Des affiches et des pochoirs dans la rue pour revendiquer le droit au plaisir féminin. Des happenings de militantes s'affichant avec des postiches de barbes lors de conférences trop masculines, relayées via You Tube, Facebook et Twitter. Assurément, cela s'est vérifié cette année, les mouvements féministes maîtrisent désormais magistralement l'art de la communication.
«C'est là la nouveauté: enfin, elles savent communiquer, donner une image de féminisme audible, en veillant à ne pas être incarnées par une seule porte-parole», estime Isabelle Germain, journaliste, fondatrice du site d'information Les nouvelles news.
L'année 2011 fut marquée par l'effet de sidération provoqué par l'affaire DSK. Dimanche 15 mai au petit matin, l'information fait l'effet d'une bombe: le président du FMI, potentiel présidentiable socialiste, est arrêté pour agression sexuelle dans un hôtel à New York.
La presse française manifeste dans un premier temps une certaine frilosité pour en parler, mais ce sont surtout les propos de certains de ses amis qui provoquent l'ire des féministes, entre le «troussage de domestique» évoqué par Jean-François Kahn et la légèreté d'un Jack Lang pour lequel il n'y a «pas mort d'homme».
Le 22 mai, plusieurs mouvements féministes organisent une manifestation devant le centre Pompidou à Paris pour protester contre le «sexisme» révélé par l'affaire DSK. Un tournant médiatique. «Tout le monde s'est exprimé pendant l'affaire DSK, mais elles en ont profité pour rappeler des faits sur le viol et les violences faites aux femmes », souligne Johanna Luyssen, rédactrice en chef du magazine mensuel Causette.
Ces affaires révèlent au grand public l'existence d'une nouvelle génération de mouvements féministes, tels Osez le féminisme (Osef), Les tumul Tueuses ou La Barbe. Complémentaires au traditionnel Planning familial ou autre Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), ces groupes sont bien plus visibles.
«Des mouvements comme le nôtre, qui existent depuis les années 70, visent à accompagner et informer les femmes sur leurs droits. C'est notre engagement féministe, mais nous n'avons pas vocation à faire des "coups" », souligne Anne Guilbertstein, directrice générale du CNIDFF.
Aux manettes de ces mouvements féministes nés dans le courant des années 2000, une nouvelle génération de militantes. Les manifestations dans la rue ne sont plus leur seule arme de communication. S'y ajoutent campagnes d'affichage provoc', tracts et street marketing.
Le collectif Osez le féminisme, créé en avril 2009, y recourt volontiers.
Le 20 juin 2011, tracts et pochoirs fleurissent sur les murs de grandes villes. À l'affiche, un sexe féminin, «instigateur de plaisir», et ce slogan accrocheur, «Osez le clito!». « On avait lancé cette campagne en réaction à une expo pour enfants, Le Zizi sexuel, qui n'abordait pas du tout la question du plaisir féminin», souligne Magali de Haas, une des porte-parole d'Osef.
De plus, l'effet porte-voix des médias sociaux s'est imposé ces dernières années: des outils de recrutement, qui permettront aux mouvements de palier l'éternel problème du renouvellement de leurs adhérentes. «La nouvelle génération de féministes les a intégrés. Ils permettent à chacun de militer à la carte, selon son degré d'implication: "liker", relayer une pétition en ligne... sans obligation d'adhérer ou assister à une réunion», souligne Johanna Luyssen. Osef, qui compte 400 militantes et 1 700 adhérentes, s'appuie aussi sur 15 000 fans Facebook et 3 000 «followers» sur Twitter. Pratique pour essaimer en régions.
Ces nouveaux médias offrent un écho considérable sur la Toile à leurs actions. Les subventions du Planning familial sont menacées? Une pétition en ligne recueille 150 000 signatures en un mois. L'affaire DSK suscite des réactions sexistes chez ses amis? L'appel dans Le Monde lancé par Osef, suivi par une pétition en ligne, recueille 30 000 signatures.
Autre relais notable, le blog à succès Vie de meuf, ouvert en juillet 2010: les internautes peuvent y raconter leurs déboires sexistes au quotidien, sur le modèle du très ironique site Viedemerde.fr. L'association Les Chiennes de garde, qui dénonce le sexisme dans les publicités depuis 1999, a elle aussi ouvert son blog en 2010. Le collectif La Barbe compte également sur les relais que constituent les médias sociaux.
«Il nous arrive d'alpaguer des dirigeants sur Facebook ou Twitter. Ce que l'on a fait par exemple avec des animateurs d'Europe 1 en septembre, pour dénoncer leur grille de rentrée trop masculine», souligne Alice Coffin, militante à La Barbe, par ailleurs journaliste à 20 Minutes.
La stratégie activiste de cette nouvelle génération de mouvements féministes passe aussi par des coups d'éclat médiatiques. Depuis sa création en mars 2008, le collectif La Barbe s'illustre par des happenings dans des réunions ou conférences où ses militantes apparaissent avec des postiches «pour rendre visible et ridicule l'absence des femmes dans les lieux de pouvoir».
Cette nouvelle capacité à retenir l'attention des médias doit beaucoup à l'expérience de cette nouvelle génération de militantes. Chez Osef, Magali de Haas est passée par Amnesty International. Sa fondatrice, Caroline de Haas, fut secrétaire générale de l'Unef. Future au féminin est dirigée par l'ex-responsable des jeunes sarkozystes du 92, Lydia Guirous. Chez La Barbe, Marie de Cenival est passée par Act Up. Sans compter que plusieurs militantes de ces mouvements travaillent dans la communication et les médias.
Tout cela n'empêche pas certaines erreurs. La campagne sur la suppression du «Mademoiselle» des formulaires administratifs, lancée en septembre dernier par Osef et les Chiennes de garde, a suscité des réactions contrastées, beaucoup y voyant un combat secondaire.
«On parle beaucoup de sexisme, de violence contre les femmes, on voulait souligner la différence de traitement entre les hommes et les femmes dans les administrations, dans la rue, selon qu'ils sont mariés ou pas», souligne Magali de Haas. Un sondage réalisé par l'institut Harris Interactive pour l'hebdomadaire féminin Grazia montrait que les lectrices ne suivaient pas forcément ce combat...
«Le combat féministe est plus radical qu'avant, car il vise à porter des changements au sein de la société et dans les esprits», souligne Magali de Haas. Au-delà de l'écume médiatique, une lame de fond s'est indéniablement imposée. «Des thématiques longtemps sous le manteau, comme les violences faites aux femmes, ont désormais été intégrées par la classe politique», salue l'écrivain Isabelle Alonzo.