C’est un sondage plutôt sombre que révèle l’Institut Odoxa ce matin, dans son Observatoire des comportements de consommation, pour l’agence Emakina. Alors que tout le marché du marketing numérique cherche encore et encore à personnaliser sa relation client, à se vouloir multicanal pour atteindre le consommateur à tout prix, il se pourrait que celui-ci en ait... plus qu'assez !
Bye Bye Omnicanal !
Les chiffres font froid dans le dos. Certes, il ne s’agit que d’un sondage, réalisé sur 962 personnes, interrogés par internet les 9 et 11 mai (donc peu après l’affaire Cambridge Analytica, qui a sûrement eu un impact sur les réponses) mais il est alarmant. 64% du panel n’apprécie pas qu’on lui suggère des produits correspondant à son profil ou à ses goûts. C’est donc un rejet formulé pur et simple de la personnalisation… Idem, 65% n’aiment pas recevoir des newsletters ou des promotions de produits par mail. De quoi faire pâlir un responsable de campagnes d’acquisition…
Pire, selon Odoxa, les publicités ou promotions qui « correspondent » aux goûts des consommateurs sont rejetés par 72% d’entre eux. Ce serait près des trois quarts des « cibles » qui recevraient une publicité avec un a priori négatif ! En matière de contexte publicitaire, on peut mieux faire…
Un autre chiffre, quant à lui, vient plomber tous les discours des distributeurs et des partisans du « phygital », puis que 74% des personnes interrogées n’apprécient pas qu’on les suive en tant que client pour « une expérience continue entre magasins et digital ». Bye bye omnicanal ! Même avec une marge d’erreur de 2,8 points (selon la grille Odoxa), le chiffre est détonnant.
Jeunes et moins jeunes
Seule dose d’espoir pour le marketing dans ce marasme statistique : le clivage générationnel. On s’aperçoit en effet que l’acceptation des techniques de personnalisation augmente avec la jeunesse. Les 18-24 ans apprécient mieux les différentes pratiques marketing que leurs aînés de 65 ans et plus. Le suivi en tant que client est plébiscité par 39% des jeunes contre 15% pour les moins jeunes, la publicité personnalisée à 37% vs 19%, et les mailings à 41% contre 30%.
Autre petit rayon de soleil (mais maigre) : l’origine de ce refus en bloc des techniques de marketing proviendrait davantage du traitement des données personnelles que du marketing en soi. « Loin d’être convaincus de leur apport en termes d’expérience client, [les Français] sont surtout inquiets de l’utilisation que peuvent faire les sites de e-commerce [de leurs données]. 81% des Français se déclarent préoccupés par la collecte et l’utilisation de leurs données par des sites de e-commerce, 33% se disent même très préoccupés », affirme le sondage, par la voix de Céline Bracq, DG d’Odoxa. Et évidemment, les plus âgés sont les plus négatifs sur le sujet : pour 89% d’entre eux, la collecte de leurs données est une préoccupation.
« Fake nous »
Fort de cette aversion, les Français n’hésitent pas à trouver toutes sortes de parades, et à mentir éhontément sur internet. 60% des personnes interrogées donnent de fausses informations aux sites e-commerce. « A quel point un site de e-commerce prend-il le risque de perdre des clients en cherchant à collecter un maximum d’informations personnels ? », s’interroge Céline Bracq.
43% ont déjà donné de fausses informations dans les formulaires, et 29% n'ont pas hésité à donner sciemment une mauvaise adresse mail. Ainsi, 38% des personnes interrogées ont même une adresse mail « Poubelle », pour la publicité et les spams – les deux étant mis au même plan. Encore une fois, le clivage générationnel est réel, avec des jeunes renonçant moins à un service qui nécessite de rentrer ses données personnelles, mais n’hésitant pas à tricher. Les plus âgés, eux, prennent moins de risques en livrant moins d’informations contre les services, mais sont plus honnêtes quand ils le font.
Enfin, une semaine après l’entrée en vigueur du RGPD au niveau européen, une partie de l’étude est inquiétante à plus d’un titre. 67% des personnes interrogées avouant ne pas faire confiance aux marques pour les appliquer.
Nouvel emballage
Pour Manuel Diaz, le fondateur d’Emakina, outre la question des données personnelles, « les marques ont changé l’emballage sans changer le produit. Elles emploient de nouveaux mots, comme « engagement », « marketing relationnel », « création de lien », mais continuent d’employer les mêmes techniques. […] le marketing, qui est supposé créer de l’engagement est une machine à exaspérer. »
Certes, il ne s’agit que d’un sondage, et il serait prématuré de faire le procès du marketing, de ses techniques et de ses objectifs. Mais chaque piqûre de rappel négative est une occasion de se remettre en cause. Car si une chose est sûre, c’est qu’à trop tirer sur la corde, les consommateurs pourraient définitivement basculer.