« Le marché de la publicité digitale est ce qu’on appelle un marché biface. Théorisé, notamment, par l’économiste et prix Nobel Jean Tirole, ce marché tire sa spécificité du fait qu’il organise la rencontre entre deux catégories distinctes d'acteurs (en l’occurrence, ici, les annonceurs et les utilisateurs), par l’intermédiaire d’une « plateforme » (un site internet). Lorsqu’un problème de confiance se pose quelque part, cela influe aussi sur les autres parties…
Pour ce qui est, d’un côté, de la confiance entre les annonceurs et les sites web, nous entrons dans une phase de maturité. Les certifications sur la qualité média fleurissent, comme celles du MRC [Media Rating Council], ou le label Digital Ad Trust. Si les acteurs font des efforts pour injecter de la transparence, il semble toutefois que les effets ne se fassent pas encore sentir. Et les annonceurs peuvent préférer réaliser un investissement global sur Facebook, plutôt que sur plusieurs petits sites. Toutefois, les choses pourraient changer, car la confiance dans ce réseau social est désormais remise en question. Quoiqu’il en soit, ces certifications transforment les relations avec les sites, font évoluer les pratiques publicitaires. Car les annonceurs, à partir du moment où ils ont la possibilité de procéder à des vérifications, réhaussent potentiellement leur niveau d’exigence. Ce qui a, aussi, des conséquences pour les internautes.
Fausse donne
Voyons, de l’autre côté, comment cela se passe entre les utilisateurs et les sites web. Avec, notamment, la multiplication des scandales comme Cambridge Analytica, les particuliers apparaissent de moins en moins enclins à partager leurs données. Ils ont tendance à se protéger, par exemple, en ne donnant pas les vraies informations lorsqu’ils s’inscrivent dans des bases de données. Ce qui fait que les annonceurs, eux, achètent des bases faussées. La question est, alors, de savoir comment réinjecter de la confiance dans cette relation.
La labellisation comme solution
Trois pistes sont possibles, à commencer par la régulation. Le RGPD pourrait provoquer un potentiel regain de confiance. Mais cela n’a pas encore été mesuré. Des économistes travaillent en ce moment sur les données personnelles post-consentement. Autre piste : la labellisation. Citons, à titre d’exemple, les labels de la Cnil, qu’on a tendance à voir comme un gendarme, alors qu'ici elle peut aussi rassurer les consommateurs. Enfin, réinjecter de la confiance pourrait passer par l’utilisation d’offres alternatives, qui concurrencent les acteurs traditionnels sur la question des valeurs, tels les moteurs de recherche Qwant ou encore DuckDuckGo. Toutefois, des problématiques de service se posent. Il semble, à l’usage, que Google propose une vraie qualité de service, mais allant de pair avec un coût pour la vie privée. Un arbitrage personnel doit alors être réalisé. »
Le prof
Martin Quinn est docteur en économie, membre de la Chaire Valeurs et Politiques des Informations Personnelles de l'Institut Mines-Télécom, groupe d’écoles d’ingénieurs et de management. Après des études d’économie à la Paris School of Economics et un master 2 à Télécom ParisTech, il a soutenu, en juillet 2018, une thèse en économie numérique, autour des nouvelles problématiques de la publicité en ligne.