée en vue subjective, se dirigeant vers un sans-abri. Au moment où celui-ci lève la tête pour croiser notre regard, le fameux message « Ignorer cette annonce » apparaît. Pour ceux qui font le choix de poursuivre la vidéo, ils pourront faire face au regard du SDF, et se verront remerciés de ne pas avoir baissé les yeux.

Chiffres clés:

860 000euros. Dépenses médias annuelles (source: Fondation Abbé-Pierre)

48,4 millions d'euros. Ressources collectées d'octobre 2016 à septembre 2017

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.