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Le choix du réseau FCB de s'appuyer désormais sur une agence indépendante française aux dépens de sa filiale locale interroge sur la place des Anglo-saxons en France et les raisons des difficultés qu'ont certains à s'imposer.

Les Français ne sont pas connus pour leur hospitalité. Le marché publicitaire ne fait pas exception. «La France est un pays qui n’a pas une bonne cote, déjà parce que les lois sur la fiscalité changent régulièrement mais aussi parce que nous sommes assez certains de notre supériorité», concède Vincent Leclabart, président de l'agence indépendante Australie. Outre ce tropisme très français, les acteurs étrangers présents sur le marché hexagonal doivent aussi et surtout faire face à deux mastodontes du secteur et d'agences indépendantes fortes. «La France est un petit pays qui compte énormément d’agences depuis 1990. De plus, nous ne sommes plus vraiment prioritaires, aujourd’hui le business se concentre en Asie», précise Jean-Luc Bravi, président de DDB Paris (Omnicom). Problème culturel aussi… «Dès qu’on passe la frontière, quelle qu’elle soit, ce n’est plus la même histoire, pour l’alimentation-boisson notamment, on ne boit pas et ne mange pas de la même manière ici et en Allemagne», constate Vincent Leclabart.

Les réseaux anglo-saxons en font particulièrement les frais… FCB a ainsi préféré faire appel à l’indépendante Change comme partenaire français plutôt que d’investir dans sa structure parisienne dont l'avenir semble hypothéqué. «En dix ans, l’activité de l’agence a été divisée par dix», confie un acteur du secteur. «Dans les années 90, il y avait 350 à 400 collaborateurs et de beaux budgets chez FCB Paris, c’était une très belle agence. Mais aujourd’hui, le réseau FCB n’a aucun intérêt à pousser son bureau local, il se porte suffisamment bien notamment en Amérique du Nord», explique Nicolas Zunz, ‎coprésident de Publicis Communications France.

Manque d'attention

Grey, McCann, JWT, Y&R… la liste des agences françaises en plus ou moins grande difficulté, dont les consœurs étrangères rayonnent à l'international, est longue. «Le vrai souci, c’est le tournant digital qu’elles n’ont pas su prendre… Une grosse partie de ce qu’on fait aujourd’hui n’existait pas hier», rappelle Natalie Rastoin, présidente d’Ogilvy France (WPP). «Ces agences ne se sont pas remises en question sur leur modèle et n’ont pas investi dans ce qui fait une agence moderne avec une offre complète. Elles proposent de la publicité traditionnelle», constate aussi Nicolas Zunz qui connaît bien le sujet… Saatchi & Saatchi et Leo Burnett, toutes deux filiales de Publicis Groupe, peinant aussi à trouver leur place sur le marché. «L’attention portée à ces agences n’a pas été la même que pour celles qui sont présentes uniquement en France. Nous avons la chance d’avoir une marge de manœuvre et d’erreur parce que nous nous appellons Publicis. Nous avons donc eu les moyens de recréer un set de compétences en fusionnant Leo Burnett avec Dialog et Saatchi avec Red.» Des gains récents (Cuisinella, Senseo...) et les résultats confortent le groupe dans sa décision, qui concède toutefois surveiller ces antennes «comme le lait sur le feu».

L’attractivité et la création, les deux pièces maîtresses d’une agence de publicité, sont les autres handicaps de certaines agences anglo-saxonnes. «Pendant longtemps, les antennes françaises de Grey ou JWT [filiales de WPP] ont fonctionné en adaptant les campagnes internationales. Elles ont bien vécu pendant dix ans, mais aujourd’hui, elles n’arrivent plus à attirer les créatifs. CLM [Omnicom] a été dans le même cas, mais elle s’est réveillée à temps et a pris le risque de se réorganiser», précise Jean-Luc Bravi.

Attirer les budgets locaux

Alors pourquoi, avec des contraintes similaires, des Ogilvy, DDB ou TBWA réussissent en France? «Chez DDB, ça fonctionne parce que nous sommes plus une fédération d’agences qu’un vrai réseau. Nous nous comportons comme si nous étions indépendants. Et nous avons peu de marques internationales», commente le président de l’agence parisienne. «Chez WPP, il y a une véritable horizontalité qui nous permet d’optimiser nos expertises. Mais soyons clairs: cela a toujours été compliqué. Martin Sorrell a pour habitude de dire que les trois pays les plus difficiles sont le Japon, la Corée et la France», confie Natalie Rastoin. Quant à TBWA France, son président, Guillaume Pannaud, confirme: «La vitalité d’une agence réside dans sa capacité à attirer les budgets locaux. TBWA en France réalise 88% de sa marge brute avec les clients locaux. La présence dominatrice des réseaux français est normale, ce n’est pas une fatalité. Une agence comme Buzzman prouve qu’il est possible d’entreprendre en France et de réussir.»

Ces disparités interrogent toutefois le fonctionnement des réseaux qui ouvrent des antennes partout dans le monde pour s’assurer une couverture la plus large possible. «Je ne crois pas à l’international décidé sans client. Chez Australie, nous gérons l’international d’ici. Nous avons travaillé pour Guerlain pendant quatre ans avec un partenaire aux États-Unis», précise Vincent Leclabart. «Le modèle est en évolution... Dans les années 90, il fallait être présent partout. Désormais, on constitue un hub de 5 ou 6 bureaux qui gèrent le budget mondial. Ce n’est pas rare de faire appel à une agence extérieure pour certains budgets, mais on ne le revendique pas. À l’époque où je dirigeais Louis XIV, j’avais une agence indépendante allemande et BBH qui m’accompagnaient pour gérer Audi. Nous préfèrons choisir un concurrent que de faire appel à une agence “faible” [du réseau] qui nous ferait prendre le risque de mettre en danger une bonne relation avec un gros client», assure Jean-Luc Bravi. Une concession nécessaire qui illustre le changement de paradigme des grands réseaux publicitaires traditionnels. 

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