Depuis le 1er novembre 2016, les fans des Beatles et de Lego peuvent satisfaire leur double passion. En effet, la marque danoise de jouets commercialise une boîte de 553 pièces pour construire le mythique Yellow Submarine, accompagné des figurines représentant le célèbre Fab Four. L’idée d’adapter l’objet central du film d’animation de 1968 n’est pas née dans la tête des équipes du fabricant, pourtant expert dans les produits dérivés. Elle fait tout simplement partie des quelque 6 000 idées déposées chaque année sur la plateforme Lego Ideas par les adeptes de la brique en plastique et soumis au vote. «Les projets qui obtiennent 10 000 votes favorables, soit environ 25 par an, intègrent ensuite le processus normal de conception», explique Frédéric Darthenay, directeur marketing de Lego France. Il faut compter deux ans pour en étudier la faisabilité et que trois à quatre projets se retrouvent dans les rayons. Avec une réussite commerciale fluctuante, dont de vraies surprises, comme la boîte composée de trois oiseaux proposée par un ornithologue amateur. Les auteurs sont rémunérés sur les ventes, pour un pourcentage confidentiel, et deux d’entre eux ont même été recrutés par Lego au Danemark.
Etape supplémentaire
Mais ces produits ne représentent que 1% des nouveautés commercialisées chaque année. «Notre succès, c’est la plateforme Lego Ideas, estime Frédéric Darthenay. Elle cultive le lien avec une communauté de 450 000 membres de tous âges et leur donne la possibilité de voir leur projet voyager à travers le monde.» Née en 2008 au Japon sous le nom de Lego Cuusoo, l’idée de crowdsourcing a adopté une version en langue anglaise en 2011, puis la version globale actuelle en 2014. Elle s’inscrit dans «un mouvement de cocréation déjà ancien, par exemple avec une marque comme Ikea, mais devenu plus courant ces dernières années», relève Gaëlle Le Floch, strategic insights director de Kantar Worldpanel, citant les plateformes Décathlon Création et Cvous.com, lancée en 2012 par le groupe Casino pour recueillir les suggestions du public en matière de nouveaux produits, voire d’expériences en magasin. Il s’agit d’une étape supplémentaire et structurée dans le pouvoir qui est donné aux consommateurs de se faire entendre par les marques. Une logique qui s’organise un peu plus à l’heure des réseaux sociaux, comme le montre l’initiative de l’agence Octoly, qui propose maintenant aux marques dans la mode d’associer les influenceurs à la création. «Avec Octolab, les marques peuvent travailler avec des consommatrices influentes en amont de la diffusion d’un produit», explique Thomas Owadencko, son PDG.
L'action dans la confiance
La cocréation ne se limite pas toujours aux clients d’une marque, mais peut concerner également les salariés. Car la démarche répond à plusieurs objectifs, comme «l’aspiration de chacun à participer à la stratégie de l’entreprise, à la quête d’innovation et de relais de croissance», selon Anne-Sophie Grouchka, directrice relations et solutions clients d'Allianz France. L'assureur a ainsi lancé l’an dernier l’Innovathon, une vaste opération pour faire émerger des projets sur la satisfaction client en interne et en association avec des start-up. Environ mille propositions ont été faites, une partie a été sélectionnée puis approfondie avec des experts avant d’être mise en compétition devant un jury. «Dix projets ont été retenus, comme la délivrance automatisée de prescription médicale par les pharmacies, un système de conciergerie ou des solutions d’accompagnement des assurés en cas d’événement grave…, détaille Anne-Sophie Grouchka. Des initiatives pouvant être mises en œuvre dans des délais et des budgets raisonnables.» Six ont été lancés depuis octobre 2016, quatre sont attendus pour janvier 2017. «C’était bien de donner le pouvoir d’agir, mais encore fallait-il avoir confiance pour le prendre», estime Nathalie Lahmi, directrice marketing digital d’Allianz France, qui a vu le projet de son équipe retenu. «L’organisation a donc mis en place un programme de développement de projet et de coaching pour que les collaborateurs mettent en œuvre leur projet.» Et si l’idée ne se concrétise pas, «il faut comprendre pourquoi et l’expliquer», conclue Anne-Sophie Grouchka.
La conscience du consommateur
Une précaution qui doit être également prise à l’égard du public. Car «les marques sont confrontées à des consommateurs maintenant conscients des conséquences de leur consommation. Ce changement nécessite de les impliquer, analyse Florence Touzé, enseignante chez Sciences Com Audencia Group. Or, la cocréation n’est pas un souhait spontané. Le consommateur s’intéresse d’abord à la santé, à la sécurité, puis aux conditions de fabrication. Proposer une collaboration est donc une démarche de la marque pour renforcer le lien, animer une communauté.» L’analyse est confirmée par Frédéric Micheau, directeur des études d’Opinion Way, pour qui «le consommateur attend que les marques lui suggèrent des produits dont il a besoin». Cela n’empêchera pas une grande partie de s’intéresser davantage à la démarche responsable des entreprises. Notamment «les millennials, qui ont conscience de leur pouvoir poussent les marques en ce sens», observe Gaëlle Le Floch.