Véritable prise de parole sociétale ou provocation facile? La dernière campagne de la marque italienne de vêtements Benetton suscite un vif intérêt à la hauteur de son caractère polémique, depuis son lancement mercredi 16 novembre. Intitulée «Unhate», un néologisme qui peut se traduire par «contre la haine», cette nouvelle communication mondiale de l'enseigne prend pour thème central le baiser comme symbole de l'amour.
Entre autres images, les principaux dirigeants politiques et chefs religieux du monde entier s'embrassent, grâce à un photo-montage. On y voit le président américain Barack Obama et son homologue chinois Hu Jintao, le pape Benoît XVI et l'imam de la mosquée Al-Azhar du Caire Mohamed Ahmed al-Tayeb ou encore Benyamin Netanyahu, le premier ministre israélien, et le chef de l'autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. «Nous pensons que la publicité ne sert pas qu'à montrer des produits, mais les valeurs et le sens d'une marque, Gianluca Pastore, directeur de la communication de Benetton dans le monde. Une marque ne se réduit pas à ses seuls produits.»
A l'origine des publicités Benetton des années 90 et notamment des photos d'une bonne soeur et d'un curé qui s'embrassent ou d'un homme mourant du sida, le photographe Oliviero Toscani a exprimé son désaccord.
«Cette campagne se situe presque dans le même registre que celles de M. Toscani, mais pas tout à fait, analyse Vincent Leclabart, président de l'agence Australie. Cette nouvelle campagne est très accessible, simplissime même, et provocante, elle choque les opinions sous le prétexte de ne pas se haïr entre arabes et juifs, chrétiens et musulmans... Personne ne peut sérieusement penser que celle-ci améliorera les choses. La société est devenue extrêmement sensible et le fait de choquer une partie de l'opinion pour faire sa promotion n'est pas acceptable. Cette campagne est le signe que l'annonceur n'a plus rien à dire, alors que sa communication dans les années 1990 sur United Colors of Benetton, traduction créative d'une innovation textile, était remarquable.»
Dès la diffusion, le Vatican a protesté fortement, ce qui a poussé Benetton à retirer le photo-montage du pape Benoît XVI. Pour autant, les risques judiciaires d'une telle campagne apparaissent somme toute limités. Une autre marque de vêtements, Marithé et François Girbaud, avait diffusé un pastiche du tableau de Léonard de Vinci, La Cène, qui évoque le dernier repas de Jésus.
«La cour de Cassation a légitimé cette image qui n'était pas de nature à outrager les fidèles, explique Christophe Bigot, avocat spécialisé dans le droit de la communication. La campagne Benetton soulève deux points de droit assez différents. L'utilisation de l'image d'un tiers sans autorisation, c'est-à-dire une atteinte à son droit à l'image et d'autre part, l'emploi d'un symbole religieux, car le pape peut être considéré comme tel.»
En matière de droit à l'image, un précédent célèbre existe, celui de la condamnation de Ryanair à la suite de la mise en scène du couple présidentiel français, Carla Bruni et Nicolas Sarkozy, dans une publicité. «Ce type de publicité présente un bilan avantage-inconvénient qui penche du côté des avantages, même si la campagne peut être interdite, estime Christophe Bigot. Les dommages et intérêts ne seraient pas très élevés en comparaison de la notoriété et du buzz générés.»
La viralité d'une campagne sur Internet ne change pas fondamentalement la donne. «Les mêmes règles s'appliquent, mais la responsabilité de la marque se dilue quand les internautes s'échangent entre eux les images», souligne Christophe Bigot.