«Sans Hadopi, pas de Julie Clouzel, future auteur des Solitudes de Sara, prix de l'année littéraire 2032». «Sans Hadopi, pas de Kelian Gomez, futur réalisateur de Rock Secret, série de l'année 2021»... Des visuels et spots qui mettent en scène des préados et ados, et les projettent dans un futur où seule Hadopi pourrait protéger leurs créations, en musique, télévision ou cinéma. Avec un slogan qui enfonce le clou: «La création de demain se défend aujourd'hui». Car, pour la première fois en 18 mois mouvementés d'existence, la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) s'offre une vaste campagne de communication grand public, dévoilée lundi 6 juin. Il était temps: «Il fallait responsabiliser les usagers d'Hadopi, et non les culpabiliser. On a fait de nous les pères Fouettards du Net», lâche Marie-Françoise Marais, présidente d'Hadopi.
De fait, en 18 mois, Hadopi aura surtout été synonyme d'arsenal répressif et d'une loi contestée, adoptée dans la douleur en 2009. Sans compter les couacs lors des premières tentatives de communication. Un premier appel d'offres autour de ses campagnes échouera (lire l'encadré). Faux-pas suivant, la publication du premier logo Hadopi en janvier 2010, conçu par l'agence Plan créatif, qui utilisait une police de caractères... copiée sur celle créée pour France Télécom.
Le 21 juin 2010, la chaîne France 5 produit et diffuse sur son site Web Curiosphere.tv un dessin animé pédagogique, dont le simplisme (il oppose Super Crapule à Super Hadopi) lui vaut l'ire des internautes. Au point de l'obliger à la retirer prestement. «Une initiative prise indépendamment de Hadopi», note Marie-Françoise Marais.
Nouvelle image
Mission en ce printemps 2011: s'acheter une nouvelle image. Au menu, donc, une campagne qui ambitionne de présenter Hadopi sous des atours plus charmeurs - la protection de la «création de demain» plutôt que son trop connu volet répressif.
La campagne, orchestrée par l'agence H, avec Home (société de conseil en production d'événements culturels) met donc en scène des jeunes et comment Hadopi pourrait protéger les créations d'un groupe de rock, d'une chanteuse pop, ou d'un réalisateur de thrillers de demain. «Il fallait sortir de la vision à court terme sur la riposte graduée pour présenter un usage responsable de l'Internet, et re-situer Hadopi dans un écosystème culturel. Avec un ton ludique», précise Elisabeth Billemaz, directrice générale de l'agence H.
«Hadopi comporte une facette répressive et une facette pédagogique, avec son devoir de promotion des offres légales. Mais les deux sont intimement liées. Notamment avec le futur logiciel de sécurisation que les abonnés seront incités à adopter, et qui instaurera un mécanisme de surveillance », nuance Marc Rees, rédacteur en chef du site spécialisé PC Inpact.
Cette vaste campagne plurimédia, dotée d'un budget net global de 3 millions d'euros, sera lancée le 13 juin pour une quinzaine de jours. Au menu: affichage, presse écrite, télévision (les trois spots seront diffusés sur la TNT et les chaînes hertziennes), radio (deux spots), puis dans un second temps cinéma. A noter que la campagne, considérée comme étant d'intérêt général, pourra être diffusée en soirée par France Télévisions. S'y ajouteront six «modules pédagogiques» d'une minute et demie, diffusés sur les sites maison, qui présenteront les bases d'Hadopi, depuis ses labels jusqu'à la riposte graduée.
Autre volet de cette campagne de charme, la création d'un label Promotion des usages responsables (PUR), «qui permet à l'utilisateur de savoir quelles offres musicales sont légales», résume Marie-Françoise Marois. Les offres légales seront donc labellisées après validation par Hadopi (laquelle annonce une trentaine de dossiers à l'étude), et répertoriées sur un site spécial, Pure.fr.
Une campagne de rafraîchissement tous azimuts, donc. Mais les anti-Hadopi se déchaînent déjà sur la Toile: le site d'information Owni lançait dès le 13 mai sur son site un «concours de création» maison.
Hadopi, un client très particulier
Le duo formé pour l'occasion par les agences H et Home conseillera très officiellement Hadopi pour sa communication pendant un an, à l'issue d'un appel d'offres organisé par l'administration indépendante en janvier. Pourtant, le budget communication n'a pas semblé séduire les agences dans un premier temps. Sujet trop sensible? Lancé en décembre 2009, avec pour échéance le 25 janvier 2010, selon nos informations, l'appel d'offres a été consulté par plusieurs agences de publicité. En vain.
«L'appel d'offres venait alors du ministère de la Culture, et ne correspondait pas à la manière dont nous voulions nous positionner», réplique Marie-Françoise Marais. Le brief, que s'était procuré le site PC Inpact : un chapitre entier sur la «sensibilisation des jeunes» et «les dangers pour la création que comporte l'appropriation illicite d'œuvres protégées par les droits d'auteurs et les droits voisins».