stratégie de marques
Le luxe en 2014, c'est quoi? Stratégies a demandé à plusieurs experts dans les agences de communication de livrer leur(s) définition(s).

La déconnexion

«Tout le monde est pris dans la Matrix, cerné par le quantified self; on sent donc une profonde aspiration au silence: les lieux de luxe avec zéro wifi prolifèrent. On se voit proposer des séjours en Thaïlande ou Indonésie qui mélangent "cleansing" et méditation intensive (vous ne buvez que des jus et des décoctions à base de plantes pendant une a deux semaines, vous dormez dans une hutte sur la plage, etc.) Ou encore des voyages en "Chamanie" organisés en Amérique du Sud où, pendant deux semaines, on part dans la forêt faire l'expérience de l'ayahuasca et de la mescaline accompagné d'un coach spirituel... En passant par l'hôtel de luxe sur Gotland en Suède, qui propose une expérience d'ermite, tout seul au milieu de la forêt, dans une hutte, sans aucune connexion au monde extérieur. Même si le hall de l'hôtel n'est qu'à quinze minutes de marche, au cas où on aurait tout de même envie de se faire un bon petit déjeuner...»

Nicolas Chemla, creative brand strategist, Lumière noire

 

La réserve
«À l'heure d'un luxe mondialisé, le besoin de "distinction" est plus fort encore. La puissance globalisée des marques leur donne une envergure qui peut les banaliser... certes, le règne du "tout logo" a vécu, mais flagships qui flamboient dans les villes ou présence qui prolifère sur internet, le luxe doit plus que jamais gérer un paradoxe qui lui est depuis toujours attaché: gérer une visibilité qu'on espère maximale et une désidérabilité qu'on voudrait aiguisée, donc nécessairement rare et secrète. C'est ainsi qu'une stratégie de la "réserve" se fait jour: au show surexposé des défilés Chanel du Grand Palais succèdent les enclaves plus happy few, des métiers d'art qui se délocalisent en Ecosse, à Dubai ou au Texas, choix surprenant permettant à la fois de faire événement, de "storyteller" une saga immédiatement internationale et de présenter des collections dédiées. C'est aussi le culte des séries limitées, avec les parfums "Collection privée" d'un Armani par exemple qui se dressent comme un rempart attirant face à ses best-sellers. C'est évidemment le flirt poussé entre luxe et art devenu indispensable tant les artistes permettent au luxe de requalifier son olympe entre éternité revendiquée et sens, transformant "l'air du temps" (car l'art lui-même est "impur" et traversé par la tendance) pour un sacre incontestable.»

André Mazal, directeur du planning stratégique, BETC Luxe

 

L'artisanat

«Ce n'est pas une chose surprenante à dire mais on a bien du mal à le comprendre. L'artisanat (dans ce qu'il a d'artistique) est à l'origine de tout luxe. Les grandes marques de luxe comme Louis Vuitton, Hermès, Bulgari, Chaumet rayonnent grâce à leur savoir-faire unique, à leurs artisans d'exception. Elles créent, avec les standards les plus élevés, le plus souvent à la main, ce qui fait la différence dans un monde où tout est produit en masse. Les artisans, par la finesse de leur travail (de quelque univers qu'ils soient), embarquent le consommateur dans un univers à part, exclusif, magique. L'artisan est celui qui, au sommet de son art, crée un objet ou une expérience tellement excitante, belle et surprenante qu'il en a renversé la situation et cet objet, cette expérience devient de l'art. Dans ce cas-là, l'artiste définit l'idée de rareté et de valeur par sa capacité à créer, dans les plus infimes détails, les points de couture délicats d'un sac Kelly ou le mécanisme mystérieux d'une broche Van Cleef & Arpels. C'est la tradition ancienne, la transmission des aînés qui créent la valeur.»

Kurt Novack, directeur de la création, Ogilvy One

 

L'empreinte culturelle

«En prenant conscience de son impact sur l'époque, le luxe devient intelligent. Il crée davantage d'échanges créatifs et de diversité culturelle. Il rend à la rue ce qu'elle lui a donné. Il voyage sans trahir. Il sait que lui incombe une mission de société. Il marque son temps au-delà de sa griffe.»

Brune Buonomano, directrice générale adjointe, BETC Luxe


L'innovation

«Le vrai luxe, c'est l'innovation, la création. Pour les marques de luxe, la situation devient plus difficile par exemple en Asie, notamment du fait des nouvelles lois anticorruption. On s'oriente vers un luxe moins ostentatoire et plus authentique. Mais tous les consommateurs continuent à reconnaître la qualité de l'innovation, et à admettre que le luxe les fait toujours autant rêver. Les défilés, par exemple, sont des shows de plus en plus innovants, comme la vraie-fausse manifestation féministe de Chanel au Grand Palais lors de la dernière Fashion Week. Ce que fait une marque comme Chanel est par ailleurs extraordinaire: une qualité absolue mêlée à une dynamique de marque très forte.»

Paul-Emmanuel Reiffers, président-fondateur, Mazarine

 

Le temps

«Une fois la satisfaction immédiate, hédoniste et égoïste à posséder des objets de luxe (et de bénéficier du statut qui les accompagne), la question du temps fait bien vite son apparition. Il n'est pas étonnant de penser que l'on s'attribue ainsi des parts d'éternité, autant de capsules temporelles arrachées à la frénésie ambiante: historicité des maisons, tempo de l'artisan par définition dans une autre cadence, lenteur revendiquée pour traquer la pierre parfaite, "élever" un vin, broder une pièce haute couture, c'est tout un trafic temporel qui s'organise autour des plus beaux irrésistibles produits de luxe. Mais le temps, c'est aussi le nerf de la paix de toute une industrie du service: hôtellerie, loisirs édéniques, parenthèses enchantées, le temps est le dernier mantra de ceux qui en manquent et comme toute denrée rare un luxe suprême. Cependant, il ne faut pas s'en laisser compter par les seules sirènes du slow. Oui bien sûr, c'est une quête ultime, mais le luxe doit faire aussi avec le tempo trépidant du monde contemporain, il a pour noblesse d'être parfois en avance, plus propice à saisir la nouveauté, plus apte à inventer des imaginaires s'il ne veut pas être compassé et nostalgique.»

Claus Lindorff, directeur général, BETC Luxe

 

Le sang
«Après True Blood mais aussi le personnage de Kathy Bates dans American Horror Story, dont le rituel beauté consistait à se faire des "facial" avec le sang de ses esclaves noires, en passant par la comtesse du film de Julie Delpy, la beauté s'offre des frissons d'horreur avec des crèmes au placenta, mais aussi au sperme de bélier, au venin de serpent... Kim Kardashian a d'ailleurs récemment popularisé la tendance dans son show en se faisant injecter son propre sang dans le visage pour retendre sa peau. Mais ce sont aussi les cocktails à base de sang de porc qui ont défrayé la chronique l'an dernier à Chicago, et à Londres, à la Bocca Di Luppo, haut lieu d'une cuisine italienne terroir et créative, où le dessert qui fait fureur est une crème au chocolat mélangé de boudin noir (sang de porc...). On assume le recours à une forme de cruauté, de barbarie.»

Nicolas Chemla, creative brand strategist, Lumière noire

Une direction artistique totale

«De manière générale, tout dépend du charisme des créateurs, que ce soit dans la mode, la restauration ou l'hôtellerie de luxe... Des cuisiniers comme Yannick Alléno sont devenus des stars mondiales. Leurs clients attendent qu'ils sortent de leurs fourneaux. Aujourd'hui, dans un grand restaurant comme ailleurs, il s'agit de penser l'environnement global, la direction artistique. Aujourd'hui, si on mange dans un restaurant étoilé, on se trouve dans une maison de luxe, d'une certaine manière: un moment exceptionnel dans un lieu exceptionnel. Les palaces parisiens sont en plein renouveau: le Ritz et le Plaza vont rouvrir leurs portes après des rénovations, et Le Peninsula a ouvert ses portes l'été dernier, avec des chambres de luxe ultime, et un service de haute volée qui est en train d'être mis en place.»

Paul-Emmanuel Reiffers, président-fondateur, Mazarine

 

Le cosmos

«Rosetta vient ponctuer ce que l'on sent venir depuis quelques temps: l'espace est de nouveau chargé de tous les imaginaires, le cosmos est de nouveau la nouvelle frontière, l'horizon de nos rêves les plus fous, de nos odyssées les plus délirantes, à la fois secret de nos origines et voyage vers l'avenir. Des crèmes de beauté à la poudre de météorites de Filorga, des montres à la pierre de lune, des séjours "astro" au Chili au pied des étoiles, ou encore la fantastique Astérisque à Beijing, haut lieu d'un luxe cosmique qui mélange viticulture biodynamique, espace de méditation, feng shui et connexions aux éléments... L'accident de Virgin Galactic n'est qu'un défaut de parcours, il ne faut pas s'y tromper. L'espace est bel et bien le nouvel horizon du luxe.»

Nicolas Chemla, creative brand strategist, Lumière noire

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