Claude Douce, fondateur de Bélier, l'agence phare des années 1970, et ex-vice président Europe de McCann, publie aux Editions PC «Biface», livre qui retrace ses quarante ans de carrière dans la publicité avec, en filigrane, sa passion pour la préhistoire. Morceaux choisis.

UAP

Créer pour la publicité, c'est voyager dans l'imaginaire, mais aussi enjamber les années. Mal nous en prit, une fois. Il s'agissait (…) d'une campagne pour l'UAP qui tournait – déjà – autour d'une question de retraites. Sur une affiche, on voyait trois bébés en toisant une dizaine d'autres et cette annonce: «Les bébés de 1949, ne comptez pas trop sur les bébés de 1969 pour payer vos retraites!» (…) Le moins que l'on puisse dire est que la campagne faisait parler d'elle. Trop, certainement. Le patron de l'UAP l'interrompit: le gouvernement n'appréciait pas du tout cette mise en garde, pourtant prémonitoire, qui risquait de démoraliser les salariés…

 

Candia

L'un de mes plus grands souvenirs est celui de [ma] première campagne de lancement. (…) Une série de coopératives laitières souhaitaient se fondre en une marque unique. (...) Pour cette nouvelle marque de lait, lancée en 1971, nous avions choisi de jouer sur le symbolisme de l'innocence et, bien sûr, de l'enfance. C'était ce que voulait évoquer le nom choisi: Candia. À l'oreille, un mélange des mots «candeur» et «candide». (…) Ce fut l'une des premières campagnes utilisant la technique du teasing. Sur les affiches et les écrans, on voyait un enfant poil de carotte (…) qui annonçait: «Candia arrive le 1er mars.» Mais on ignorait de quel type de produit il s'agissait. Au jour dit, le graphisme montrait les bouteilles de lait Candia (…) Au matin du lancement, Candia était né. Moi aussi. Et l'un et l'autre d'une goutte de lait!

 

Stars et pub

Les rapports des vedettes – comédiens ou chanteurs – avec la publicité étaient ambigus, voire frileux. (…) C’est grâce à Serge Gainsbourg que l’impossible a été possible. 21 juillet 1969: (…) sur Europe 1, Serge Gainsbourg chantait On the rocks, composé pour Martini. (…) À sa suite, Johnny Hallyday et Sylvie Vartan reprirent ce Martini On the rocks (…). Ils furent nombreux, celles et ceux qui participèrent ensuite à ces spots, comme Carlos pour Oasis: «Mais qu’est-ce que tu bois doudou dis donc ?» (…). Il avait mis à son accord une condition assez particulière : «Si vous me faites prendre un marlin aux Caraïbes, nous avait-il dit, alors c’est d’accord, je fais un film pour Oasis.» Un challenge, quand même: ce poisson, qui peut faire trois mètres et peser plusieurs quintaux, est le plus grand trophée de la pêche sportive. Daniel Jeannin, un de nos directeurs généraux, avait organisé l’expédition avec succès, Carlos avait pris son marlin, ce qui scella une collaboration et une amitié qui devaient durer de longues années.  

 

 

Lotus

(…) Notre succès le plus incontestable fut évidemment la campagne – ou les campagnes – Lotus… Il faut, pour mesurer l’effet qu’elles produisirent, se remettre dans l’état d’esprit des années 1970: il y a alors des choses dont on ne «parle pas». (…) Montrer un adorable bébé fesses nues, assis, comme sur son pot, sur un rouleau de papier toilette relevait du scandale. (…) Un mélange de tendresse et d’audace qui fut plébiscité par les acheteurs. (…)

 

 

Bélier

Mes relations avec mon frère Jacques n'avaient rien de conflictuelles. (…) Il n'empêche que ma situation de cadet était assez inconfortable. (…) Havas devait penser les modalités de son expansion (…), je récupérais des budgets qui m'étaient attachés, des «doublons» qu'Havas ne pouvait garder et une petite société nommée Bélier. (…) J'avais constitué – ce qui était inédit – des équipes associant créatifs et psychologues ou sociologues qui travaillaient à partir de leurs observations de groupes de consommateurs régulièrement réunis à l'agence. (…) Cette démarche intéressait beaucoup nos annonceurs et nous ne sommes pas peu fiers que Lindsay Owen-Jones, avant qu'il ne devienne président de L'Oréal, soit venu assister à l'une de ces réunions pour voir la réaction des consommateurs à l'occasion du lancement du parfum Eau jeune.

 

Havas-Publicis

À l'orée des années 1980, dans tous les pays du monde, ce sont des agences américaines qui occupent la première place au hit-parade de la publicité, à l'exception de la France et du Japon. Au terme d'un «gentlemen agreement», Havas et Publicis avaient fait un pacte pour bloquer leur développement en France.

 

Liaisons dangereuses

Il y eut cette croisière d'anthologie que Robert Hersant, le patron du Figaro, avait organisée avec les annonceurs et les publicitaires, dans les années 1980. Il avait affrété un superbe bateau. (…) Départ en direction des Caraïbes, puis de la Jamaïque, dans les Antilles. À proximité de Cuba, alors que des danseurs de l'Opéra, parachutés sur le pont, donnaient une représentation rendue acrobatique par une forte houle, le capitaine avait voulu, pour tenter de stabiliser le navire, s'approcher de la côte. Un peu trop… D'un seul coup, le bateau avait été entouré de vedettes castristes menaçantes, braquant sur nous d'énormes projecteurs. Après un bref moment de tension, l'affaire fut réglée. (…) Le banquet final avait eu lieu au Mexique, avec une reconstitution de rituels aztèques par des centaines de figurants dansant face aux invités qui soupaient au milieu de la jungle. (…) Un tel spectacle, dans de telles conditions, n'avait été réalisé qu'une fois auparavant: pour la reine Élisabeth II d'Angleterre. Ce «jamais vu» suscita une vive réaction de L'Humanité qui rendit compte du «voyage des milliardaires» par une pleine page. (…) Dans la série des voyages époustouflants, il y eut aussi celui qu'avaient organisé Francis Bouygues et TF1 en Australie. Le trajet eut lieu en Concorde et Olivier Dassault, qui était de l'aventure, fit escorter un temps le supersonique par deux Mirage dont les pilotes échangèrent des saluts avec les passagers!

 

Dauzier

Alors qu'au Bélier, les décisions étaient prises en toute transparence, il ne me fallut pas longtemps pour m'apercevoir que le directoire d'Eurocom ne fonctionnait pas du tout sur le même modèle. Première différence de taille: au Bélier, les pressions politiciennes n'avaient aucun poids. (…) Or, nous sommes alors à la fin du premier septennat de François Mitterrand. En 1986 a lieu la première cohabitation (…) avec Jacques Chirac. En 1987, la privatisation de TF1 se déroule dans un certain climat de confusion. (…) Je fus même convoqué à l'Élysée pour y être interrogé par Jean-Claude Colliard, le chef de cabinet de François Mitterrand, à propos de nos intentions concernant Radio Monte-Carlo, mais aussi de la «santé» d'Havas. Sur ce dernier point, j'avais été pour le moins évasif. Ce scepticisme avait été rapporté à Pierre Dauzier, président d'Havas, qui – il n'avait pas tort! – y avait lu une défiance face à sa stratégie: un crime de lèse-majesté. (…) Un autre «incident» m'alerte. À l'époque, un groupe américain, JWT (…) traverse une période difficile. (…) Les managers américains ont alors pris contact avec [le vice-président d'Havas] Philippe Nicolas (…) Ce rapprochement représentait une formidable opportunité. (…) Mais Pierre Dauzier ne daigna même pas ouvrir le dossier. Et ce fut le britannique Martin Sorrell, aujourd'hui patron de WPP (…) qui récupéra la mise… [L'] hostilité [de Pierre Dauzier] à mon égard fut constante. (…) Le clash définitif eut lieu un peu plus tard. Rendu suspicieux par plusieurs incidents précédents, j'avais souhaité avoir quelques précisions sur les négociations avec les médias. (…) Il y avait là un système compliqué de «sur-remises». (…) Je demandais donc des précisions et, indécence absolue, des comptes… (…) Mais personne ne me répondit. (…) Je pris donc la décision, dont je n'ignorais pas les conséquences, de ne plus assister aux séances du directoire. Pierre Dauzier me demanda alors ma démission. Je la lui remis et quittai tous les postes que j'occupais au sein d'Eurocom, y compris celui de PDG de Bélier.

 

McCann

À demi-conscient, j'entends une voix (…) qui chuchote : «Ce doit être une crise cardiaque...» (…) Je revois le champ près de La Roche-Posay, en Touraine, où mon ami préhistorien Delévy m'a invité à partager une de ses découvertes archéologiques. (…) Ma passion pour la préhistoire m'avait conduit à être terrassé au moment précis où mon autre passion, celle de la publicité, était sur le point de m'amener à prendre un important virage dans l'exercice de mon métier. En effet, cette chute tombe mal, si j'ose dire: le publicitaire connu que je suis devenu (…) est en passe de rejoindre un très grand réseau mondial de publicité, le groupe américain McCann Erickson. Et son président, Bob James, doit venir spécialement de New York pour la signature du contrat, le lendemain de mon escapade avec Delévy. (…) Pendant que je tente de récupérer mes esprits sur ce lit d'hôpital, les dirigeants de McCann cherchent à me joindre pour fixer les modalités du rendez-vous prévu. (…) On leur répond que «M. Douce n'est pas là, il est actuellement avec M. Delévy». La communication n'est pas très bonne et immédiatement, ce nom, pour eux, fait tilt (…), ils pensent au président de Publicis, Maurice Lévy. Les Américains sont inquiets, pensant à une tractation parallèle. (…) Ils proposent alors de venir jusqu'à moi pour la signature du contrat. (…) Je leur raconte que je suis très absorbé par une découverte archéologique (…), mais que, pour autant, au lieu où je me trouve, je suis parfaitement en mesure de signer tous les documents requis. (…) Ils commencent par refuser puis, devant mon insistance, finissent par accepter…

 

(encadré)

Dates clés

10 octobre 1937. Naissance à Saint-Maurice (Val-de-Marne).

1957. Chef de publicité à Havas.

1971. Créateur de l'agence Bélier.
1986. Vice-PDG du directoire d'Eurocom.
1988. Président de McCann France.

1990. Membre du board mondial de McCann.

2002. Il part de la présidence de McCann France pour devenir vice-président Europe de McCann World Group.

2006. Il quitte le groupe McCann.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.