Société
Selfies tueurs, voitures autonomes folles, viol des données personnelles... Certaines informations ressembleraient à de la mauvaise science-fiction si elles n'étaient pas des réalités. Plus qu'une époque utopique, ne vivons-nous pas plutôt une ère dystopique ?

[Cet article est issu du n°1948 de Stratégies, daté du 26 avril 2018] 

 

 

Elle est plutôt gironde, dans le genre robotique. Sur les murs de Tama, au Japon, début avril, l’image de ce cyborg féminin côtoyait les affiches des candidats aux élections municipales. Pour la première fois dans le monde, une intelligence artificielle se présentait à une élection. Derrière cette candidature high-tech, Michihito Matsuda, ancien candidat malheureux. Lequel présentait ainsi son programme sur son compte Twitter : « Avec la naissance d’un “maire-IA”, nous allons conduire une politique impartiale et objective. Nous allons mettre rapidement en œuvre des lois bien renseignées et avec un savoir-faire technique pour diriger la nouvelle génération ».

Délire glaçant ? Ou inquiétante réalité ? Si, comme le veut l’adage, le pire n’est jamais sûr, il paraît en tout cas de plus en plus réel. Les Minority Report, Bienvenue à Gattaca et autre 1984 passeraient presque pour d’inoffensives bluettes au regard de récentes actualités. Les selfies tuent les Narcisse modernes, qui, pour réaliser l’autoportrait parfait, s’exposent à des accidents mortels. Les débuts des voitures autonomes - utopie futuriste s’il en est - se font dans le sang : le dernier accident date du 19 mars dernier, à Tempe, en Arizona.

Fausses notes

Encore plus proche de nous, dans le même temps que le scandale Facebook/Cambridge Analytica, un projet du gouvernement chinois faisait les gros titres, il y a quelques semaines. Le Social Credit System (SCS), annoncé en 2014, démarrera sous forme de test grandeur nature à partir du 1er mai dans les transports. Ce système de notation sociale à la Black Mirror se fonde sur l’exploitation de la data : informations collectées sur des sites marchands, des services de partage de vélos ou via l’application WeChat, hégémonique, qui est très utilisée en Chine. Aux premiers de la classe les bonnes entreprises, aux cancres l’interdiction de voyager… Éminemment totalitaire.

« Aujourd’hui, réconciliés avec le terrible, nous assistons à une contamination de l’utopie par l’apocalypse : la “nouvelle terre” qu’on nous annonce affecte de plus en plus la figure d’un nouvel enfer », écrit Emil Cioran dans Histoire et Utopie. De fait, vivons-nous vraiment une époque utopique… ou furieusement dystopique ?

« Se pose actuellement la question du progrès, analyse Sacha Lacroix, directeur général de Rosapark. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, tout progrès (invention de la roue, de l’imprimerie, du chemin de fer…) était vecteur de progrès humain. Aujourd’hui, alors que le progrès technologique s’est très fortement accéléré, on n’y perçoit pas toujours la finalité humaine. C’est ce que l’on appelle “la singularité technologique” : ce moment de l’avancée technologique qui fait basculer soit dans l’utopie, soit dans la dystopie. »

L'homme contre la machine

AlphaGo, documentaire de Netflix, donne ainsi à voir le combat entre un programme d’intelligence artificielle championne du jeu de go, contre des humains. On pense à Deep Blue, l’ordinateur d’IBM qui avait humilié le champion d’échec Garry Kasparov en 1997. AlphaGo dégomme impitoyablement et sans bavure les plus grands joueurs mondiaux. « Dans ce documentaire, on sent sourdre une angoisse profonde – la fin de l’humanité », résume Sacha Lacroix.

Si l’utopie reste un terreau fertile pour la publicité, la dystopie, qui fait florès dans l’édition et la fiction, continue à effrayer les marques. « Apple et son spot “1984” reste un exemple à part, constate le directeur général de Rosapark. Dans la pub, exposer du négatif reste une mécanique en creux pour montrer le positif… »

Pourtant, les chantres de la dystopie, plus que ceux de l’utopie, sont souvent ceux à qui l’avenir donne raison. Même si, à l’instar de Cassandre, leurs prédictions ne sont pas souvent crues. Margaret Atwood, auteure de La Servante écarlate, dystopie patriarcale, religieuse et environnementale, magistralement adaptée dans une série à succès sur Hulu, s’ouvrait de son désarroi en 1976, dans un essai intitulé « On being a woman writer » (cité par Society dans son numéro 79) : « Ce n’est pas si réconfortant que ça que l’on vous dise que vous aviez raison depuis le début… C’est comme être jugée innocente après que l’on vous a pendue. La satisfaction est amère. »

La dystopie pour les nuls

La dystopie ne va pas sans l’utopie. Elle en est le visage sombre, l’image inversée. La dystopie, c’est une utopie qui a mal tourné. Le terme désigne le plus souvent un récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre, avec pour référence absolue 1984 de George Orwell.

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