« Depuis que j’ai vu 20 journalistes présents à une conférence de presse IBM dans une salle qui pouvait contenir 150 personnes, j’ai compris qu’il fallait arrêter. C’était déjà il y a vingt ans. » Cette anecdote d’Estelle Monraisse, fondatrice de l’agence Alter’Com, illustre la hantise des attaché(e)s de presse : le « no show » ou les annulations de dernière minute. De nombreuses raisons expliquent cette désaffection : les rédactions réduisent leurs effectifs, l’actualité s’accélère, les problèmes de transport s’intensifient et bien souvent l’exercice de réunir des journalistes pour une annonce officielle ne se justifie plus. « Neuf fois sur dix, on obtient le même résultat par téléphone sans passer par la grand-messe, assure Julien Monet, directeur de Monet + Associés. On recommande de ne plus en faire. Les directeurs marketing et communication l’entendent, les grands patrons un peu moins. » Même le secteur des start-up, que l’on pourrait penser innovant, reste attaché à ce format traditionnel. « On passe beaucoup de temps à leur expliquer que ce n’est pas assez agile. On le déconseille le plus possible », confirme Gaëlle Legris, cofondatrice de l’agence Léon, qui compte parmi ses clients Foodchéri et Mondocteur.
« Ancien monde »
« La conférence de presse continue d’exister pour de grands événements institutionnels, comme la présentation des résultats ou d’un plan stratégique, précise Hélène Taboury, senior vice-president d’Elan Edelman et ancienne directrice adjointe de la communication de Carrefour. Mais j’encourage les clients à emmener les journalistes sur le terrain pour leur faire vivre les transformations de l’entreprise : visite de magasins, d’entrepôts logistiques, d’usines... » La conférence plénière se justifie aussi dans le cadre d’une crise, où l’on attend une communication rapide. Mais, de plus en plus, l’exercice prend un autre nom. « Dans le cas des fabricants comme Apple, on appelle ça des “keynotes” », souligne Éloi Asseline, CEO de Weber Shandwick France. Thierry Wellhoff confirme : son agence Wellcom a réuni 100 personnes pour le lancement du nouveau Pixel 3 de Google. « La conférence de presse classique a un côté ancien monde, reconnaît le communicant. Elle amène à trouver un dénominateur commun alors qu’on essaye justement de personnaliser les messages. Mais cela nous pousse à chercher des thématiques et des personnalités qui donnent envie de venir comme l’écrivain Laurent Gounelle, que nous avons invité à parler de liberté pour Cadremploi. »
Pour Kronenbourg, Thomas Marko & Associés a organisé un hackathon sur le thème « GIF : générateur d’idées fraîches » en avril 2017 à Paris. « C’était un concours destiné à la fois aux journalistes, aux professionnels et au grand public, qui permettait de faire passer des informations et de montrer que l’entreprise était dynamique et ouverte à la co-création, explique Thomas Marko. Cela apporte une perception différente d’une communication descendante face à un public passif. » Pour Charal, FH Com organise des tables rondes sur un thème de société, comme le 10 janvier sur le thème « Notre assiette a-t-elle un genre ? ». « Ce n’était pas la date idéale juste après les fêtes, mais avant la Saint-Valentin, c’était l’occasion de parler de ce qu’hommes et femmes ont dans l’assiette, précise Felipe Canto Forest, directeur associé. Au final, nous avons eu une quarantaine de journalistes et d’influenceurs intéressés par les interventions d’experts en nutrition et neurosciences. La conférence de presse a toujours une raison d’être mais il faut un sujet porteur et des porte-paroles de qualité. » Cette approche permet d’attirer des médias au-delà du secteur d’activité de l'entreprise : dans le cas de Charal, des spécialistes de l’alimentaire mais aussi de santé, de psychologie…
Portes ouvertes
Faire vivre une expérience est le maître mot de ces conférences de presse nouvelle génération : il faut privatiser le nouveau lieu dont on parle, réserver le restaurant d’un chef étoilé, faire venir une personnalité en vue, bref, apporter du contenu aux journalistes qu’ils n’auraient pas eu par téléphone et qui va nourrir leurs médias et leurs réseaux sociaux. « Désormais, un lancement de produits pour nos clients Bose ou Fitbit a lieu sous la forme d’un parcours théâtralisé pour justifier que les journalistes se déplacent », souligne Sandrine Cormary, directrice générale d’Omnicom PR Group. Le format portes ouvertes est adapté à l’agenda serré des rédactions. Pour le lancement de sa gamme bio, Garnier (L’Oréal) avait par exemple convié les journalistes au Grand Palais en novembre dernier. Après une courte introduction de la directrice générale Delphine Viguier, les participants avaient le choix entre plusieurs ateliers thématiques sur les ingrédients, les filières, l’environnement… Chacun pouvait piocher des informations en fonction de l’angle qui l’intéressait et du temps dont il disposait. « Pour l’université d’automne de la CFE-CGC à Deauville, nous avons invité des journalistes qui pouvaient participer à des ateliers. Ils sont demandeurs de formats plus participatifs », assure Johanna Pons, directrice associée de l’agence Proches.
Lieux éphémères
Les marques aiment aussi recevoir « à la maison » : Maison Danone sous la houlette d’un chef, Maison du Mieux Intermarché, Maison Bonne Maman sur une péniche, Atelier 1664 dans un hôtel particulier du 5e arrondissement… L’occasion de présenter les produits, de faire participer à des activités, de favoriser les échanges informels. Pour les marques grand public, ces lieux éphémères permettent de s’adresser directement aux consommateurs qui y sont conviés. « Sur les marques de grande consommation, 20 % de nos ressources sont mobilisées pour toucher les cibles intermédiaires - journalistes, blogueurs, influenceurs - et 80 % pour parler en direct aux citoyens et consommateurs à travers des événements physiques relayés sur les réseaux sociaux, soutient Thomas Marko de l’agence du même nom. C’est la raison d’être de notre métier de relations avec tous les publics et la condition de la pérennité de nos structures. »