Télécoms
En faisant un véritable mea culpa sur sa gestion de la relation client, Patrick Drahi reprend en mains SFR. Il cherche à reconquérir des abonnés tout en sauvant son modèle de la convergence entre médias et télécoms.

«Patrick Drahi n’est pas un aventurier, il maîtrise parfaitement son métier et les financements. On va se recentrer sur notre actif français», déclare Alain Weill mardi 28 novembre, à une conférence des Echos. En pleine tempête boursière, celui qui dirige toujours les médias d’Altice s'est vu confier la présidence de SFR en France. Mais comme l'explique Arthur Dreyfuss, directeur de la communication d'Altice, les rôles sont clairs: «Armando Pereira va piloter les activités télécoms et Alain Weill, les activités médias». Les deux entrepreneurs ont la lourde tâche de regagner la confiance des marchés alors que la valeur de l'action Altice a fondu des deux tiers en six mois. Une équation à deux inconnues: comment réhabiliter SFR aux yeux de ses clients tout en sauvant le modèle de la convergence ? Il faudra aussi veiller à assurer le succès commercial de la marque Altice, en remplacement de SFR. Le lancement a été retardé à la fin 2018 ou début 2019, une fois réglés les problèmes techniques sur le réseau et dans la relation client. C'est là qu'Alain Weill sera utile: «Il va apporter sa vision marketing, sa connaissance du public», résume Arthur Dreyfuss. «Ce sera l'homme des relations publiques, des contacts avec les pouvoirs publics et les collectivités locales», croit savoir Elsa Bembaron, journaliste et auteure de Patrick Drahi, l'ogre des networks. La convergence consiste aussi à envoyer un homme qui compte, dans les médias, défendre les intérêts de SFR.   

 

Crise de confiance

C'est vrai qu'il y a fort à faire. En deux ans, ce sont plus d'1,5 million d'abonnés qui ont déserté l'opérateur. Et 2,5 millions en trois ans. Devant les salariés de SFR, à Saint-Denis, Patrick Drahi s'est lui-même livré à un mea culpa: «Il n'y a pas de raison objective pour expliquer le départ des clients, la seule raison, c'est que nous ne les traitons pas comme il faudrait (...) On n'a pas réglé les problèmes des clients en France comme on aurait dû». Une plongée sur les réseaux sociaux suffit pour s'en rendre compte. «La marque SFR n'est pas directement impactée par la crise boursière mais elle est assez mal traitée au niveau des clients, explique Marie Muzard, fondatrice du cabinet MMC. Il y a une certaine hostilité qui ressort dans la majorité des commentaires sur la qualité du service, le SAV, la facturation et beaucoup de colère sur des problèmes de résiliation. Quand on en est à plusieurs critiques par heure depuis des semaines ou des mois, on est devant une crise de confiance. La marque est abîmée». Le dirigeant en a conscience. Le 17 novembre, il s'est adressé à ses «chers collègues de SFR»: «Nous vous demandons deux choses, écrit-il: 1) faire remonter immédiatement à vos managers les difficultés, en particulier celles rencontrées par nos clients; 2) concentrer tous vos efforts pour améliorer la vie de nos clients»

Les investissements dans le réseau avaient été retardés lorsque Vivendi, le précédent propriétaire, avait décidé de vendre SFR. Malgré un réinvestissement sensible (2,2 milliards d'euros en 2016 contre 1,7 milliard deux ans plus tôt), les effets se font attendre. Surtout, la réduction des coûts destinée à permettre le rachat de SFR 13,5 millions d’euros et le remboursement de sa dette, a des conséquences directes sur la satisfaction des clients. Un centre d'appels, géré à l'économie, qui ressemble à un parcours du combattant pour l’abonné. Il se passe parfois une semaine sans que rien ne soit réglé. «Le problème ne commence pas quand le client appelle, relève Arthur Dreyfuss. Il faut faire en sorte que l'abonné appelle moins. Quand on a racheté Cablevision, on a fait passer en huit mois le nombre d’appels moyen des clients de 8 à 2,5 par an sur des problèmes de factures (…). Il y a trois ans, en Israël, Hot était la deuxième marque télécoms, la plus contestée, avec des problèmes de service clients. On a su restaurer la confiance et en faire une des marques préférées des Israéliens».  

 

Questions-réponses

SFR prend-t-elle un chemin semé de roses... ou de nouvelles épines? Elsa Bembaron rappelle qu'en faisant un plan de départs volontaires portant sur 5000 postes sur 15000, le groupe a fait partir «des pans entiers du service clients». La valse des dirigeants n'a pas aidé non plus car dans la foulée des évictions au sommet, c'est toute la stratégie marketing et business qui était à revoir. En trois ans, ce sont trois directeurs exécutifs grand public qui se sont succédé. Le dernier en date, Grégory Rabuel, n’a rien d’un manager international: c’est un opérationnel pur. Le retour de Patrick Drahi dans la cabine de pilotage, avec son associé historique Armando Pereira comme copilote, vise à rassurer les passagers comme l'équipage. Le fondateur d'Altice est allé au-devant de ses 10 000 salariés en organisant une séance de questions-réponses sur le web. «Il a dit que le plan de départs volontaires était une connerie, ce que les méchantes langues ont traduit par “le prochain ne sera pas volontaire”, et il a répondu “oui” à la question de savoir si l'on pouvait mettre la pression sur des sous-traitants choisis par Armando Pereira», relate un manager. Son message sur la priorité donnée à la satisfaction des clients par rapport à la réduction des coûts est néanmoins bien passé. «Il n’a pas traité seulement les investisseurs. Il a aussi parlé aux syndicats et aux équipes opérationnelles avec qui il parle désormais tous les jours, complète Arthur Dreyfuss. Il a installé une ligne directe entre lui et le top management de SFR et 1000 managers. Il s’agit de faire remonter tous les problèmes mais aussi les idées et les solutions».

Reste à savoir si les augmentations tarifaires décidées sans l'accord du client, pour tenir des objectifs de rentabilité, appartiennent au passé. Claire Barbaret, analyste chez Invest Securities, estime que SFR est allé trop loin: «Ils ont pris le problème dans le mauvais sens en jouant sur les contenus, sans s'attaquer à la qualité de leur service, note-t-elle. Est-ce que la Champions League [dès la mi-2018] va attirer les foules? Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c'est qu'avec la portabilité du numéro les clients ne se gênent pas pour aller ailleurs». On le voit, derrière la relation client, perce un doute sur la fameuse convergence. Car dès lors que sont imposées des hausses de tarifs au motif de l'intégration d’Altice Studio ou SFR Sport, les contenus deviennent un problème plutôt qu'une solution.

 

Des packages ciblés

Pour le dircom d'Altice, le groupe se prépare donc à revoir sa copie: «La stratégie n’est pas challengée, c’est plutôt un retour aux fondamentaux qui consiste à faire les choses dans l’ordre, précise-t-il. C’est très bien de proposer la Champions League et des séries, mais il faut cibler les fans de foot et de séries, et que ceux-ci n'aient plus de problèmes avec leur service, leur réseau ou leur box. Il faut d’abord améliorer la vie quotidienne des clients. C’est comme si vous voulez faire la meilleure tarte aux pommes et que vous avez la recette, les meilleurs ingrédients, le chef, la cuisine la plus moderne, le resto plein, mais que vous n'avez pas branché le four!» 

L'idée est donc de retravailler les offres en proposant des packages ciblés, notamment en OTT. Patrick Drahi s’en est ouvert devant les salariés. «Vous avez 150000 fans de la Premiere League pour une base de 20 millions de clients à SFR à laquelle on a demandé 1 à 2 euros supplémentaires. Vous faites des millions de clients contrariés alors que vous auriez pu augmenter la facture de 10 euros pour les seuls fans de sport. Et c’est pareil pour les films et les séries. La bonne nouvelle, c’est que l’on s’en rend compte, on va revoir nos offres play TV avec des propositions ciblées». Une petite révolution lorsqu'on songe que les contenus ont parfois été pensés essentiellement comme des outils anti-churn, voire d'optimisation fiscale avec SFR Presse malgré ses 150000 téléchargements par jour (des versions payantes devraient suivre). 

Il n'empêche que des interrogations se font entendre sur le modèle même de l'intégration verticale. «La convergence est évidente au niveau macro-économique et pas évidente au niveau des entreprises, les infrastructures ont intérêt à vendre de l'accès à tout le monde alors que les packages de contenus répondent à une demande très segmentée», explique Eric Brousseau, professeur à Paris Dauphine. Pour apaiser les marchés, qui voient dans la dette de 51 milliards d'euros d'Altice un motif d'inquiétude, Patrick Drahi doit désormais faire une pause dans les acquisitions, céder des actifs comme en République dominicaine et lever le pied sur les contenus. Les analystes ne le voient pas, en l'état, concourir aux droits de la Ligue 1 l'an prochain mais ils restent prudents: «L’arrivée d’Alain Weill à SFR pourrait laisser penser qu’Altice va frapper fort dans les droits du foot. Mon scénario était que Canal pourrait prendre les deux tiers des droits de la Ligue 1 et Altice le tiers restant, détaille Bruno Hareng, analyste chez Oddo BHF. Mais j’en suis moins convaincu aujourd’hui. La priorité pourrait être de monétiser les contenus actuels et de se désendetter. Mais peut-on faire des offres OTT à 10 euros avec la Champions League et la Premiere League anglaise ou faut-il rajouter la Ligue 1 pour être plus attractif?»

Quid du rebranding de SFR? «Le changement de nom n'est plus une priorité, souligne Elsa Bembaron. Ce n'est pas le moment de sortir des dépenses non récurrentes. Et cela permet d'épargner un peu Altice en laissant SFR essuyer les plâtres». Mais au fait qu'en est-il de cette marque appelée à un destin commercial? Sa réputation auprès des salariés, des sous-traitants - tous payés aujourd'hui, assure-t-on - ou des pouvoirs publics ne risque-t-elle de déteindre sur l'objet commercial? «Je suis à peu près certain que SFR a perdu des abonnés à cause du corporate, explique Jean-Christophe Alquier, patron de l'agence du même nom. Si vous êtes clients, vous pouvez vous demander ce que vous allez devenir. C'est le moment où la problématique de la com commerciale rejoint les difficultés de la com corporate. C’est la pire des équations en termes de communication». Heureusement que le polytechnicien Patrick Drahi s'y connaît en équations...

SFR a confié son achat média à Publicis

Le contrat de SFR avec une agence médias a été accordé à Publicis sans appel d’offres après trois ans chez Havas. Explication d'Altice : tout remonte à mai 2016, lorsque SFR fait concourir WPP, Havas et Publicis sur le projet de changement de marque, à la fois en termes de création et d'implémentation. Après trois mois, l'agence américaine de design de Publicis, Turner Duckworth, l'emporte. Puis, tout naturellement, le groupe travaille avec Publicis sur l'achat média sans passer, reconnaît-il, par un appel d'offres, mais après avoir travaillé avec WPP puis Havas. S'agissait-il d'harmoniser l'achat d'espace avec la création ? Sans doute, sauf que le premier reste géré localement quand la seconde est mondialisée entre les mains d'une seule agence. «Nous ne fonctionnons pas en dehors des règles du marché», précise une source proche de l'opérateur. 

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