Influence marketing
Facebook et les autres plateformes sociales sont depuis quelques années devenues le théâtre d’une étonnante économie portée par des quidams très motivées et créatives.

[Cet article est issu du n°1942 de Stratégies, daté du 15 mars 2018]

 

«Hello hello mes petites poulettes, je vous retrouve aujourd’hui pour vous parler de mon nouveau produit chouchou: ce super mascara sans silicone !», chantonne Christine (1) dans une vidéo. Une publication sur Facebook qui ne récolte que sept petits likes…

Bienvenue dans l’univers des «nano-influenceuses», ces particulières qui s’emploient à recommander à leur communauté de 300 ou 500 abonnés les bienfaits de produits-miracle. «Je travaille depuis juillet avec la marque cosmétique Nu Skin, témoigne Vanessa, parallèlement esthéticienne à son compte. J'ai été démarchée par une amie qui faisait la promotion d’un dentifrice blanchissant. Pour le moment, cela constitue un complément de salaire, qui m’a permis de me financer un voyage en Inde. Mais l’amie qui m’a recrutée vit à 100% de cette activité.»

Cette activité baptisée marketing de réseau ou marketing/vente multi-niveau est en plein boom. Plusieurs enseignes, parfois très anciennes, sont positionnées sur ce marché en France. C’est le cas de l’entreprise américaine Nu Skin, fondée en 1984. D’autres sociétés sont ainsi implantées dans l'Hexagone à l'instar de Natura, Amway ou encore It Works. Toutes sont les petites sœurs de Tupperware, célèbre entreprise fondée par Earl Tupper en 1946, qui reste un véritable phénomène de société, encore vivace. Avec, comme principe fondateur, la promesse faite aux femmes de milieux modestes de trouver à la fois une source de revenu et une activité sociale en utilisant leurs réseaux (sociaux).

Un système bien huilé, qui se veut lucratif… surtout pour l’entreprise. La vente multi-niveau élimine en effet les coûts liés au recrutement et à la formation mais aussi les dépenses de publicité, en lui substituant le bouche à oreille.

Les paliers

Aujourd’hui, les réunions à domicile se sont déplacées sur les plateformes internet. Pour se lancer dans l’aventure, le principe est le suivant : d’abord, trouver une distributrice (ou distri pour les initiées), une sorte de marraine, pour obtenir des produits à tester. Ensuite, vanter les mérites de ces produits sur les réseaux sociaux. « Attention, il ne s’agit pas de vendre, notre statut est “conseillère en beauté” », prévient Vanessa.

À partir de là, deux types de rémunération coexistent : primo, la distributrice récupère une marge de 30 % sur les ventes. Deuxio, elle touche un pourcentage du volume total des ventes sur un mois de toutes les distributrices « sous elle » – des filles qu’elle a recrutées. « Plus l'équipe est grande, plus le pourcentage est élevé, précise la jeune femme. Tous les mois, mon équipe récolte minimum 2 000 euros, sur lesquels je touche 9 %. La personne qui nous a recrutées possède un groupe de plus de 120 distributrices et touche une rémunération qui varie entre 3 000 et 7 000 euros nets par mois.» 

 À la clé: l'obtention d’un titre à chaque palier franchi: d’abord chef de groupe, puis Rubis, Diamant bleu et enfin Team Elite. À cet ultime niveau, certains vendeurs seraient devenus millionnaires... «Cela nous fait toutes rêver», assure Christine, citant l’exemple de Tori Spelling, ancienne star de la télévision américaine aujourd’hui ambassadrice de Nu Skin.

La formation

Quand elles intègrent l’entreprise, les distributrices ont à leur disposition un groupe Facebook privé. On y trouve le matériel de formation nécessaire à la bonne pratique de leur activité sous forme de vidéos. De la documentation sur les différents produits, mais pas seulement. Les filles peuvent également se former à la création de contenus sur les réseaux sociaux... Les intitulés sont éloquents: «Comment rendre ses feeds Facebook et Instagram attractifs», «Comment développer sa base abonnés», «Comment s’exprimer comme un influenceur», etc.

Pour ne pas submerger leurs abonnés avec des posts commerciaux, il est conseillé d’émettre 80% de posts relatifs à la vie quotidienne pour 20% seulement consacrés à la publicité. Il est aussi recommandé d’ajouter chaque jour dix personnes sur les réseaux. « J’ai explosé ma base abonnés, confie Christine. J’avais 30 abonnés sur Instagram, il y a trois mois, je cumule aujourd'hui plus de 600 followers... »

Publicité déguisée?

En formation, on apprend aussi à ne pas utiliser certains termes: «commande», «je vends» ou «achetez»... Raison invoquée ? Facebook aurait tendance à sous-distribuer ce type de posts. Aussi, les distributrices recommandent entre elles de ne faire aucune mention de la marque. Cette fois, c’est une question de stratégie de vente: le risque étant que le client potentiel se rende sur le site sans passer par elles.

Dès lors, peut-on parler de publicité déguisée ?« Ces entreprises, comme Nu Skin France, sont la plupart du temps adhérentes de la Fédération de la vente directe. À ce titre, elles respectent un cahier des charges de pratiques légales de la vente en réseau, rappelle Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP, l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité. Mais elles ne peuvent pas contrôler tout ce qui est dit sur les réseaux sociaux. Pourtant, la loi exige qu’une collaboration commerciale soit toujours spécifiée. » Les règles sont en effet les mêmes que pour les « influenceurs » en général. En juin dernier, l'ARPP a ajouté à ce sujet une règle « Communication d’influenceurs et marques » à ses recommandations «Communication publicitaire digitale»

«Ces filles-là ne seront jamais de vraies influenceuses,  tranche Thomas Owadenko, patron de l’agence Octoly, spécialiste de l’influence marketing. La force d’une influenceuse, aussi micro soit-elle, c’est son authenticité. On la suit pour son avis, son opinion. Ces “distributrices”, elles, ne font que de la promotion de produits.» 

Même son de cloche chez Influence4you : «Au départ, notre plateforme était ouverte à tous, raconte Stéphane Bouillet, PDG de l’agence. Mais nous avons décidé de mettre une limite à 2 000 abonnés. En dessous, nous considérons que ces influenceurs sont “anti-économiques”. À la fois pour l’agence, en coût de gestion et de support, et pour les marques qui ne peuvent pas s’y retrouver. »

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