Publicité
Le 1er octobre 1968, la télévision française s'ouvrait à la publicité. De l'agitation post-68 des débuts, à la publicité post-testée des années 2010, en passant par l'exubérance des années 80, que reste-t-il cinq décennies plus tard ? Retour sur une longue page de pub.

On a tous en tête un slogan, une ritournelle, et surtout une émotion liés à un spot aperçu, enfant ou adolescent, à la télévision. Que l’on soit publivore ou publiphobe, depuis 50 ans, la pub TV a marqué de son empreinte les esprits français, en livrant un témoignage sur les évolutions sociétales ou esthétiques. Rétrospective.

1968-1982 – La pub en liberté… surveillée

C’est donc le 1er octobre 1968 qu’est diffusé le premier spot publicitaire sur la première chaîne de l’ORTF. « Jusque-là, la publicité était le monopole de la presse, de l’affichage et du cinéma », rappelle Stéphane Martin, directeur délégué du SNPTV [Syndicat National de la Publicité Télévisée] entre 1998 et 2010, aujourd’hui directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité [ARPP]. « Les Français connaissent néanmoins depuis 1959 les émissions compensées, sorte de publicités financées par des groupements », souligne François Jost, professeur à la Sorbonne-Nouvelle, spécialiste des médias. On y retrouve par exemple le collectif de la cravate ou des petits pois – ce dernier étant incarné par une délicieuse mascotte, le poussin Pipiou. « Nous sommes alors dans un contexte de pleine croissance, avec la naissance de la grande distribution, une société en fort développement, qui cherche de nouveaux espaces de communication. Du côté des téléspectateurs, il y a une attente pour de nouveaux programmes, mais cela coûte cher et l’idée d’une augmentation de la redevance n’est jamais populaire », raconte Stéphane Martin. La décision est prise lors du dernier conseil des ministres avant les vacances, au cœur de l’été 1968. C’est le 1er octobre, à 19h56, juste avant le journal télévisé, que sont diffusés les premiers spots, en noir et blanc évidemment : Régilait, les tricots Bel, Boursin, Schneider et Virlux, marque de beurre aujourd'hui disparue. « À l’époque, le détail des publicités était même inscrit dans les grilles des magazines de programmes télé », rappelle Anne Saint Dreux, fondatrice et directrice de La Maison de la pub, auteure du documentaire Histoire(s) de pub : 50 ans de pub à la télévision, qui sera diffusé le 1er octobre sur Paris Première. Ne sont alors autorisés que les secteurs de l’alimentaire, les produits bruns, le textile et l’habillement.

La Régie Française de Publicité gère les écrans. « C’est une période de découverte, d’apprentissage qui s’accompagne d’une forte régulation. Début 70, l’on est très attentif, par exemple, à ce que les enfants soient représentés comme obéissants, jamais insolents. Le rapport avec l’autorité, quelle qu’elle soit, doit toujours être empreinte de respect », explique Sylvain Parasie, sociologue et auteur de Et maintenant, une page de pub (Ina Editions). Contrairement à ce que l’on pourrait penser, dans la France post-gaulliste, la pub n’est pas si corsetée... Eram fait défiler des ecclésiastiques et des gendarmes en s’en payant une bonne tranche à leurs dépens dès 1973, tandis que Dim dévoile, la même année, les seins et les fesses d’une baigneuse dans un film signé William Klein. « Si la pub reste très surveillée par les pouvoirs publics, les publicitaires deviennent des agitateurs dans la mouvance de 68, avec une volonté très provoc’, une envie de choquer le bourgeois », estime Olivier Altmann, patron d’Altmann + Pacreau. Gabriel Gaultier, fondateur de Jésus & Gabriel, avoue quant à lui « garder une tendresse éternelle pour la fraîcheur perdue de la réclame des origines. La publicité, à l’instar des barricades de l’époque, pouvait envoyer des pavés dans le potage de 20 heures et nous laissait, nous la France rincée et lâche de Pompidou, bouche bée. Comme avec ce spot pour le Café Maurice de 1976 avec les Frères Ennemis, moment de pure démence aux dialogues oulipiens ».

En 1978, un spot pour les Gants Mapa donnera même à voir, révolution, un homme les mains dans la vaisselle ! « À la fois, l’on se méfie de la puissance de la publicité télévisée qui peut être mensongère, et à la fois, on attend d’elle qu’elle reflète l’évolution des comportements, qu’elle insuffle de la modernité », résume Sylvain Parasie.

1982-1992 – Âge d’or et paillettes

Ce sont les années fric, les années Tapie, les années bling-bling. Et les années de la pub spectacle, avec comme hérault Séguéla avec le cultissime porte-avion de 1988 pour Citroën. « L’emprise de l’État est beaucoup moins forte, remarque Sylvain Parasie. La publicité se mue en spectacle culturel avec, aux manettes, des “créateurs” comme Jean-Paul Goude, Jean-Jacques Annaud, Patrice Leconte, Etienne Chatiliez… ».

A la machine à café, on s’enthousiasme pour les spots TV. « En tant que prof, je dirigeais à l’époque beaucoup de mémoires sur la pub, s’amuse François Jost. C’était une époque de publivores. » Les marques, de leur côté, n’hésitent pas à sortir leur chéquier. « On passe des petites comédies populaires des années 1970 à des spectacles visuels, résume Olivier Altmann. Les budgets de production enflent ».

Dans ce contexte décomplexé et euphorique, la naissance de Canal+, en 1984, marque un tournant. Interdite de publicité, la chaîne invente le parrainage, un format porté par l’agence Havas, à l’époque encore publique. L’année suivante, Canal+ lance ses plages en clair, qui, elles, seront ouvertes à la publicité. Au fil des mois, se multiplient les chaînes commerciales, d’abord sur le câble (Paris Première, Canal J, TV6…) jusqu’à la privatisation de TF1 en 1987.

Pour les créatifs, c’est la vie rêvée. « Les formats étaient plus longs, les créatifs avaient du temps... Nul besoin de rigueur stratégique. Chaque film créait l’événement », se souvient Jean-Luc Bravi, président de DDB Paris.

Avec l’élection de François Mitterrand en 1981 et la création d’un ministère des Droits des femmes, le gouvernement s’attaque à l’image des femmes véhiculée dans la publicité. C’est à cette époque-là qu’apparaissent des spots publicitaires inversant les rôles présupposés de chacun : Mini Mir met en scène un homme qui fait le ménage, tandis que la femme Rodier paie la note au restaurant. « Ce mouvement créatif n’a duré qu’un temps court, de 1982 à 1985 », relève Anne Saint Dreux, de La Maison de la pub.

Parallèlement, certains se souviendront non sans trouble de leur émoi devant la naïade des spots Telefunken (1982) ou de la moiteur du film Velouté par Tony Scott (1984). « On continue à poser un regard d’homme sur les femmes dans les années 1980, avec tout le sexisme que cela peut induire », remarque Sylvain Parasie. Ces années fastes constituent néanmoins ce que Gabriel Gaultier désigne comme « une acmé insensée, l’âge d’or de la pub ». Avec l’affirmation d’un ton très français, comme dans les inénarrables spots pour le papier toilette Le Trèfle, vendu comme un accessoire de mode ou dans une virevoltante comédie musicale à la Demy.

1992-2008 – Les années « low profile »

Patatras. Le temps de l’insouciance est terminé. « Dans les années 1990, la publicité n’avait plus le droit d’être aussi festive que dans les années 1980 car la société ne l’était plus, que ce soit avec le Sida, la guerre du Golfe, l’explosion du chômage… Une société angoissée ne peut pas générer du festif, sinon on n’adhère plus au message. Les publicitaires devaient s’assagir », estime Anne Saint Dreux de La Maison de la pub.

« Les crises économiques entraînent un retour à l’authenticité, se rappelle Olivier Altmann. Les annonceurs nous demandaient de ne pas donner l’impression qu’ils dépensaient trop d’argent. C’est l’époque des testimoniaux, de la caméra-vérité un peu low-cost ». Fleurissent des films ultraréalistes, chroniques adolescentes et banlieusardes à la Yop – avec néanmoins Bertrand Blier aux manettes.

Paradoxe. Si l’exécution donne dans la modestie, elle entend en revanche dépasser les frontières. Les créatifs, abreuvés de publicités anglaises ou américaines, deviennent accros aux Lions cannois. Les idées se font alors plus visuelles, et reposent moins sur les particularismes locaux. « Dans les années 1990, il fallait que nos publicités puissent voyager dans le monde entier », se souvient Jean-Luc Bravi, président de DDB Paris. Le spot pour le CNP, plan séquence étourdissant sur une valse de Chostakovitch, émouvra le monde entier, tout comme les bébés nageurs d’Evian.

L’inverse est aussi vrai : de nombreuses publicités étrangères arrivent sur les écrans français avec, dans certains cas, la nécessité pour l’annonceur de revoir sa copie. « Avec la mondialisation de la production publicitaire, les copies sont aujourd’hui réalisées pour de multiples pays, ce qui peut poser des problèmes en termes de réglementation. C’est le cas par exemple si un film publicitaire montre une voiture rouler sur des espaces naturels, comme une plage. En France, ce n’est pas possible », explique Stéphane Martin, selon qui l’ARPP vend des avis à modifier pour 7% des films finalisés chaque année.

2008-2018 – Une pub télé plus policée ?

« À l’échelle de l’histoire, on est passé de Jean Carmet prenant un seau d’eau sur la tête pour reconnaître que “Ce serait meilleur avec de la sauce tomate” à une promesse généralisée de monde meilleur sur fond d’éolienne… » regrette Gabriel Gaultier. Jean-Luc Bravi partage ce sentiment d’une pub qui a perdu, en cours de route, beaucoup de ses aspérités. « La publicité s’est lissée au fil des années, à l’image de la société. Cela s’explique aussi par le fait que la campagne doit fonctionner partout, dans de nombreux pays, et qu’on minimise la prise de risque avec des pré-tests et des post-tests. Le risque, c’est que tout se ressemble au bout du compte. »

Même constat de la part de Stéphane Martin : « la publicité d’aujourd’hui reflète une société où il ne faut pas heurter, une société plus conformiste, ennuyeuse peut-être. »

Une société où la petite lucarne ne représente plus l’alpha et l’oméga ? « Aujourd’hui, souligne Jean-Luc Bravi, le créatif ne pense plus en premier à la télévision. Tout part souvent de la plateforme de marque, des valeurs que la publicité va véhiculer. »

« La télévision reste un écrin, mais n’est qu’un canal parmi d’autres, approuve Olivier Altmann. C’est par la télé que l’on rencontre la marque, mais souvent par le digital que cette rencontre se poursuit… Même si la télévision garde son rôle historique : divertir et construire la marque. »

Si la télévision tend à redevenir la grande « entertaineuse » de ses débuts, avec des films à l’exécution irréprochable comme l’Ours de Canal+ ou plus récemment L’Amour d’Intermarché, elle a aussi tendance à faire toujours appel aux vieilles ficelles éculées, déplore Jean-Luc Bravi : « Dans le secteur de la beauté, le cliché de la femme jeune, dynamique, aux longues jambes… perdure. La publicité est toujours là pour faire rêver les gens. Il n’y a qu’à regarder les ambassadrices L’Oréal par exemple, qui semblent inaccessibles. Il ne faut pas oublier que la publicité est au service du commerce des marques, ce n’est pas de l’art contemporain dans une galerie. À l’inverse, une marque comme Nike a montré dans une publicité les derniers coureurs à terminer un marathon. Ça, il y a quelques années, ce n’était pas possible… ». De quoi ouvrir une nouvelle page de pub ?

Cinq pubs qui ont marqué la télé

Dim, 1973, Publicis – Signe de la libération des mœurs des années 1970, le spot « La Salle de Bain », shootée par William Klein, montre une jeune femme dénudée.

Samsonite, 1980, TBWA – Ce crash-test pour Samsonite, dans lequel des bulldozers jouent au foot avec des valises, provoquera l’ire des associations de consommateurs. La cour d’appel affirmera que le film n’est en aucun cas mensonger.

Mini Mir – 1991, CLM BBDO – « Liquide vaisselle, moumoune ! ». Dès 1983, la saga Mini Mir montre des hommes qui font le ménage avec un plaisir non dissimulé.

CNP, Australie, 1993 – Lars Von Trier est aux manettes de ce spot pour les assurances CNP, plan-séquence virtuose et émouvant sur la Valse n°2 de Chostakovitch.

Canal+, BETC, 2012 – Les tribulations de l’ours cinéphile de Canal+ recueilleront, selon le Gunn Report, un nombre record de récompenses créatives mondiales.

 

 

Chiffres clés

24%. Part de marché publicitaire de la télévision en France en 2017, selon l’Irep. Cela représente 3,286 milliards d’euros nets de chiffre d’affaires.

12 minutes. Durée maximale de la publicité par heure pour les télévisions privées hertziennes en France. Pour les chaînes publiques, c’est 8 minutes.

2 668. Nombre d’annonceurs à avoir communiqué en télévision en 2017, selon Kantar Media. Le trio de tête en valeur : l'alimentation, la beauté et l'automobile.

 

Dates clés

1971. Ouverture de la publicité sur la deuxième chaîne.

1985. Première publicité sur une chaîne privée, Canal+.

1992. Coupure publicitaire autorisée pour les films sur les chaînes privées. 

Adoption du décret fixant les obligations des chaînes en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.

2007. Ouverture de la publicité pour la distribution sur les chaînes hertziennes.

2009. Autorisation de la deuxième coupure dans les films, les fictions et les séries pour les chaînes privées.

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