Il suffit de rappeler la déclaration d'Olivier Dassault à La Croix en juin dernier («Je suis le plus qualifié pour la succession»)pour faire sortir de leur réserve les autres membres de la famille. «Nous ne l'acceptons plus, explique Laurent Dassault, deuxième fils de Serge. Il n'y a pas un héritier, il y en a quatre: Olivier, Laurent, Thierry et Marie-Hélène. Le plus important, c'est la continuité de la lignée, et notre mission, c'est de transmettre. Il n'y a pas de guerre de succession et il n'y en aura pas car, après la disparition de mon père, nous serons assez intelligents pour faire en sorte que la quatrième génération reçoive les fruits de la première.» Alors que Serge Dassault aura 85 ans en avril, le président de l'Immobilière Dassault et de Château Dassault confie à Stratégies ce 8 janvier, à deux pas de l'hôtel particulier du groupe, sur le rond-point des Champs-Élysées, les plans arrêtés par sa famille en 2009 pour régler la succession de Serge Dassault.
«Je suis un peu comme le prince Charles qui attend toujours et ne régnera peut-être jamais»: le trait d'humour du député UMP Olivier Dassault dans La Croix n'a pas fait l'unanimité du clan. Ou alors contre lui. Pour répliquer, le père a déclaré que sa succession n'était pas ouverte et, dans Le Nouvel Observateur, que ses fils se faisaient «beaucoup mousser mais qu'en réalité ils ne faisaient pas grand-chose». Le 25 mars, une assemblée générale des actionnaires du Groupe industriel Marcel Dassault – comprenant tous les membres de la famille – avait approuvé les nouveaux statuts de la société. En cas de décès du patriarche, il a été décidé qu'un conseil de famille comprenant Nicole Dassault et ses quatre enfants déciderait seul du nouveau patron du groupe. Seule certitude: ce sera bien un Dassault. Une donation-partage, réalisée à la fin 2008 par Bernard Monassier, le notaire et ami de la famille, a organisé la migration d'une partie des actions détenues par les enfants (depuis quinze ans Serge Dassault a assuré la transmission de son capital en nue-propriété à sa descendance tout en conservant les droits de vote).
Instauration d'une limite d'âge
Désormais, ce sont donc des actions de préférence qui lient les uns aux autres les membres de la famille, avec versement d'un dividende annuel et, comme l'a révélé Challenges, une cagnotte de 60 millions d'euros accordée aux quatre héritiers à partir des réserves de la société. En échange, les enfants se sont engagés à ne pas céder à un tiers pendant dix ans «après le décès du survivant de monsieur Serge Dassault et madame Nicole Dassault». En clair, et comme le confirme Laurent Dassault, un pacte d'actionnaires prévoit que tout héritier ne peut plus vendre de parts qu'à des descendants directs, via une structure de liquidités constituée à partir des dividendes remontant des sociétés du groupe. Tout prise ou vente de participation importante passe aussi par le conseil de famille (Laurent souhaiterait d'ailleurs qu'il soit élargi aux douze petits-enfants).
Si le patron actuel n'a pas de limite d'âge pour exercer le pouvoir, tel ne sera pas le cas de ses successeurs, qui devront passer le flambeau à 75 ans. Tout comme le père s'est refusé à accorder sa préférence à l'un de ses enfants, il ne précise pas quelle forme de gouvernance doit se mettre en place. Le fils cadet croit beaucoup à une direction collégiale. Ou, comme chez les Decaux, à une présidence alternée, suivant les années, entre Jean-François et Jean-Charles, les deux fils aînés. Une chose est sûre en tout cas, selon lui, Olivier ne peut pas se prévaloir de sa relation privilégiée avec le fondateur Marcel (dont il fut le secrétaire particulier) pour briguer le pouvoir. «Diriger un jour le groupe ? Nous sommes tous nés avec cette ambition», relève Laurent Dassault, pour qui la légitimité ne peut venir d'une intronisation quelconque mais de la «compétence», de l'acceptation par les barons du groupe et de l'investissement personnel dans l'entreprise familiale. «Depuis que je suis sorti d'un escadron de chasse, lâche-t-il, j'apporte ma pierre à l'édifice Dassault. Cela mérite un petit peu de reconnaissance.»
La presse, levier d'influence
Faut-il s'attendre à une lutte fratricide entre Olivier et Laurent ? Le cadet ne le croit pas: «Il y aura un consensus sur la direction du groupe. Mon père est très attaché à sa pérennité. Il faut qu'il soit fier de la troisième génération, qui va sauver la quatrième.» Reste qu'il n'ignore pas non plus que «80% des groupes familiaux disparaissent à la troisième génération». Le risque d'éclatement est donc bien réel. D'où l'importance de bien ancrer la famille Dassault dans un réseau de relations capitalistiques avec des grands noms de l'industrie (Peugeot, Mérieux, Benetton, etc.) avec lesquels on partage histoire, culture, valeurs et surtout «souci de la transmission du nom et du patrimoine».
Quelle place sera réservée à la presse dans cette destinée patrimoniale? Si Laurent Dassault approuve son père quand il déclarait que le rôle du Figaro est de transmettre «quelques idées saines», il sait aussi qu'un journal est un formidable levier d'influence quand on dépend des commandes de l'État. «Demandez à Bouygues, à Arnault, à Pinault: il est très important de détenir un organe de communication. Le Figaro nous a donné un rayonnement que nous n'avions pas.»
Au conseil d'administration du quotidien, seuls Olivier et Thierry figurent néanmoins aux côtés de Nicole Dassault et du gendre Benoît Habert, époux de Marie-Hélène. Laurent Dassault reprendra-t-il sous son aile d'autres branches de l'empire? Homme de mécénat et de vente de biens culturels (Artcurial), il s'intéresse néanmoins à la presse, notamment à Beaux Arts magazine qu'il souhaiterait racheter. Quant à la politique, elle taraude aussi le cadet, qui brigue la candidature UMP aux élections régionales de Basse-Normandie. Sur les traces de Marcel et de Serge… comme Olivier.