Agences
Entre stratégie digitale et nouvelles technologies, le marché du marketing mobile compte une multiplicité d’acteurs qui doivent s’adapter à ses nouveaux enjeux et sujets clés : géolocalisation, mesure de la performance, ad exchange…

Groupes de communication : le défi du mobile first

 

A l'image d'Internet il y a vingt ans, le mobile place les groupes et agences de communication face à l'émergence de pure players souvent très spécialisés et qui apparaissent d'autant plus légitimes que le mobile relève d'un environnement technique propre, non immédiatement compatible avec l'écosystème du web fixe. « La croissance et le potentiel de ce marché sont tels que l'on voit apparaître chaque jour de nouvelles start-up qui pensent "mobile first". Pour les réseaux de communication, il y a là matière à réflexion, voire à remise en cause », note Thierry Pires, digital marketing manager chez HP. Qu'ils se soient construits sur le conseil stratégique ou l'achat média, les groupes et acteurs « classiques » de communication ne peuvent donc plus faire l'économie d'une réflexion sur la manière d'intégrer le mobile à leur écosystème. Cela peut appeler des stratégies diverses : acquisitions, réorganisations, créations de postes (voire de métiers), nominations. Avec, toujours, une équation à trouver entre un existant généraliste, souvent organisé par silos (métiers et/ou sectoriels), et la souplesse requise par une expertise mobile encore en pleine expérimentation de ses propres potentiels.

Pragmatisme oblige, la solution retenue passe généralement d'abord par la création d'un poste référent dédié au mobile et mis au service de toute la structure. Performics France, l'agence digitale du réseau ZenithOptimedia, s'est ainsi dotée d'un poste de spécialiste des solutions mobiles. Même approche chez Amplifi, l'entité trading du groupe Dentsu Aegis Network France, qui a créé en juillet 2014 un poste de Mobile Strategist, confié à Nicolas Rieul, ex-Mozoo. « Le groupe tire déjà plus de 50% de ses revenus du digital. Le mobile est clairement notre sujet central, avec une croissance à trois chiffres sur les investissements dans ce domaine », indique Céline Letu-Tortorici, directrice de la communication de Dentsu Aegis Network, dont l'agence de marketing digital Isobar a intégré l'agence mobile Lesmobilizers en mars 2014.
Quand ils ne choisissent pas de désigner une compétence référente en matière de mobilité, les groupes optent pour la création d'entités dédiées, mais toujours avec un même souci de souplesse et de transversalité. En juin 2014, l'agence de performance digitale iProspect a créé une cellule consacrée à la performance mobile et dont la vocation est d'alimenter et d'épauler l'ensemble des agences et départements du groupe Dentsu Aegis Network France.
Au-delà des choix précis d'organisation, le parti pris semble désormais le même : le mobile ne doit surtout pas être la chasse gardée d'une poignée de techniciens. « Que l'on soit une agence, une structure conseil, une régie, ou même un annonceur, il faut viser une optique convergence des médias. Faute de quoi, on risque de retourner à la logique des silos contre laquelle le marché a dû livrer bataille pendant des années », soutient Stanislas Coignard, consultant au pôle mobile d'Omnicom Media Group. Posture également défendue dans le Groupe Havas Media, dont l'agence mobile Mobnext est mise au service de toutes les expertises métiers du groupe. Ce, au sein d'un réseau international présent dans plus de 17 pays. « En mettant une expertise pure player à disposition de l'ensemble du village Havas, le groupe fait le pari de ne pas considérer le mobile comme une sous-partie du digital », affirme Dimitri Dautel, directeur de Mobnext.

Pour les grands groupes de communication, mécaniquement lestés par le poids de la structure et la complexité de leurs organisations, il n'est pas toujours facile de conjuguer expertise, souplesse du réseau et force de frappe multispécialiste. Après l'échec de la fusion avec Omnicom, Publicis – qui a acquis Phonevalley en 2007 et Monterosa en 2012 – doit par exemple présenter de nouvelles orientations stratégiques. Quels seront la place et le rôle du mobile dans cette nouvelle séquence ?

 

Publicité : quand le RTB explosera...

 

Tous les observateurs le disent : le déclic du marché publicitaire sur mobile viendra de l'ad exchange (places de marché d'inventaires invendus) et du RTB (Real Time Bidding, enchères en temps réel). Devant le potentiel de ce marché, les acteurs s'organisent. Les pure players de l'ad exchange et du RTB mobile sont encore massivement anglo-saxons : les américains Nexage (qui vient d'être racheté par le géant Millennial Media), Mopub (repris par Twitter en 2013), Flurry Analytics (acquis par Yahoo en 2014) ou encore l'allemand Smatoo.

Mais, en France, l'offre se structure. Place de marché exclusivement positionnée sur le RTB, La Place Media, qui regroupe aujourd'hui 30 éditeurs et monétise quelque 300 sites web, a lancé en mai 2013 une offre spécifiquement mobile. « Avec 1 milliard d'impressions mobile et tablette par mois, sur un total RTB de 4,5 milliards, le mobile représente 20% de notre chiffre d'affaires », revendique Vincent Tessier. En juin 2014, Audience Square, concurrent de La Place Media, a annoncé la sortie d'une offre RTB mobile. Six mois auparavant, Mobvious France, la régie mobile d'Hi-Media, avait également présenté son dispositif RTB. ZeBestOf, trading desk spécialisé depuis 2011 dans le RTB, s'est également lancé en 2013 sur le marché de la publicité mobile. « Nous sommes reliés à une trentaine d'ad exchanges ouverts sur les environnements mobiles, ce qui nous permet de proposer de la visibilité en bannières, en social, en vidéo ou en in-app », avance Frédéric Lefebvre, cofondateur.

SFR Régie, qui référence une cinquantaine de marques médias en inventaire exclusivement mobile, propose aussi son inventaire ad exchange : « Il représente environ 10% de notre activité », souligne Luc Vignon, directeur général. Et, signe des temps, la régie vient tout juste de lancer ses premières campagnes RTB. « Se pose la question de la maîtrise d'un écosystème technique très particulier. Les environnements web mobile et applicatif, par exemple, appellent des approches spécifiques », rappelle Jérôme Stioui, président d'Accengage. Intolérant aux cookies, le monde applicatif a son mode de fonctionnement propre, centré autour de la notion de SDK (Software Development Kit) publicitaire. « Vouloir opérer de la publicité mobile in-app en faisant l'économie de cette étape est illusoire », souligne Vincent Tessier, responsable de l'offre mobile chez La Place Media.

 

Géolocalisation : la révolution Ibeacon


Ce segment a sans doute l'un des potentiels de croissance les plus prometteurs du marketing mobile – et du marketing tout court. La géolocalisation constitue de fait un terrain privilégié de R&D des experts en mobilité. Leur objectif : maximiser les interactions entre les terminaux mobiles et le point de vente, pour permettre une compréhension globale du consommateur et de ses usages. « Le marché attire logiquement des intervenants d'horizons de plus en plus divers : acteurs spécialisés dans la géolocalisation, des agences de marketing mobile, mais aussi de grosses SSII », constate Damien Bousson, président d'Apocope, agence positionnée sur le commerce mobile. Des start-up telles qu'Admoov, Ad4Push, MobileTag, Estimote, Layar ou Think & Go proposent aujourd'hui des solutions ou des briques de solutions pointues sur des niches technologiques comme la publicité géolocalisée, le push geofencing, les QR codes, la triangulation, la réalité augmentée, la NFC…

Si le marché est né avec le GPS et géolocalisation outdoor, c'est sans doute avec la géolocalisation indoor que les transformations business seront les plus rapides pour les marques. En 2014, près de 25 000 systèmes de géolocalisation indoor devraient être déployés dans le monde, selon ABI Research, qui évalue ce marché à 4 milliards de dollars à l'horizon 2018. Un marché porté en grande partie par l'explosion de la technologie Bluetooth Low Energy (BLE). Utilisée par plusieurs sociétés françaises (Insiteo, Pôle Star, Tictag, Ubudu, Happy Newco), la BLE est justement la technologie retenue pour l'Ibeacon, le système de géolocalisation avec balises hardware lancé il y a un an par Apple. « Pour les enseignes de distribution, qui peuvent ainsi détecter et suivre la présence d'un mobinaute dans une surface donnée, les enjeux sont énormes. Les banques à réseau travaillent toutes à des projets de déploiement Ibeacon », signale Jérôme Stioui, président d'Accengage.

 

Performance : vers un tracking global


En septembre 2014, AD4Screen, acteur historique du marketing mobile, a annoncé la scission de ses activités en deux sociétés distinctes et indépendantes l’une de l’autre. Si la publicité et le conseil en marketing relationnel mobile restent sous la bannière AD4Screen, les activités à forte composante technologique sont regroupées sous la marque Accengage qui propose une offre de push notification et d’in-app messaging (ex-Ad4Push), de retargeting (ex-Ret4rget) et de tracking mobile (ex-Ad4Perf). Soit une plateforme de mobile CRM visant à améliorer l’engagement, la fidélisation et la conversion des utilisateurs d’applis mobiles. La création d’Accengage reflète en soi les enjeux commerciaux de la mesure de la performance sur mobile, clé d’accès à une mesure globale de l’audience digitale. « L'annonceur doit aujourd'hui pouvoir analyser le comportement de ses utilisateurs mobiles (mobile app analytics), connaître l'origine de ses téléchargements par source média (mobile app tracking) et d'identifier les sources d'acquisition mobile les plus engageantes », explique Jérôme Stioui, président d'Accengage.

La mesure de la performance est sans doute l'un des plus gros challenges du marketing mobile. Les acteurs sont nombreux à développer ou exploiter des suites logicielles ou des briques technologiques d'analyse et de transformation de l'information à des fins de performance marketing : Google Analytics, Comscore, Ad4Perf, Tune, Flurry, Kochavan, Appfigures… En avril 2013, Mediamétrie lançait l'Internet Global, une mesure unique de la consommation de l'internet fixe et mobile (tablettes comprises à compter de fin 2015). « Les éditeurs, les régies, les agences médias peuvent effectuer plusieurs types d'analyse : déduplication de l'audience (entre acteurs du fixe et du mobile), duplication (visiteurs communs), profil de l'audience dédupliquée », détaille Laurent Battais, directeur du département performance et cross média de Médiamétrie. Depuis, les acteurs de la publicité à la performance investissent peu à peu l'écosystème des smartphones et des tablettes. Au printemps 2014, Criteo, acteur majeur de la publicité display (notamment retargeting), a lancé une offre publicitaire complète sur mobile, basée sur le cookie. Le réseau d'affiliation Tradedoubler a également étendu son modèle de marketing à la performance au domaine des sites et applications mobiles.

Mais la question qui se pose aujourd'hui aux acteurs du marché est celle de la mesure globale de l'audience. Comment regrouper en un seul espace virtuel l'ensemble des données sur un même consommateur ? « Nous travaillons avec les opérateurs télécom autour de partenariats qui nous permettraient d'optimiser le tracking en géolocalisation », souligne Corinne Seguin, responsable de l'activité mobile d'iProspect. Si le tracking mobile to mobile est aujourd'hui maîtrisé, des progrès restent à faire dans les algorithmes de tracking web to mobile, et a fortiori web to mobile to store. Faute de cookies, il faut passer par la reconnaissance des identifiants de connexion. De quoi titiller la Cnil, qui s'intéresse de près à l'utilisation que les marques pourraient faire des identifiants PC, mobiles et tablettes. « Il y a fort à parier que le développement de technologies tierces associées au mobile remette en cause, à terme, le système des cookies. C'est une bonne nouvelle : les marques et les fabricants devront miser sur la transparence et l'assentiment préalable des mobinautes », affirme Bertrand Beaudichon, vice-président d'Omnicom Media Group.
Le marché devrait voir se développer des offres permettant de connaître le coût d'acquisition d'un client mobile, d'obtenir de la transparence sur un média complexe, mais aussi de contrôler et d'optimiser les investissements en publicité mobile, et de traiter les datas générées. A l'image de S4M, plateforme utilisée par plusieurs agences médias (GroupM, Ipropsect, OMD, Omnicom, Performics) ou d'Accengage, adoptée par des entreprises comme Carrefour, BNP Paribas, Vente-privée, Price Minister, Pages Jaunes, Disneyland et des SSII et agences telles Phonevalley, Airweb, Visuamobile ou Lesmobilizers.

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