La dernière fois qu'Accor Hotels avait lancé une marque ex nihilo, c'était les hôtels Formule 1, il y a trente ans. En 2018, le groupe hôtelier renouvellera l'expérience avec Jo&Joe, une marque qui dit beaucoup des évolutions sociétales des trente dernières années. En 2018, deux établissements ouvriront à Paris (près de la Cité universitaire) et à Bordeaux. Une cinquantaine d'autres seront lancés d'ici 2020 dans de grandes métropoles comme Bordeaux, Varsovie, Budapest, Rio ou encore Sao Paulo.
Ce projet vise à séduire la génération des «millenials-minded», accros à Facebook, Snapchat et autres Airbnb. Jo&Joe est un concept en rupture avec tout ce qu'a connu Accor jusqu'ici. En rupture dans sa nature, dans sa conception, mais aussi dans son positionnement et sa place dans l'offre globale du groupe. La première caractéristique disruptive de Jo&Joe est de signer l'entrée d'Accor dans la bataille dite des «hostels» ou auberges de jeunesse. Ce marché était jusqu'ici dominé par des groupes britanniques ou allemands (lire ci-contre). Mais cette clientèle jeune et connectée de 18-35 ans ne pouvait pas échapper plus longtemps au groupe français.
Exit donc les vieilles auberges de jeunesse décaties et «roots», bienvenue aux «hostels», lieux de vie accueillants et aux expériences multiples. Pour s'attaquer à ce marché, Accor Hotels a innové dans la création même du projet. De facto, le groupe a conçu sa nouvelle marque avec les codes des millenials. Au programme: du co-working horizontal, une volonté farouche de raisonner hors des schémas traditionnels et la mise en valeur de la parole des millenials eux-mêmes. «Nous avons travaillé neuf mois sur le projet, raconte Frédéric Fontaine, directeur du Marketing Innovation Lab d'Accor Hotels. La marque a été créée par le groupe avec l'apport de W, de Penson, du shadow comex, du panel millennials et des experts AccorHotels et externes» De ces groupes de travail sont sortis des «insights très forts à partir desquels nous avons avancé».
Pas de comptoirs
Ainsi, les millenials ont mis en avant l'idée du prix, certes, mais aussi et surtout l'idée du partage et de la communauté. De même dans les insights négatifs qui ont aidé à construire Jo&Joe, ressortait la sensation que les auberges de jeunesse classiques étaient à la fois vétustes, parfois sales et peu sûres. «Jo&Joe, c'est une marque où la mixité des sensations est importante. L'enseigne se pose comme un lieu de vie où accessoirement on peut dormir. Cela renverse complètement la logique habituelle des auberges de jeunesse», détaille Gilles Deléris, cofondateur et directeur de la création de l'agence W chargée du dossier.
Résultat: chez Jo&Joe, pas de comptoirs check-in ou check-out, les clients entrent directement dans un bar avec de grands poufs. De même, les chambres sont tout sauf classiques: elles sont imaginées comme des lieux de rencontres avec un ou plusieurs lits, voire même un seul grand lit immense où tous les amis d'un enterrement de vie de garçon ou de vie de jeune fille peuvent se retrouver tous ensemble. «Aller chez Jo&Joe, c'est comme aller chez un ami. On y va pour passer un bon moment et éventuellement y dormir», explique encore le directeur de la création. En rythme de croisière, tous les services annexes proposés aux clients devraient même représenter environ 40% du chiffre d'affaires de Jo&Joe.
Réservation par texto
Hormis des prix attractifs (à partir de 25 euros), Accor Hotels fait un autre clin d'oeil à ces 18-35 ans tant recherchés en faisant de l'application Jo&Joe un point central pour effectuer les démarches de réservation d'une chambre ou d'un lit. Rejoindre la communauté est d'une grande simplicité: pour créer un compte, pas besoin de mot de passe et d’identifiant, le numéro de téléphone suffit. Ensuite, tout se passe par texto, beaucoup plus intuitif qu’un formulaire. Idem, dans le cadre de l'application toute une dimension communautaire est prévue: concours de cuisine, création d'évènements, partage de bons plans, etc.
«Avec Jo&Joe, nous avons voulu réunir le meilleur des auberges de jeunesse en termes d'expérience de vie, le meilleur de la location d'appartements et le meilleur de l'hôtellerie», estime Frédéric Fontaine d'Accor Hotels. Et de conclure: «nous sommes bel et bien sur un nouveau marché. Jo&Joe n'est pas là pour cannibaliser les autres enseignes du groupe.» Un pari audacieux et pour le moins disruptif de la part d'un grand groupe.
Un marché déjà encombré
Sur le marché des «hostels», Accor ne sera pas seul. Le leader européen est britannique. Il s’agit de St Christopher’s Inns qui depuis 2008 a ouvert plusieurs enseignes dans Paris, l’un près du bassin de la Villette, l’autre dans le quartier de la gare du Nord. Son compatriote, Generator, est un autre acteur de poids avec déjà 900 lits dans Paris. Et, dès 2018, l’allemand Meininger compte ouvrir ses propres «hostels» dans la capitale. Au-delà des grands groupes hôteliers, les pure players font aussi de Paris l'un de leurs prochains terrains de jeu. C'est le cas notamment du réseau France Hostel qui envisage de créer quelques 20 000 lits partout en France mais aussi des Piaules, qui a créé récemment 160 chambres dans le quartier de Belleville. Une frénésie peu étonnante quand on sait que ce marché représentera plus de trois millions de voyages à l'horizon 2020 et que les millenials dépensent en moyenne 3 000 euros par an pour voir du pays.