Écoutés, mesurés, sondés... Les 15-35 ans sont devenus un sujet d'étude intarissable. Les modes de vie de ces 16 millions d’individus ne cessent d'être normés et circonscrits. Si l’intérêt est manifeste, l’exercice d’homogénéisation reste, lui, difficile. Certes, comme le souligne Rémy Oudghiri, directeur général adjoint de la société d’études Sociovision, « les générations X et Y partagent la même philosophie, même si elles connaissent des étapes de vie différentes ». Ces digital natives, qui n’ont connu que l’instabilité économique, ont en commun, quel que soit leur âge, le désir de vivre avant tout pour eux et dans l’instant présent. Mais pour le reste, les stéréotypes de classification ont la vie dure et se heurtent, selon le sociologue, à un jeu des personnalités nouveau et troublant : « Il y a beaucoup d’hybridation dans cette génération, qui s’arroge le droit de vivre, en même temps, tous les rôles de sa vie. Les millennials passent sans complexe de leur rôle d’ado à celui d’adulte, et à celui d’enfant, sans renoncer à rien. C’est le nouveau phénomène de la fragmentation des identités et des genres. »
Qu’il soit Y, né entre 1980 et 2000, ou adolescent Z, cet individu est plus complexe que ces catégories. Et si le monde entier cherche à le comprendre, c’est parce qu’il serait le seul à maîtriser encore une société qui va trop vite. « Autrefois, deux générations, c’était un père et un fils. Aujourd’hui, l’écart générationnel ne résulte plus de l’âge mais de l’environnement technologique au moment de la naissance, avec des différences culturelles importantes pour seulement quelques années » explique Pascal Monfort, fondateur de REC, agence conseil en « youth culture ». Dans son livre Ces adultes qui ne grandiront jamais aux éditions Arkhê, Rémy Oudghiri le confirme : « Notre monde vit une transformation digitale massive entraînant des changements de référentiels. Seuls les millennials grandissent avec le bon langage du monde qui vient. Cela leur donne un pouvoir nouveau, celui de la transmission du savoir, mission auparavant dévolue aux anciens. » Revers de la médaille, leur tempérament détone, oscillant entre nonchalance et détermination : « Ils ont vu leurs parents s’investir dans des plans de carrière sans recevoir de retour, et ils savent qu’une compétence est obsolète en moins de cinq ans. Leur parade est de vivre en mode projet, sans engagements », souligne enfin le sociologue.
Tous ego
Dans un système où tout peut changer chaque année, ils imposent leurs propres valeurs, comme le goût du partage, du réseau et des services collaboratifs, mais aussi des idéaux de responsabilité et d’éthique. Leur monde se vit hors frontières de genres, de pays ou de temps. « Quand leurs ainés créent des lois sur le droit à la déconnexion, eux mélangent sans aucun complexe leur vie professionnelle et personnelle » illustre Rémy Oudghiri. Pour Isabelle Vignon, directrice générale adjointe du groupe Dentsu Aegis France, leur culture sans limites est trompeuse : « ils savent, picorent, ont un vernis sur tout et s’approprient un grand nombre de sujets. Mais leur démarche manque parfois de profondeur ».
Ce qui les caractérise le plus reste probablement un nouveau genre d’égocentrisme, qui repose sur la mise en scène perpétuelle du moi. Pascal Monfort insiste particulièrement sur le soin apporté à cette image de soi, dont ces jeunes lui parlent souvent : « ils deviennent les directeurs créatifs de leur propre vie, et s’éditorialisent de manière pensée. Ils jouent avec différents comptes sur les réseaux sociaux, effacent, recommencent, suppriment, améliorent… » Pour preuve, le phénomène récent des Finstagram, comptes officieux privés où les jeunes peuvent se lâcher en toute liberté sous le regard bienveillant de seulement quelques proches abonnés. Corollaire nécessaire de cette démonstration de soi, le besoin d’expérience qui se montre et se partage, plus valorisante que l’acte de possession lui-même. « Ils ont compris qu’il valait mieux se payer de super vacances qu’une paire de chaussures » ironise Pascal Monfort, « et ce qui compte, c’est d’avoir le bon t-shirt au bon moment. Le lendemain, ce n’est plus d’actualité et ils le revendent ».
Happy few end
Face à ces nouveaux comportements, existe-t-il des recettes miracles pour l’annonceur en quête d’interaction avec son consommateur de demain ? Pour Quentin Delobelle, directeur communication commerciale et création d’Orange France, beaucoup de choses passent d’abord par la recherche d’une justesse de ton, qui tranche avec le lointain rêve publicitaire des années 90 : « en réponse à des discours historiquement descendants voire prétentieux, cette génération exprime une méfiance certaine vis-à-vis des marques ». Une réalité dont il a voulu tenir compte lors du lancement de Sosh, l’offre mobile sans engagement du groupe télécom français. Avec ses codes pop, ses signatures musicales et son autodérision, la marque se décline davantage aujourd’hui sous forme de divertissement que de communication publicitaire traditionnelle. De manière générale, la bonne réponse se trouve pour toutes les marques dans leur capacité à devenir accessibles. « C’est la fin du mythe des happy few élitistes et de la vie par procuration. Cette cible n’a plus envie d’attendre pour exister. C’est désormais à elle qu’il faut ouvrir ses portes plus qu’aux VIP » martèle souvent Pascal Monfort à ses clients. La notion de coconstruction, valeur star d’il y a quelques années, semble en revanche tomber en désuétude. « Ce qui importe fondamentalement c’est l’écoute et l’interaction conversationnelle », nuance Quentin Delobelle. Un avis que partage Stéphane Bouillet, fondateur de l’agence Influence4you, qui met à disposition des marques une plate-forme de 70 000 influenceurs. « Nos premières questions aux marques sont celles-ci : savez-vous écouter vos clients ? Dans quelle mesure êtes-vous capable de leur répondre en temps réel sur tous les réseaux sociaux ? Cela ne relève plus de la publicité mais du registre de la communication ». Une nouvelle attitude qui va de pair avec un autre besoin très fort exprimé par cette cible, celui de la transparence.
Avènement
Viennent ensuite les moyens, forcément envisagés en mode « phygital », avec la possibilité permanente de relier le réel au virtuel. Dans un paysage fragmenté en termes de consommation media, la communication digitale et sociale obtient bien sûr la première place du podium. Ce segment de population étant équipé à 94 % d’un smartphone - selon les dernières estimations Dentsu Aegis Network -, elle devient essentiellement mobile. Le passage obligé des influenceurs, lui, s’envisage désormais autrement : « Les plus connus créent parfois moins d’engagement que les petits, davantage investis et plus proches. Cette nouvelle micro-influence, industrialisable grâce aux technologies, connaît donc son avènement. », constate Stéphane Bouillet. Sur le plan des médias plus traditionnels, Isabelle Vignon revient sur les idées reçues qui enterrent la télévision : « Si l’écran du salon est mort, le contenu a encore de beaux jours devant lui. Les jeunes le consomment juste différemment, sur du multi-écrans, en replay ou en live selon la nature des programmes et le besoin d’échanger en live ». D’autres médias restent, continuent de séduire cette population, comme l’affichage, en raison de la grande mobilité de la cible, mais aussi le cinéma ou la radio. La presse, en revanche, ne convainc plus les millennials.
Nouveau Graal
Dans ce nouveau panorama, une marque qui parvient à utiliser les moyens les plus justes en faisant preuve de sincérité peut réussir à capter l’attention, sorte de nouveau Graal sur cette génération sur-sollicitée. Et quand c’est gagné, ça ne l’est pas à moitié. Véritables individus media, les millennials s’investissent, communiquent à l’infini et surtout consomment, quels que soient leurs moyens, quitte à faire des arbitrages ou passer par d’autres moyens tels que le partage, l’occasion ou la revente.
À l’inverse, tout faux pas peut être fatal car leur mécontentement se répand alors comme une trainée de poudre sur les réseaux sociaux. Samsung en fit les frais il y a deux ans, lors de la soirée de lancement du Galaxy S6 Edge+ dans la mythique piscine Molitor. Tout était parfait, peut-être trop. Le show lumière, la programmation musicale, les célébrités qui twittaient… et qui n’étaient pourtant pas là, ayant simplement monnayé leurs 140 caractères. Un manque de sincérité qui a déclenché en quelques heures l’ire des fans de la marque sur les réseaux sociaux. Une manière de rappeler que l’encre a beau couler à flots sur les millennials, le mode d’emploi n’existe pas...
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