Création
David Droga, fondateur de Droga5, est l'une des stars, sinon LA star, de la création publicitaire mondiale. Le créatif multiprimé était présent à Cannes, où il a donné une keynote le 18 juin. Dans son agenda surchargé, il a trouvé un moment pour rencontrer Stratégies.

[Cet article est issu du n°1946 de Stratégies, daté du 12 avril 2018]

 

Arpenter le Palais des festivals avec David Droga, c'est un peu comme de déambuler avec une rock star. Dans le Media Center, où nous avons rendez-vous, les journalistes de tous les pays se pressent autour du créatif le plus primé de sa génération, suppliant pour une photo, pour quelques minutes d'interview... Affable malgré les incessantes sollicitations, David Droga, polo et barbe de trois jours, posera, amusé, aux côtés d'un journaliste arborant un t-shirt «Who the f*ck is David Droga?». Non loin, une autre légende de la pub, John Hegarty, cofondateur de BBH, donne une conférence de presse. Le patron de Droga5, quant à lui, s'exprime sans langue de bois sur l'avenir de l'industrie publicitaire.

Les Cannes Lions inaugurent cette année une nouvelle formule, plus épurée. Comment percevez-vous cette évolution?

David Droga. On n'en est qu'à la moitié du chemin. Mais je pense qu'en condensant le festival, on permet à davantage de gens de vivre le «vrai Cannes». Avant, le festival était tellement étalé, si dilué, que l'on s'y perdait un peu... Cette nouvelle approche permet d'avoir accès au meilleur du meilleur. Pour les agences et les médias, cela permet de repartir du bon pied. Dans la précédente version, il y avait trop de catégories, et pas seulement financièrement... Il y avait aussi trop de doublons, de chevauchements. En résumé, je pense que c'est une décision responsable, et un événement qui porte à l'optimisme. 


Vous avez évoqué, lors de votre keynote cannoise du lundi 18 juin, la déclaration fracassante de Publicis qui, l'an passé, annonçait ne pas participer à Cannes cette année...
Il y avait un peu de «bravado» [bravade] là dedans, mais c'était aussi une manière de faire les gros titres, d'attirer l'attention sur la construction de Marcel... En tant que publicitaires, c'est notre «business» de faire les gros titres (sourire). Mais on savait tous que Publicis serait présent à Cannes cette année. Je ne pense pas que quiconque les juge mal pour cela, d'ailleurs... C'était plutôt tactique et intelligent de faire ce qu'ils ont fait!

Avez-vous repéré des premières tendances au festival?
Je ne suis à Cannes que depuis deux jours donc je n'ai pas encore vu grand chose... Mais ce qui me paraît intéressant - et je sais que cela peut paraître controversé -, c'est qu'aujourd'hui, les plus grandes marques du monde, comme Apple ou Spotify, comprennent la valeur de la publicité. L'industrie de la publicité est beaucoup plus pessimiste que les marques ne le sont sur la pub ! Le fait que la consommation média ait changé n'a pas rendu la publicité moins pertinente pour les consommateurs. Il s'agit juste d'attirer ces consommateurs vers soi. Le métier est plus compétitif, mais c'est une bonne chose. Ceux qui produiront les travaux les plus convaincants, ceux qui créeront le plus de résonances culturelles, sortiront leur épingle du jeu. Ceux qui n'y parviendront pas seront laissés sur le côté...


Quel rôle joue l'émotion dans cette nouvelle donne créative?

L'émotion, si elle est sincère, est plus cruciale que jamais. Nous vivons dans une époque ultra-émotionnelle, les gens se sentent vulnérables, ont le sentiment de ne plus contrôler grand chose, bien souvent... On attend davantage que des messages purement fonctionnels de la part des marques, on attend une connexion émotionnelle avec elles. Et c'est pour cela que les marques - et c'est une chose étrange à dire - doivent montrer leur humanité. C'est sur ce genre de facteurs, et pas les simples fonctions produits, que se fondent nos décisions aujourd'hui.


La publicité s'empare de plus en plus de sujets de société...

Oui, il y a aussi de plus en plus d'individus qui essaient de changer les choses, car on sait que les gouvernements ne remplissent plus vraiment cette fonction... Les entreprises et les individus ont aujourd'hui plus d'influence que les gouvernements. Surtout si ils décident d'unir leurs forces.


Les cabinets de conseil sont omniprésents à Cannes cette année. Quel est votre ressenti devant leurs ambitions créatives?

Je pense qu'ils sont très intelligents... Ils sont aussi ultrapuissants, et, manifestement, aimeraient bien absorber notre industrie... Malgré tout le pouvoir dont ils disposent - qui réside surtout dans le digital, la technologie, le marketing de l'expérience - ils perçoivent la magie de la créativité, savent qu'elle leur fait défaut, que sans elle, on n'établit pas de réelle connexion entre les marques et les consommateurs... C'est pour cette raison que leurs appétits sont affûtés. Il y a effectivement de quoi avoir peur, surtout pour les grandes holdings... D'autant que les cabinets de conseil ont l'oreille des CEOs (PDG) et des CTOs (chief technology officers), pas celle des CMOs (chief marketing officers, directeurs marketing). Et ils veulent aussi accéder aux CMOs! Vont-ils réussir à comprendre et intégrer la créativité? Le temps le dira.


Quid de l'intelligence artificielle ? Représente-t-elle une menace?

Dieu merci, la créativité est l'une des rares choses que l'IA ne pourra pas surpasser. L'automatisation va aboutir à la disparition de 80% de nos métiers... Mais un robot ne peut pas apprendre la créativité, la pensée latérale... C'est la seule chose qui nous prémunit de cette menace. 


Dernière question, que sans doute certains d'entre nous se posent encore. Quelle est l'origine du nom Droga5 [Droga Five]?

J'ai grandi dans les montagnes en Australie, dans une famille de six enfants, cinq garçons et une fille. Je suis le cinquième fils. Nous allions tous en pension, parce que la prochaine école était à deux heures de route... Quand je suis parti à l'école, ma mère a cousu sur tous mes vêtements - chemises, chaussettes, sous-vêtements... - des étiquettes «Droga 5». Mes frères avaient des étiquettes «Droga 1», «Droga 2» etc. Droga 5, ça a été mon nom pendant neuf ans! Lorsque j'ai créé mon agence, je n'ai pas eu à hésiter trop longtemps pour la baptiser...

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