Profession
Dans une étude exclusive réalisée par l’AACC avec Stratégies, les salariés des agences jugent leur métier et leur employeur. Résultat : l’attachement est très fort même si les conditions de travail en agence sont aussi critiquées.

Sept salariés sur dix en agence « sont fiers de leur job » et 71 % « aiment leur métier », selon l’étude « Le travail en agence de communication », lancée par l’association des agences conseil en communication (AACC) avec Stratégies et réalisée par l’Ifop, que nous publions en exclusivité. « En juin dernier, quand j’ai pris la présidence de l’AACC, j’ai voulu prendre le pouls de la profession, dresser un état des lieux du travail en agence aujourd’hui, en sortant du “tout va très bien” ou “très mal”, explique Laurent Habib. Aujourd’hui, la publicité est devenue globalement illégitime dans la société et j’ai cru que c’était aussi vécu comme ça par les salariés dans nos entreprises ». L’idée de lancer l’étude a aussi été un choix collectif des administrateurs de l’AACC : « Il fallait un certain courage pour aller écouter, interroger les professionnels de notre univers, note Agathe Bousquet, présidente de Publicis Groupe en France. On a tous été volontaires, enthousiastes, tout en sachant que l’on serait obligé de communiquer sur les résultats même s’ils n’étaient pas bons. Cela témoigne d’un secteur prêt à se remettre en question. »

« L'intérêt et la beauté du métier »

La première grande surprise de cette enquête : c’est l’importance de la participation, avec 1 700 réponses reçues alors que le questionnaire était très long. « Près d’un salarié sur sept de l’univers des agences s’est exprimé dans l’étude, se félicite Laurent Habib. En deux jours, nous avons reçu 600 réponses ». Des salariés qui n’ont pas hésité à développer leurs réponses dans les questions ouvertes, comme s’ils avaient besoin de prendre la parole. Bien sûr, l’autre enseignement de cette enquête c’est le degré d’attachement aux métiers de la communication et de la publicité. À une période où l’économie du secteur est malmenée, et le modèle même de l’agence remis en cause, les professionnels du secteur tiennent dur comme fer à leur job. « Certes, nos entreprises sont peu structurées, ont peu de réserves, et un management intermédiaire fragilisé… et tout cela donne une absence de confort, dit Laurent Habib, le président de l’AACC, mais nous sommes sauvés par l’enthousiasme, l’énergie, le plaisir, l’intérêt et la beauté du métier. »D’ailleurs, le constat est clair : la publicité reste une activité précieuse. « Les professionnels interrogés pointent bien les raisons pour lesquelles ils aiment ce métier : la création publicitaire, la variété des missions, et la diversité des rencontres, liste Denis Gancel, le président de W&Cie. Nous exerçons un job photosensible, c’est ça qui m’intéresse, un métier perméable à son environnement, aux sujets autour. » Les raisons de l’attachement à ce job sont aussi très positives, poursuit le fondateur de W&Cie : « Ils citent l’autonomie, la liberté. Face à des secteurs d’activité où il y a de plus en plus de process qui enferment, notre métier laisse de l’espace aux gens et les agences doivent veiller à cultiver cette autonomie. »

« Travailler sur des sujets variés »

Autres critères clés cités par les répondants : « Il y a beaucoup de choses liées à la dimension humaine, au travail en équipe ou avec des profils divers, constate Julien Carette, le PDG d’Havas Paris. Le lundi, on a une réunion avec un profil digital, le mardi avec un littéraire, le mercredi avec un créatif… La force de nos organisations tient à cette souplesse, et à cette diversité de talents. »L’intérêt intellectuel du travail est aussi plébiscité par les professionnels de la com : 83 % des participants à l’enquête, « estiment exercer un métier intelligent » et 84 % d’entre eux mettent en avant le fait « de travailler sur des sujets et projets variés ». Autre facteur crucial : l’utilité. « Un salarié sur deux juge que son job est utile et important car il peut faire évoluer les comportements, note Philippe Adenot, le président de MullenLowe Paris. Notre métier touche à la fois le citoyen et le consommateur. » Et puis les salariés en agence ont bien digéré la mue digitale : ainsi, quatre salariés sur cinq considèrent que cette transformation a un impact positif pour eux et leur métier. « Les agences ont une forte capacité à s’adapter, à se développer en alliant créativité et technologie », poursuit Philippe Adenot.  

« Des efforts en termes managérial »

Voilà pour les bonnes nouvelles. Mais dans cette enquête, les salariés pointent aussi les faiblesses des agences. D’abord en termes de management : à la question « qu’est ce que vous aimez dans votre métier, qu’est-ce qui vous rend fier ? », seulement 5 % des professionnels interrogés répondent « le management ». « Nous devons être très attentifs en matière d’organisation et de gestion de nos entreprises : dans notre secteur, les managers intermédiaires consacrent une grande part de leur temps à nos clients, ils sont moins présents dans l’agence, analyse Agathe Bousquet, présidente de Publicis Groupe France. Dans nos structures parfois informelles, on voit bien qu’il faut embarquer le middle management dans ces réflexions sur nos métiers et l’évolution de nos modèles. Au-delà des jeunes que nous attirons, il y a toute une classe managériale qui se pose des questions. » Un constat partagé par Philippe Adenot, de MullenLowe Paris : « Nous avons beaucoup d’efforts à faire dans l’organisation de nos structures et en termes managérial. Nos agences peuvent apparaître désorganisées mais c’est aussi très lié au mode de travail avec nos clients et aux compétitions permanentes… »L’étude révèle aussi un problème avec les profils expérimentés: les 35-45 ans. « Il y a une difficulté pour ces experts à trouver leur place dans notre métier, ils souffrent d’un manque de reconnaissance et c’est à nous de les valoriser, de les rassurer », affirme le président de MullenLowe Paris.

Les salariés ont identifié aussi deux autres points noirs : le rythme de travail (pour 30 % d’entre eux) et le relationnel/l’ambiance (27 %).Autre sujet qui questionne : la place des femmes dans les fonctions de direction. Si elles sont largement majoritaires dans les agences (60%), en revanche, elles restent minoritaires à la tête des entreprises, dirigées dans plus de sept cas sur dix par des hommes.

«Faire découvrir la diversité des fonctions»

Si l’AACC et les agences vont devoir s’attaquer à ces sujets qui fâchent, la priorité sera sans doute ailleurs : communiquer sur les atouts des métiers de la publicité en agence, dans un contexte économique pourtant compliqué. À l’instar de Laurent Habib [lire l’interview ci-contre], les dirigeants d’agence comptent bien s’appuyer sur cette étude pour attirer les talents dans leurs entreprises. « Cela nous donne à tous une vision claire de ce qui se passe dans nos structures pour bien recruter », confirme Agathe Bousquet. Une bonne occasion aussi de faire découvrir la diversité des métiers en agence selon Laurent Habib : « il y a vingt fonctions différentes qui sont tout aussi passionnantes les unes que les autres : manager des contenus sociaux d’une marque, motion designer, créatif… » Un point de vue partagé par Julien Carette, le président d’Havas Paris : « Nous travaillons souvent pour des fédérations professionnelles ou des marques employeurs qui veulent améliorer leur image et leur culture métier ; je n’ai jamais constaté un tel niveau de fierté. Bien sûr que l’on doit aujourd’hui aller montrer ces résultats dans les écoles de commerce. » Et aussi auprès des annonceurs, vis-à-vis desquels les agences ont intérêt à faire valoir cette modernité et cette fierté du travail. Faire la pub de la pub en quelque sorte. 

 

3 questions à... LAURENT HABIB, président de l’AACC et de l’agence Babel

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans les résultats de cette étude ?

Avant cette enquête, nous pouvions avoir le sentiment que choisir de travailler dans la pub, pour un jeune diplômé, c’était une sorte de choix sacrificiel, parce que les entreprises du secteur sont fragilisées et la publicité, déconsidérée. La réalité est toute autre : les professionnels de notre univers disent : « nous ne sommes pas un métier qui se meurt, mais qui est apprécié, légitime, dans lequel on prend du plaisir, et qui est utile ». Aujourd’hui, 76 % des salariés de notre univers recommanderaient leur métier à un proche. Et près de quatre personnes sur cinq ont confiance dans l’avenir des métiers de la communication, et 72 %, dans le futur de leur propre job.À quoi cette enquête va servir ?

L.H. En tant que dirigeants d’agence, nous ne verrons plus les choses de la même manière. C’est un éclairage inédit sur la réalité du métier et des professionnels qui l’exercent, et une révélation par rapport à ce que l’on peut dire sur la publicité : on pensait s’être fait voler la modernité par les Gafa, les start-up et le monde digital, en fait, nous sommes tout à fait légitimes à revendiquer cette modernité. Nous pourrons, par exemple, nous adresser aux jeunes diplômés en leur disant : « en choisissant de venir travailler en agence, vous opterez pour un métier qui est au cœur de la transformation digitale ».

Vous avez aussi interrogé les professionnels sur le rôle de l’AACC et le nom de l’association…

L.H. Oui, d’abord, l’AACC est connue par près de neuf professionnels sur dix. Et ils attendent de nous trois actions : la défense du prix des prestations (82 %), la défense des intérêts des agences auprès des différentes parties prenantes (79 %), la promotion de la valeur apportée par les agences aux entreprises et à l’économie (78 %). Aujourd’hui, nous avons un contrat de confiance à élaborer avec les annonceurs, pour créer de la valeur et un lien entre marques et consommateurs. Nous ne devons pas être des prestataires, mais des partenaires clés de la création de richesse. Et quand on les interroge sur l’appellation AACC, trois quarts des répondants estiment que l’organisation a le « bon nom pour porter ses missions ».

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