Prospective

Imaginez. Transposez-vous dans le futur, en 2051 très exactement. L'Iphone aura été remplacé par un téléphone ultrafin et enroulable, le robot assurera les tâches domestiques, la protection de la vie privée sera devenue un luxe, nous roulerons en voiture électrique, après-pétrole oblige… Difficile de savoir dès aujourd'hui ce que sera notre quotidien dans quarante ans, quels objets ou services innovants aujourd'hui le seront encore. Car une innovation de rupture ne s'impose pas toujours dans le temps… Elle consiste à socialiser des inventions technologiques et ne trouve donc sa raison d'être que lorsqu'elle entre dans les usages. Pour durer, un produit ou un service doit trouver un marché et donc «s'inscrire dans quelque chose de connu pour l'utilisateur, dans son mode de vie», estime Stéphane Hugon, sociologue à l'université Paris Descartes et cofondateur de l'institut d'études Eranos. Bienvenue, donc, dans ce futur relativement proche, esquissé avec quelques objets ou thèmes qui font déjà débat.

 

Les médias sociaux. Facebook et Twitter seront démodés par d'autres, comme ils ont supplanté My Space et Friendster. Mais, indéniablement, les médias sociaux ont créé de nouvelles formes d'interaction entre des communautés d'internautes. «Il n'y aura plus une seule transaction qui se passera d'une “socialité”», pense Stéphane Hugon. Héritage des idéalistes qui planchaient ensemble sur des logiciels libres, des médias ou projets numériques enrichis par les contributions d'internautes ont éclos, de l'encyclopédie collaborative Wikipedia au cofinancement par les internautes de projets artistiques, via des plates-formes comme My Major Company. Des réseaux sociaux temporaires, en quelque sorte, autour d'un projet, qui vont se multiplier.

 
La protection de la vie privée en ligne. C'est la face cachée des médias sociaux. Jamais on y a autant partagé d'éléments de sa vie privée – et accepté de céder l'utilisation de nos données personnelles aux entreprises. Même si on a l'impression d'être dans des espaces protégés, où l'on partage des contenus avec des cercles d'amis, tels les «cercles» de Google+. Facebook, Twitter et You Tube permettent de partager en un clic un texte ou une vidéo avec les internautes. Et de rendre publique l'info la plus intime, puis la médiatiser. Cela est vrai, pour l'instant, pour les people. Mais il est déjà possible de retransmettre en direct, de partager «ce qui se passe dans une salle de classe, dans un bureau, une chambre à coucher, un restaurant. Sans l'accord de ceux qui seront ainsi exposés. Plus personne ne sera plus à l'abri de la curiosité des autres, s'il laisse un inconnu pénétrer dans son intimité», professait en 2010 Jacques Attali sur son blog. Pour lui, la vie privée, l'intimité et l'anonymat seront un luxe qu'il faudra payer pour conserver. Déjà, des «nettoyeurs du Net» proposent leurs services payants pour purger vos traces numériques, référencées sur des moteurs de recherche comme Google.

 

Les robots. En 2051, ils seront vigiles, enseignants, spécialistes du ménage, contrôleurs dans le train, pompiers… À mille lieues des fantasmes véhiculés par Metropolis, Terminator et autres figures dantesques. «Balthazar, mon fils, aura mon âge actuel le 13 mai 2056. Il vivra dans un monde complètement différent d'aujourd'hui, entouré des robots au travail et à la maison, assisté au quotidien de machines intelligentes», raconte Bruno Bonnell, ex-patron d'Infogrames-Atari au début des années 1990, passionné de robots. Pour lui, ils entreront dans notre quotidien, d'abord avec des robots ménagers, tel Roomba, qu'il commercialise avec sa start-up Robopolis. Mais, comme il l'affirme dans Viva la robolution (Editions JC Lattès), demain, les robots «de services» vont transformer notre quotidien. Pour lui, «le robot sera au service des malades, personnes handicapées et personnes âgées, ou affectés à des tâches pénibles, comme plongeur sous-marin, permettant l'exploitation de ressources inaccessibles à l'homme.»

 

Le transhumanisme. Elle est grande et élancée, ex-athlète hors pair et mannequin pour Alexander McQueen. Au détour d'un article du Monde du 21 mai dernier, elle tient un troublant discours: «Un jour, nous aurons des membres sous garantie avec option, des prothèses au choix dans nos armoires.» Aimée Mullins, Américaine de trente-quatre ans, née sans péronés, revendique son port de prothèses. Une esquisse de l'homme augmenté du futur, alors que la robotique, l'intelligence artificielle, la sélection génétique et la bionique débarquent dans les labos. Vous voulez savoir si votre futur enfant aura un QI de 150 et les yeux bleus? Des start-up sur le Net vous proposent déjà d'analyser votre ADN, telle 23AndMe, fondée par l'épouse de Sergey Brin, cofondateur de Google. Des radicaux en rêvent déjà: les transhumanistes, qui croient dur comme fer en la capacité des technologies à améliorer l'être humain. Ils ont déjà leur Singularity University, sur le campus de la Nasa dans la Silicon Valley. «La mort est inscrite dans nos gènes, certains sont persuadés, à moyen terme, qu'il est possible d'effacer cela», explique David Angevin, coauteur du roman Google Démocratie (Editions Naïve). En Grande-Bretagne, Kevin Warwick, professeur de cybernétique à l'université de Reading, près de Londres, est devenu le premier cyborg, après s'être implanté des électrodes dans le bras reliées à son système nerveux, pour mieux comprendre les liens que pourraient à l'avenir tisser l'homme et la machine.

 

La fin du pétrole . «Il y a un consensus à ce sujet: des assureurs comme la Lloyds, le ministère de la Défense américain, Christophe de Margerie [PDG de Total] le dit dans ses discours en anglais…», explique Dalibor Frioux, auteur du récit d'anticipation politique Brut (Editions du Seuil), qui décrit un monde, en 2050, où la Norvège est le dernier pays à avoir des ressources pétrolières. Que sera une société sans pétrole? Dans sa fiction, quelques-uns ont encore les moyens de prendre l'avion. La Norvège est autosuffisante grâce à l'hydroélectricité. «Notre société est basée sur une abondance des ressources énergétiques. Il y a un aspect écologique et géopolitique: ce sera la fin d'une promesse politique fondée sur le pétrole, celle de l'abondance pour tous, du pouvoir d'achat. La société fondée sur le suréquipement va s'effondrer», prédit Dalibor Frioux. La rareté créera une société des privilèges, l'égalité et la mobilité deviendront un luxe.

 

La voiture électrique. Ce n'est plus un simple gadget pour les écologistes. Face à la disparition annoncée du pétrole, la voiture électrique s'impose déjà comme une des alternatives obligées. Renault en a fait la base de sa stratégie. Il a annoncé début septembre qu'il comptait produire entre 20 000 et 30 000 unités électriques d'ici à la fin 2012. Cet appel d'offres décroché début octobre – 15 000 Kangoo constitueraient bientôt les flottes de véhicules des pouvoirs publics, ainsi que 3 900 véhicules de PSA-Peugeot Citroën, annonçait Le Figaro – est déjà un signal fort. Tout comme le lancement test à Paris d'Autolib, le 2 octobre, premier libre-service municipal de voitures électriques. Une brèche est ouverte: loin de l'idéal du consumérisme qu'elle incarna dans l'après-guerre, la voiture va devenir un service que l'on louera, au coup par coup.

 

Les appareils nomades, «doudous» multifonctions. L'Iphone a imposé de nouveaux usages pour une génération de tablettes et smartphones, où les touches ont disparu au profit d'icônes qui permettent d'accéder à un service ou un contenu d'un effleurement de doigts. Il a aussi créé cette génération d'objets-fétiches, talismans et doudous pour adultes où la dimension utilitaire (téléphoner) devient secondaire. Le smartphone de demain sera «une petite dalle tactile et transparente», en matière souple, avec un écran pliable, prédit Yves Caseau, directeur innovation et architecture des services chez Bouygues Telecom. Côté services, il sera doté d'une intelligence artificielle et d'un système de stockage en ligne, dans la lignée de l'Icloud d'Apple. «Il me facilitera la vie en anticipant et en résolvant des problèmes pratiques, une sorte de “concierge virtuel”, comme celui lancé par l'opérateur japonais NTT Do Co Mo», résume Yves Caseau. À la fois portefeuille et trousseau de clés, avec des fonctions de paiement et d'identification sans contact, il sera aussi truffé de nanotechnologies. Grâce à ses capteurs sensibles à la physiologie de son possesseur et qui surveilleront son environnement, il jouera un rôle sur la santé, imagine le chercheur.

 
La frontière gratuit/payant dans la presse. D'ici à 2040, «les journaux traditionnels sur papier auront disparu dans le monde et seront remplacés par des supports numériques», prédisait début octobre, dans une interview à La Tribune de Genève, Francis Gurry, directeur général de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi), émanation de l'ONU. Comme dans le film Minority Report, le papier sera remplacé par de nouveaux supports, des sortes d'écrans souples et ultrafins enroulables. Ce que préfigurent les écrans Oled («Organic Light-Emitting Diodes», diodes électroluminescentes organiques), de 3 millimètres d'épaisseur. Mais la vraie ligne de fracture dans la presse sera entre le gratuit et le payant. «Dans leurs refontes, les quotidiens cherchent moins à informer, mais à mieux éclairer, et à créer l'actu», estime Patrick Béhar, associé du cabinet Bain & Company. Déjà, aujourd'hui, Twitter, les sites d'information et les quotidiens gratuits apportent de l'information immédiate gratuitement. «Dans quarante ans, l'information instantanée sera gratuite. Le scoop n'aura plus de valeur. La presse payante va chercher de plus en plus à apporter une valeur ajoutée dans l'information, se spécialiser dans des secteurs, des décryptages, de l'investigation», ajoute Laurent Colombani, Senior Manager dans le pôle médias de Bain & Company.

 

Le livre. Trônera-t-il encore comme un bel objet dans nos bibliothèques ou sera-t-il supplanté par les liseuses numériques et tablettes? Si 15 à 25% des ventes de livres se feront probablement au format numérique, 15 à 20% de la population devrait adopter en 2015 les liseuses et tablettes comme support de lecture dans les pays les plus développés dans ce domaine (États-Unis, Corée), expliquent Patrick Béhar et Laurent Colombani dans «Les Écrits à l'heure du numérique»,étude menée auprès de 3 000 lecteurs de six pays. L'autre enjeu, ce sont les nouvelles formes d'écriture qu'offrira le livre: une rédaction hybride où se mêleront sons, images, textes et vidéos, avec une couche de média social. Les encyclopédies et guides touristiques seront transposés sur des plates-formes interactives, où les informations seront remises à jour en temps réel. Déjà J.K. Rowling, auteur de la saga fantasy pour adolescents Harry Potter, s'y essaie. Sur son site Pottermore.com, ouvert en juin 2011, la série sera republiée sous forme d'e-books. Un réseau social permet à l'internaute de redécouvrir cet univers en incarnant un personnage, sous la forme d'un avatar. Au passage, ces sites permettront aux auteurs de passer outre le réseau de distribution classique des librairies. J.K. Rowling, qui n'a pas cédé ses droits numériques, se réserve ainsi l'exclusivité de la vente en ligne de ses e-books, en plusieurs langues.

 

Le bioluddisme. Ce néologisme pourrait bientôt cerner une réalité. Google Démocratie met en scène un nouveau combat, celui des «bioluddistes» opposés au tout-technologique. «Nous serons tellement submergés par les technologies qu'il y aura forcément des clivages entre pro et antitechno», explique David Angevin. Aujourd'hui, l'impact éventuel sur la santé des ondes émises par les téléphones mobiles et les réseaux Wifi est devenu le cheval de bataille d'associations comme Robins des toits. Des particuliers «électrosensibles» aux ondes, regroupés au sein de l'association Une terre pour les EHS (électrohypersensibilité), demandent la création de «zones blanches», des portions de territoire non exposées. Le 6 mai 2011, le Conseil de l'Europe adoptait une résolution en ce sens. Une première.

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