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Hausse des prix aux enchères, ouvertures de musées, de galeries, créations de foires d’arts… Autant d’indices qui attestent d’un engouement de plus en plus fort pour l'art contemporain africain.

«Florissant» est un mot souvent utilisé pour décrire le marché de l’art contemporain africain. Ces dernières années, on observe en effet un intérêt croissant pour cet univers notamment via la multiplication d’événements (expositions, foires…) de l’Afrique aux États-Unis, en passant par l’Europe. La troisième édition d’AKAA – Also Known As Africa – au Carreau du Temple à Paris, qui se tiendra du 9 au 11 novembre, en est un exemple concret. Lors de cette foire d’art contemporain centrée sur l’Afrique, 135 artistes seront exposés, issus de 40 pays. Seront également présentes 45 galeries africaines et européennes. L’occasion pour chacun de venir découvrir « l’art contemporain d’Afrique » comme le dénomine Victoria Mann, la directrice d’AKAA. « Je préfère utiliser cette appellation car je trouve qu’elle représente mieux la diversité de tous ces artistes. Ils sont tous unis par un lien avec ce continent, qu’il soit familial ou simplement par passion », explique la spécialiste d’origine franco-américaine.

Afrique du Sud et Nigéria, locomotives économiques du marché

À chaque artiste sa thématique, souvent engagée, où la filiation tient une place importante. C’est le cas de l’artiste cubaine Susana Pilar, qui exposera plusieurs photos familiales de mariage pour raconter son histoire personnelle liée à différents continents. Tariku Shiferaw a quant à lui décidé d’associer musique et origines. Né en Éthiopie, puis parti avec sa famille s’installer aux Etats-Unis, il réalise de la peinture abstraite au rythme du jazz, musique aux origines afro-américaines. Phyllis Galembo, une artiste américaine, explore la thématique du carnaval pour aborder le sujet de la transmission de traditions aux accents politiques, artistiques, sociaux et religieux. Quel lien entre l’Argentine et le Zimbabwe ? Le photographe argentin, Marcelo Brodsky, établit un parallèle entre les instabilités politiques entre les deux pays. Des artistes à découvrir tout au long de la foire d'art AKAA.

En 2017, la Fondation Louis Vuitton consacrait la totalité de ses espaces ainsi qu’un dense programme pluridisciplinaire à l’Afrique : « Art/Afrique, le nouvel atelier » regroupait ainsi deux expositions, « Les Initiés », un choix d’œuvres (1989-2009) de la collection d’art contemporain africain de Jean Pigozzi et « Être là », une scène contemporaine, auxquelles s’ajoutait une sélection d’œuvres de la collection de la fondation.

Autre indicateur de l'engouement pour «l'art contemporain d'Afrique», la hausse des prix de ventes aux enchères atteste également d’une nouvelle notoriété. Si les prix d’achat sont encore loin des ventes records («Balloon Dog (Orange)», de Jeff Koons, vendu 58,4 millions de dollars en 2013, «Portrait of an Artist (Pool with two Figures)» de David Hockney, mise en vente et estimée à 69,1 millions d'euros), elles peuvent néanmoins atteindre des sommets. « Ce nouveau marché est en plein boom et les records sont exponentiels », commente Jean-Philippe Aka, marchand d’art et fondateur de l’entreprise de conseil en arts, Africa Art Market. À titre d’exemple, l'œuvre « Retopistics : A Renegade Excavation » de l’artiste Julie Mehretu, a été vendue en 2013 pour 4,6 millions de dollars. Au cours des cinq dernières années, les investissements des collectionneurs dans l'art africain sont estimés entre 300 à 400 millions de dollars américains, d’après le Global Africa Art Market Report 2016.

Malgré un intérêt mondial et une renommée croissante des artistes, le profil des acheteurs reste encore en majorité intercontinental. « Même si on trouve des acheteurs un peu partout dans le monde, amateurs d'art africain, on observe une concentration d'acheteurs en Afrique du Sud, au Nigéria et de plus en plus au Maroc », précise Jean-Philippe Aka. Rien d'illogique : ces pays concentrent une grande part de la richesse du continent. Sur les sept milliardaires africains, recensés dans le classement 2017 de l’agence Bloomberg, trois sont Sud-Africains et deux Nigérians. En matière de PIB (produit intérieur brut) le Nigéria (581 milliards de dollars) est le pays d’Afrique le plus riche, loin devant l’Afrique Sud (276 milliards de dollars), d’après la Banque africaine de développement (la BAD).

Des initiatives à seuls fonds privés

Ce processus de développement n’a rien d’inhabituel selon Victoria Mann : « Les investissements culturels locaux sont nécessaires pour ancrer un art dans un rayonnement à plus large spectre. » Plusieurs villes font figure de phare culturel : le Cap et Johannesbourg en Afrique du Sud, Lagos au Nigéria, Dakar au Sénégal, Casablanca et Marrakech au Maroc, Abidjan en Côté-Ivoire, ou encore Cotonou au Bénin… À travers le continent, les expositions se développent, de nouvelles foires d’art voient le jour, des musées se créent. Ces initiatives sont autant de preuves d’un art en plein extension. 

L’année dernière, la ville du Cap inaugurait un nouveau musée, le Zeitz, entièrement dédié à l’art contemporain africain. Autre exemple, en 2013, avec l’ouverture d’un musée du même type à Ouidah au Bénin, la Fondation Zinsou. Situé à une quarantaine de kilomètres de la capitale, cette ville chargée d’histoire, connue notamment pour son rôle dans la traite des esclaves de l'Atlantique, est une preuve supplémentaire d’un art engagé.

Point commun entre toutes ces initiatives : elles sont seulement financées par des fonds privés. Un frein pour l'expansion de l'art africain d'aujourd'hui ? Victoria Mann ne cache en tout cas pas un regret : le manque actuel d’investissement des gouvernements africains pour promouvoir la richesse culturelle du continent.

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