La course des géants des nouvelles technologies vers le nouvel eldorado de la santé connectée s'accélère. A quelques jours d'écart, Samsung et Apple ont dévoilé leurs plates-formes d'applications santé. Et Google fourbit ses armes. De l'avis de l'experts, il s'agit d'une révolution proche de celle qu'engendra la naissance de l'Appstore, en juillet 2008. Start-up et constructeurs ont défriché le terrain des objets connectés liés à la santé, qui, couplés à des applications mobiles, permettent de visualiser les «datas» recueillies sous forme de graphiques et chiffres clés. «Smartwatches», bracelets et balances connectées séduisent le grand public.
L'arrivée des trois géants de la high tech n'est pas anodine. A commencer par celle d'Apple, silencieux sur le sujet jusqu'à présent, et qui a souvent montré par le passé, de par sa puissance marketing, sa capacité à rendre désirable toute innovation. Mais le premier à avoir ouvert le feu est Samsung. Le 28 mai, le coréen dévoilait Simband, un bracelet futuriste (pas encore en vente) qui relèvera des datas telles que la température de la peau, le rythme du cœur ou la pression sanguine. Sa plate-forme SAMI (Samsung Architecture Multimodal Interactions) et ses API (interfaces de programmation) ouvertes permettront aux développeurs de créer leurs capteurs et services santé. Samsung crée ainsi, en quelque sorte, son propre Android pour la santé. Il compte déjà à son actif la montre connectée Galaxy Gear, et le traqueur d'activité Gear Fit.
Le 2 juin, lors d'une keynote-fleuve, Apple dévoilait HealthKit, un kit de développement à partir duquel, là encore, les développeurs pourront concevoir des services santé. Pour la firme à la pomme, c'est une première: elle ouvre ainsi son IOS et 4 000 nouvelles API à des tiers. S'y ajoute l'appli mobile Health, qui sera incluse cet automne dans IOS8, prochaine version du système d'exploitation mobile d'Apple. L'idée est de créer une sorte de Passbook de la santé, à savoir une série d'informations centralisées en un même endroit pour surveiller ses données vitales d'un coup d'œil. Niveau d'activité, pression sanguine, poids, diabète... tout cela sera sous contrôle. Enfin, Google pourrait lancer son Google Fitness API le 25 juin, lors de sa conférence de développeurs, I/O. Même idée: rendre possible l'intégration de paramètres venus d'objets différents, de capteurs, en un point d'agrégation unique, le téléphone portable.
Ces nouveaux «hubs» seront au centre de nos vies et agrégeront des apps tierces préexistantes et des données santé. Ces API ouvertes sont une opportunité sans précédent pour les marques et leurs agences, qui pourront y greffer leurs propres services comme sur l'Appstore. Une manière aussi, pour Samsung et Apple, de garder la main sur la relation client. «Déjà Apple maîtrise la relation client avec son OS, où l'utilisateur rentre son numéro de carte bancaire, en zappant Orange ou SFR. Ici, Samsung et Apple cherchent à se positionner en tant qu'agrégateurs mais gardent la relation client. Les marques devront trouver leur place dans cet écosystème. Par exemple, avec un objet connecté santé ou en domotique, un assureur pourra tirer des bénéfices inédits, comme avoir un scoring du risque, et proposer des polices d'assurances différentes», souligne Marc Morel, directeur de l'activité consulting de Niji, agence de design et de conseil.
«Apple a une communauté importante de fans, mais il ne va pas créer lui-même de nouveaux services ou objets connectés liés à la santé. Ses 4 000 nouvelles API vont permettre à un annonceur de proposer un prédiagnostic santé avec check-up : vue, état cardiaque...», ajoute Stéphane Zibi, directeur du développement et de l'innovation chez Valtech. Cela pose déjà la question de la propriété des données collectées, même si Tim Cook, CEO d'Apple, a souligné que l'IOS8 protégera la vie privée des utilisateurs. La Commission nationale informatique et libertés (Cnil) s'interroge sur le sujet. «L'ampleur du phénomène est difficile à évaluer» mais «ces données sont très proches de notre corps», soulignait sa présidente, Isabelle Falque-Pierrottin, lors d'une conférence le 28 mai.
«Les datas personnelles seront centralisées sur votre teléphone, pas partagées sans votre consentement explicite: c'est destiné à rendre les choses plus pratiques. Nous ne vendons pas les données, mais nous les agrégeons de manière anonyme pour créer des statistiques, de nouvelles formes de prévention», souligne Cédric Hutchings, directeur général de Withings. Mais de fait, ces datas permettront de détecter des modes de vie incompatibles avec une bonne santé, ou de vérifier si le malade suit le traitement indiqué. Des tentations évidentes pour les assurances et les banques. Axa ouvre d'ailleurs une brèche en la matière (voir article ci-dessous). Avec le quantified self, le débat entre protection de la vie privée et nouvelles opportunités marketing est relancé.