Le Lab
Denis Darpy, professeur de marketing à Dauphine, propose une nouvelle définition du luxe, afin de le différencier du premium.

«Quelles sont les frontières entre luxe et premium? Le fort développement des marques premiums oblige à redéfinir la notion même de luxe. Bien sûr, les produits premiums ont des traits communs avec leurs cousins du luxe. Produits de luxe et premium restent pour le consommateur des outils de distinction vis-à-vis de la classe sociale juste en dessous de lui, selon la définition du sociologue Pierre Bourdieu. Pour aller plus loin j’ai l’habitude de décrire le luxe avec “4 E”: excellence, exception, excès et expérience. D’abord l’excellence dans la fabrication, le matériau, la qualité. Un critère que revendiquent aussi les marques premiums.  Ensuite l’exception dans le style, avec un caractère unique. Là aussi une dimension partagée avec le premium. Par exemple l’Alpine Renault est exceptionnelle car elle est “la meilleure dans les virages”. Pourtant, elle appartient davantage à l’univers du premium que du luxe. 

Le troisième “E”, c’est l’excès. Un concept qui correspond bien au luxe, avec des excès qui peuvent porter sur les matériaux, les prix, le style… Chez Dolce & Gabbana par exemple cela se retrouve dans les couleurs choisies. On voit bien que cette caractéristique ne colle pas toujours aux marques premiums. 

Imbrication

Enfin le quatrième “E” c’est l’expérience: quand un client est dans un grand hôtel, un palace, il doit oublier qu’il est à l’hôtel, vivre quelque chose d’inoubliable. Cette idée d’expérience ne se retrouve pas dans les marques premiums. Par exemple, le client de Voyageurs du monde vit l’expérience de son voyage à venir dès l’accueil à l’agence.

Et puis traditionnellement un produit de luxe se définissait par sa rareté, son côté limité et par ailleurs artisanal... L’exemple type c’est Ferrari: 7500 voitures produites par an. Or cette définition ne marche plus: quand une marque de luxe fabrique plusieurs dizaines de milliers de sacs par an, il n’y a plus cette notion de rareté. Dans le même temps cette notion de collections limitées n’est plus tellement propre au luxe car les frontières sont de plus en plus brouillées. Ainsi H&M ou Desigual a lancé des collections capsules, avec des marques comme Karl Lagarfeld ou Isabelle Marant. A des prix raisonnables. Là, le luxe a fait irruption dans le moyen de gamme. Et puis, à l’inverse des marques comme Fusalp ou Vanessa Bruno, montent en gamme, prennent les attributs du luxe. 

Le luxe n’est pas fait pour tout le monde, mais tout le monde aspire à avoir des produits de qualité et premiums. Résultat les consommateurs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers des marques premiums. Comme cette évolution est dangereuse pour les groupes de luxe, ils réagissent: Louis Vuitton a créé L Catterton (ex-L Capital) pour investir dans des marques émergentes premium dans le monde, comme Charles and Keith. C’est bien la manifestation du fait qu’un marché du premium existe, juste en-dessous du marché du luxe.» 

Le prof

Denis Darpy est professeur de marketing à Dauphine où il a créé le master de management du luxe en 2012. En parallèle, il a ouvert l’Executive master business in luxury à Shanghai en 2011. Il est l’auteur de l’ouvrage Comportements du consommateur (Dunod, 2003, réédité pour la quatrième fois en septembre 2016). Il planche en particulier sur deux grandes thématiques : d’un côté l’émergence de nouvelles marques de luxe, chinoises en particulier, et de l’autre sur les différences entre luxe et premium.



 



 

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