En quelques jours, Facebook aura multiplié les annonces: le lancement de son «ad exchange», système de vente d'espaces aux enchères en temps réel, les premiers tests de sa régie publicitaire mobile aux Etats-Unis. Puis l'annonce surprise que les entreprises utilisant les pages fan pour faire des offres commerciales à leurs «fans» devront désormais payer pour cela, en lui achetant de la publicité en même temps.
Quelques jours avant, le 11 septembre, Mark Zuckerberg est venu lors de la conférence Techcrunch Disrupt à San Francisco (Californie), faire amende honorable. «La performance de l'action [en Bourse] a de manière évidente été décevante», a-t-il admis. Avant d'ajouter: «Il y a six mois, nous n'avions pas une seule publicité sur mobile. Maintenant, nous sommes une entreprise mobile.»
Une baisse de popularité
Mais pourquoi une telle frénésie? Après avoir vu son action perdre en trois mois la moitié de sa valeur par rapport à son niveau d'introduction (38 dollars), Facebook perd en popularité. Un sondage réalisé par BVA pour Le Parisien révèle que 53% des Français ont une mauvaise opinion du réseau social, et 44% de ses utilisateurs ont envisagé de le quitter un jour.
Est de plus en plus mise en cause sa gestion de la vie privée, avec ses réglages complexes et ses changements incessants. Dernier «fail», le 24 septembre, avec un supposé «bug» rendant publics des messages privés. Rien n'est prouvé, mais le gouvernement a déjà sommé la direction de Facebook France de rendre des comptes à la Cnil, gardienne des données personnelles.
C'est dans ce contexte que Carolyn Everson, vice-présidente en charge des solutions marketing mondiales, a effectué un voyage express les 19 et 20 septembre à Paris. Sa mission: rencontrer les principaux annonceurs et agences médias pour leur présenter ses innovations publicitaires. «Je ne suis pas là pour vendre quelque chose, a-t-elle assuré à Stratégies. Mais pour aider les gens que je rencontre à comprendre comment les usages changent, comment la plate-forme influence leur façon de faire du marketing...»
Brushing impeccable, robe rouge parfaitement ajustée, escarpins vertigineux, c'est dans les locaux flambant neufs de Facebook, à Paris, que la vice-présidente reçoit un à un Les Echos, l'AFP et Stratégies (lire l'entretien ci-contre). Le discours est rodé, l'enthousiasme exagéré. «La France est un marché incroyablement important pour Facebook. Nous avons investi dans une équipe, dans un bureau. Il y a ici des entreprises incroyablement en avance.»
Ne lui demandez pas de commenter le cours de l'action, elle a interdiction d'en parler. La vice-présidente est là pour évangéliser le marché. Et le rassurer. Il faut dire qu'il y a des doutes sur le chiffre d'affaires publicitaire généré cette année (on parle de 4,23 milliards de dollars, en baisse d'un milliard comparé à une estimation antérieure).
Des annonceurs en quête d'efficacité
La décision de General Motors, en mai, de suspendre ses investissements publicitaires sur le réseau, n'a pas aidé. Mais c'est surtout le contexte de crise économique qui pousse les annonceurs à privilégier des campagnes à fort retour sur investissement.
«Suite à l'annonce de General Motors, nous n'avons pas senti de retrait massif des annonceurs, mais c'est vrai qu'ils recherchent plus d'efficacité, selon des critères plus seulement quantitatifs comme le nombre de fans engrangés», souligne Claudie Voland-Rivet, directrice marketing et innovation de l'Union des annonceurs (UDA).
Le responsable médias sociaux d'un des plus gros annonceurs en France renchérit: «Après la constitution d'une communauté autour de nos marques, nous commençons à regarder l'impact de nos investissements sur la préférence de marque, la recommandation...Nous savons qu'une partie de notre investissement est la construction de marque mais, in fine, notre objectif est quand même bien de vendre plus que nos concurrents.»
En juin dernier, une étude Ipsos pour Reuters concluait que quatre utilisateurs sur cinq n'avaient jamais acheté un produit ou un service à la suite d'une publicité ou de commentaires sur le réseau social. «Cette étude a été incroyablement mal interprétée par les médias. Elle se concentrait sur le nombre de personnes qui réagissaient aux publicités. Or ce nombre est très élevé puisque Facebook compte 955 millions d'utilisateurs actifs par mois», se justifie Carolyn Everson.
Depuis, Facebook ne cesse d'alimenter le marché avec ses propres études, sur Orange, Nutella, Showroom Privé ou encore Kit Kat. «Après l'acquisition et l'engagement, Facebook entre aujourd'hui dans une troisième phase de sa relation avec les marques: la mesure de leur influence sur les amis de leurs fans. Dans le contexte économique actuel, c'est important de mesurer le retour sur investissement», assure Damien Vincent, directeur commercial de Facebook France.
Sans surprise, toutes ces études arrivent à la même conclusion: Facebook est bon pour votre marque. Sur la foi d'une étude GFK, le pure player estime ainsi que 15% des ventes réalisées par Nutella en Allemagne à l'issue d'une campagne menée sur le réseau social, avant Noël, sont "attribuables" à Facebook.
«C'est souvent les mêmes cas qui sont montrés en exemple, regrette le même responsable médias sociaux. C'est important pour nous de développer nos propres outils de mesure d'efficacité. Heureusement que nous avons d'autres sons de cloche.
Autre point faible, Facebook pâtit d'un certain retard dans l'univers mobile, alors que la moitié de son audience se fait sur les smartphones et tablettes. C'est sûr, Facebook va «gagner plus d'argent sur les mobiles que nous ne le faisons sur les ordinateurs», promettait Marck Zukerberg, le 11 septembre dernier.
Mais l'enjeu essentiel est d'y attirer les annonceurs. Dilemme, le réseau dispose d'une audience gigantesque, mais «il y a peu de place pour la publicité mobile», observe Jérôme Stioui, CEO du groupe Ad4Screen, une régie spécialisée. Jusqu'à il y a peu, ses espaces publicitaires étaient absents des téléphones mobiles.
Le géant de l'Internet vient tout juste de lancer plusieurs produits publicitaires mobiles. Premier format, le «page post», une version mobile des «sponsored stories», qui apparaissent dans les fils d'actualité de ses utilisateurs. Second format, en tests aux Etats-Unis, «App Install», par lequel une entreprise peut proposer des applications mobiles à installer.
Surtout, Facebook teste sa propre régie publicitaire mobile, qui diffuse des annonces personnalisées sur les sites Web et applications tierces. «C'est un vrai tournant: si Facebook veut plus d'inventaire publicitaire, il doit sortir dans l'univers mobile. Et donc le proposer à des éditeurs tiers», décrypte Jérôme Stioui.
Reste que Facebook a déjà connu des échecs en la matière. Comme Facebook Deals, service de «bons plans» concurrent de Groupon, interrompu après quatre mois de test, en 2011.
Comment les agences réagissent-elles à cette opération séduction? «Facebook cherche à monétiser son audience. Avec leur ad exchange, ils nous donnent accès à un inventaire publicitaire qualifié: ils vont constituer des "clusters" [agrégats] basés sur les likes, les centres d'intérêt des utilisateurs, la géolocalisation», résume Christophe Dané, directeur général d'Omnicom Media Group, en charge des activités digitales. «Avec un modèle basé sur la publicité, Facebook doit tester plusieurs formats», ajoute Stéphane Amis, président de Fullsix France. Comme n'importe quel éditeur.
Interview
«Prouver l'efficacité de Facebook»
En visite à Paris, Carolyn Everson, vice-présidente en charge des solutions marketing mondiales de Facebook, défend le modèle publicitaire du réseau social.
Facebook arrive avec un certain retard dans le mobile, en lançant une nouvelle application intégrant la publicité. Pourquoi seulement maintenant?
Carolyn Everson.Nous voulions être sûrs de comprendre comment nos utilisateurs utilisent Facebook sur les mobiles. Nous avons pris du temps pour observer, apprendre. Et nous avons découvert que la chose la plus importante pour les utilisateurs était le «newsfeed» (le fil d'actualité). C'est là qu'ils passent le plus de temps, c'est là qu'ils vont tous les jours, pour prendre des nouvelles de leurs amis et maintenant des annonceurs. Nous voulions être certains de pouvoir intégrer les messages des marques dans cet environnement, de manière très naturelle, et d'offrir aux annonceurs une expérience très engageante.
Vous publiez de nombreuses études pour démontrer l'efficacité de votre écosystème aux annonceurs. Est-ce dû au contexte de crise?
C.E. Prouver l'efficacité est toujours indispensable. Nous n'aurions pas de modèle économique si nous ne travaillions pas pour les annonceurs. Nous faisons cela depuis plusieurs années ; ce n'est pas comme si nous nous étions réveillés il y a trois mois. J'ai créé il y a un an le «Facebook client council» (conseil des clients), qui réunit des agences et des annonceurs, comme P&G, Nestlé, Unilever, Coca-Cola. Nous avons bâti une méthodologie pour mesurer l'impact des campagnes. Facebook travaille énormément pour que les marques ne se posent pas de question.
Aujourd'hui, quelles données les annonceurs peuvent-ils cibler?
C.E. Dans l'ad exchange de Facebook, les annonceurs utilisent leurs propres données, pas les nôtres, pour ensuite viser les personnes sur notre plate-forme, comme ils peuvent le faire partout ailleurs sur Internet grâce aux cookies. Pour cibler les utilisateurs, une marque peut utiliser différentes variables, principalement liées aux centres d'intérêt. Désormais, nous autorisons aussi les annonceurs à voir si les e-mails et numéros de téléphone en leur possession correspondent à ceux des utilisateurs de Facebook. Ainsi, Orange peut s'adresser, via notre plate-forme, à ses clients dont le contrat se termine prochainement. En revanche, nous ne permettons pas aux marques de collecter les données de nos utilisateurs. Cela n'a jamais été le cas.
Quel est le principal défi auquel Facebook fait face aujourd'hui?
C.E. Ce sur quoi nous réfléchissons le plus, c'est à voir comment impliquer le marché. Pendant des décennies, le marketing se résumait à attirer et capter l'attention du public. Aujourd'hui, nous entrons dans une ère totalement nouvelle. Il faut du temps aux marques pour comprendre la puissance de ce système, savoir comment prendre part à cette conversation avec leurs clients. L'enjeu aujourd'hui est vraiment d'éduquer le marché.
Entretien: C.C. et D.S.