Hôtellerie
Marcel Proust, Gustave Flaubert, Alexandre Vialatte, Marcel Aymé... Ces écrivains donnent chacun leur nom à des hôtels, regroupés dans la Société des Hôtels Littéraires. De son côté, un haut lieu de la vie intellectuelle, Les Deux Magots, se met au marketing. Un moyen de monter en gamme auprès d'une clientèle érudite.

[Cet article est issu du n°1946 de Stratégies, daté du 12 avril 2018]

« Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d'Orchampt, un excellent homme nommé Dutilleul qui possédait le don singulier de passer à travers les murs sans en être incommodé. » La phrase est extraite de la fameuse nouvelle de Marcel Aymé, Le Passe-Muraille. La statue du personnage, surgissant des pavés d’un mur, orne la place qui porte le nom de l’auteur des Contes du chat perché, de La Vouivre, d’Uranus et de La Jument Verte. À quelques rues de là, au 16 de la rue Tholozé, un nouvel établissement a ouvert ses portes, l’Hôtel Littéraire Marcel Aymé. Sur les murs gris perle, des citations de ses divers ouvrages - comme la Traversée de Paris – côtoient des éditions rares des livres de Marcel Aymé ainsi que des dessins originaux, des lettres manuscrites, qui sont tous la propriété de Jacques Letertre, président de la Société des Hôtels Littéraires, patron de l’hôtel et bibliophile averti. « Insomniaque depuis toujours, je suis un lecteur compulsif », raconte-t-il.

Du côté du Swann

Jacques Letertre, qui officie dans l’hôtellerie depuis trente ans. Il possède douze hôtels en France, dont quatre littéraires. « En 2011, nous nous sommes dit que les hôtels insuffisamment différenciés seraient susceptibles de rencontrer des difficultés dans les années à venir. J’ai alors pensé à réunir ma passion et mon activité. » Fervent proustien, le président de la Société des Hôtels Littéraires ouvre ainsi, à loccasion du 100e anniversaire de la parution de Du côté de chez Swann, le Swann, rue de Constantinople à Paris - dans le quartier de la Plaine-de-Monceau où Proust vécut. « Nous choisissons à chaque fois un auteur que nous aimons particulièrement et que nous connaissons bien, explique Jacques Letertre, qui s’adjoint les services d’une conseillère littéraire. Sur le Swann, le succès a été très rapide ».

Suivent l’ouverture du Gustave Flaubert à Rouen, puis l’hôtel Alexandre Vialatte à Clermont-Ferrand. Tous des quatre étoiles. « Nous avons très nettement augmenté notre taux d’occupation et le coût moyen de nos chambres », se félicite l’hôtelier. Décorées de la collection personnelle de Jacques Letertre, les chambres retraduisent l’univers de chaque écrivain. Au Swann, chaque chambre porte ainsi le nom d’un personnage de la Recherche. « On ne travaille pas de la même manière sur Proust, qui vivait en 1900 que sur Vialatte, qui a écrit dans les années 1960… Les gens veulent pouvoir dire “J’ai dormi dans la chambre d’Oriane de Guermantes”. Un exemple : contrairement à ce que l’on pourrait croire, Proust ne trempait pas ses madeleines dans du thé, mais était un grand consommateur de café – jusqu’à 25 par jour, qu’il mariait ensuite à des tranquillisants pour dormir..., indique Jacques Letertre. Nous offrons gracieusement à nos clients le café que buvait Proust : celui de la Maison Richard, rue de Lévis, non loin du Swann. »

Pour autant, les hôtels littéraires ne s’adressent pas uniquement à des puristes proustiens ou flaubertiens. « On ne remplit pas un hôtel de 82 chambres qu’avec des fanatiques, même si des groupes, comme le Marcel Proust Gesellschaft, peuvent réserver 20 chambres d’un coup au Swann, souligne Jacques Letertre. Plus globalement, l’étranger qui vient en France en a une image de culture et de littérature – nous sommes le pays qui a remporté le plus de Prix Nobel de Littérature. L’étranger qui vient à Paris est presque surpris de ne pas croiser d’écrivain célèbre à la table des cafés… »

Courtiser les Parigots

Comme à la terrasse de l’un des plus fameux cafés littéraires, Les Deux Magots, avec vue pittoresque sur l’église Saint-Germain. L'établissement fondé en 1812 a décidé, lui aussi, de mêler littérature et marketing. Celui qui reçut à sa table Paul Verlaine, Arthur Rimbaud, Stéphane Mallarmé, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir vient de réaliser des travaux d’embellissement, et entend remettre en lumière ce prestigieux passé. Pour séduire à nouveau - contrairement aux hôtels littéraires - les Parigots pur jus. « Pendant une trentaine d’année, nous avons été le lieu de passage d’une clientèle touristique. Nous souhaitons reconquérir le cœur des Parisiens : les tensions internationales, comme les attentats de 2015, fragilisaient notre établissement », explique Jacques Vergnaud, directeur général depuis 2017, ex-expert en stratégies et cousin de Catherine Mathivat, quatrième génération de la famille Boulay Mathivat à la tête de l’établissement depuis 1914. Axe de développement, le rafraîchissement du décor, qui se veut plus « expérientiel », entre bibliothèques et miroirs animés, mais aussi l’événementiel. « Prix des Deux Magots, Prix Apollinaire, Prix Pelleas, mais aussi concerts de jazz, dans l’esprit germanopratin… Nous essayons d’organiser un événement par mois pour satisfaire notre clientèle fidèle, et renouer avec nos origines, un lieu d’élégance, un lieu intellectuel. »

Des écrivains pas trop clivants

De son côté, devant le succès de ses établissements, Jacques Letertre planche sur un cinquième hôtel littéraire. Ce sera l’hôtel Rimbaud, non loin de la gare de l’Est, l'endroit même, rappelle Jacques Dutertre, « où le poète rejoignit Verlaine, à son arrivée à Paris ». « Il s’agit de choisir des écrivains pas trop clivants. Un hôtel Louis-Ferdinand Céline, ce serait plus compliqué, même si on aurait des retombées médiatiques, s’amuse l’érudit patron. Le choix du lieu est également crucial. Il faut que la ville ait une certaine taille : Charleville-Mézières, ville natale de Rimbaud, ce serait moins évident en termes de clientèle… »
Avec l’auteur du Dormeur du Val, la Société des Hôtels Littéraires se frotte, après la prose, à la poésie. « Rimbaud est extrêmement connu à l’étranger, remarque Jacques Letertre. Quoi qu’il en soit, à chaque fois, il s’agit que le storytelling de l’hôtel soit fidèle et sincère ». Et quels meilleurs storytellers que les grands écrivains ?

Chiffres-clés


4 : nombre d'hôtels de la Société des Hôtels Littéraires, qui passera bientôt à 5, avec l'ouverture de l'hôtel Rimbaud dans un an.

250 : nombre de chambres au total des quatre hôtels littéraires.

1500 : nombre de clients quotidiens des Deux Magots.

800 : nombre de couverts servis par Les Deux Magots midi et soir.

65 : nombre d'employés des Deux Magots.

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