Près de la moitié des activités «pourraient être automatisées si l'on adapte les technologies actuelles», indique une étude du cabinet McKinsey en janvier 2016. Une autre enquête, de l'université d'Oxford, qui date de 2013 et porte sur 700 métiers aux Etats-Unis, avait conclu que 47% d'entre eux risquaient d'être automatisés. «De toute évidence, nous n’arrêterons pas l’IA, elle est là, partout, elle ne va que s'accélérer», prévient Stéphane Amarsy, auteur du livre Mon directeur marketing sera un algorithme (Editions Kawa), paru en février 2017. Il a cofondé Inbox, en 2001, une société spécialisée dans le marketing relationnel, le big data et les algorithmes. Dans le cadre de ses fonctions, l’entrepreneur rencontre de nombreuses entreprises dont il observe attentivement la transformation. Son constat est sans appel: oui, les algorithmes vont venir progressivement se substituer aux fonctions humaines, et dans l'univers du marketing, ce remplacement a déjà débuté. «Marketing automation», publicité programmatique, intelligence artificielle (IA)…, à l’ère de l’hyper-personnalisation, le marketeur doit d'ores et déjà collaborer au quotidien avec les robots. Avant d'être supplanté par ceux-ci?
Quels sont les métiers du marketing les plus menacés?
Stéphane Amarsy. Selon moi, les métiers qui sont déjà ébranlés et qui n’existeront plus à l'horizon 2020 sont le gestionnaire de campagne et l’assistant marketing. De manière plus modérée, je considère qu’un risque de remplacement plane au-dessus du community manager [dans l’acception réductrice du terme], le responsable merchandising, le social media marketing manager, le category manager et le trafic manager. Il est évident que ces compétences sont très facilement automatisables. Les métiers qui sont peu touchés aujourd’hui, mais qui risquent d’être sérieusement atteints en 2020, sont le chargé d’acquisition web, le responsable de l'e-réputation, le webmarketeur et le digital content. A l’inverse, ceux les moins en péril tournent autour de la stratégie: le brand manager, le chef de produit, etc. Ils seront touchés dans leur quotidien sans être remis en cause, car leurs métiers comportent une grande partie de créativité.
Un robot ne peut pas être créatif?
S.A. Non, pour le moment, il n'en est pas capable. Et en ce qui concerne les différentes expériences testées pour démontrer la créativité de l’IA, il s’agit en fait d’un fausse créativité, qui consiste à faire reproduire des règles et des décisions via une observation. C’est, de fait, une analyse. Le robot qui bluffe au poker, qui écrit des scénarios de films, des articles journalistiques…, relève d’une intelligence artificielle faible, c’est-à-dire que les algorithmes travaillent pour une finalité donnée. En revanche, un algorithme ne peut pas encore improviser et son autonomie est limitée. La créativité totalement ouverte correspondrait à ce que l'on appelerait une IA forte (voir encadré).
Les entreprises elles-mêmes sont menacées d'être remplacées…
S.A. L'avènement de la technologie digitale bouleverse notre modèle économique en le faisant passer d’une économie de l’offre à une économie de la demande: aujourd’hui, le consommateur est le décideur et il faut l’intégrer dans l’ensemble de la chaîne de production, dès la conception. Dès lors, les sociétés vont devoir s’adapter en travaillant plus vite, de manière personnalisée et interactive. Ce qui favorisera leur transformation, ce sont de nouvelles organisations du travail, de nouveaux processus et une technologie omniprésente. Il ne faut pas essayer de créer un big bang, mais plutôt favoriser les expérimentations issues de la méthode agile et montrer par la preuve la nécessité, pour l'entreprise, de changer. Et embarquer progressivement les collaborateurs afin de créer un mouvement. Attention, le dirigeant doit bien avoir en tête que cette question du remplacement des métiers par les robots peut représenter une grande crainte, et aussi être douloureuse pour les salariés.
Que pensez-vous de l'idée de la mise en place d’une taxe robot, évoquée par Benoît Hamon, candidat socialiste à l'élection présidentielle?
S.A. Je considère que le sujet de l’intelligence artificielle a été complétement oublié de la campagne présidentielle, à part par les plus jeunes candidats: Benoît Hamon, Emmanuel Macron et Nathalie Kosciusko-Morizet. Plusieurs économistes ont étudiés la question de la taxation du travail artificiel, qu’il soit physique ou virtuel. La question a été rendue populaire quand Bill Gates a affirmé que c’était la seule solution. C’est une piste intéressante. Sur cette question, je suis partisan de créer un cadre au niveau mondial. Parce qu’un Etat seul qui se lancerait dans une telle démarche se mettrait dans une situation défavorable. Il faut une réponse globalisée: c’est l’humanité entière qui doit chercher des réponses. Par ailleurs, il y a un vide juridique entier sur le sujet de la responsabilité des robots: diffamation pour les robots journalistes, non respect d’un brief pour un robot prestataire… Qui est responsable? La société qui l’emploie? Le concepteur? Le salarié qui a programmé l’algorithme?
Votre livre est plutôt pessimiste…
S.A. Non. J’évoque les menaces, mais aussi les opportunités qui peuvent se créer en cohabitant avec les robots. D’ailleurs, certains de mes lecteurs disent de mon ouvrage qu’il est optimiste. En fait, les robots seront ce que les humains en feront. Je suis optimiste, car si une prise de conscience a lieu au niveau mondial, la société pourra se préparer plus activement à ces bouleversements à venir. C’est l’avertissement de mon livre: travaillons ensemble à la création d’une nouvelle humanité. C’est une occasion en or, il ne faut pas la laisser passer.
Quels sont les enseignements à retenir à la lecture de votre ouvrage?
S.A. Premièrement, il ne faut pas lutter contre la révolution en cours: il faut s’adapter, et vite! Ceux qui comprennent cela aujourd’hui auront plus de facilité demain. Deuxièmement, il faut libérer nos qualités intrinsèques. Chacun doit s’interroger sur la valeur de son métier, ses forces, ce qui ne pourra pas être suppléé par de l’intelligence artificielle. Parallèlement, il ne faut pas s’accrocher à ce qui sera indubitablement remplacé, ce serait vain et chronophage. Mais ces questions doivent également être abordées à plus grande échelle et passer par les institutions, l’éducation, la loi, etc.
IA faible, IA forte
La notion d’intelligence artificielle faible reflète une approche pragmatique, à savoir des systèmes autonomes, des algorithmes capables de résoudre des problèmes, etc. La machine «simule» ou «reproduit» l’intelligence selon les courants de pensée. Aujourd'hui, la plupart des techniques d’intelligence artificielle sont de l'ordre de l’IA faible. L’IA forte, elle, fait référence à une machine capable non seulement de reproduire un comportement intelligent, mais aussi de disposer d’une réelle conscience de soi, de «vrais sentiments» et d'une compréhension de ses propres raisonnements. Si, à l’heure actuelle, il n’y a pas d’ordinateurs ou de robots aussi intelligents que l’être humain, ce n’est pas un problème d’outil, mais de conception.