Palmarès Club des DA
Une nouvelle fois, le Club des DA regrette la trop grande rareté de l'excellence créative en France. La tendance esthétisante, notamment, n'a pas convaincu le jury de son nouveau palmarès.

Comme l’histoire de l’œuf et la poule, il est difficile de savoir qui de l’idée ou de l’exécution doit primer dans la création. Beaucoup diront qu’une bonne idée sans une belle image ne vaut rien, alors que d’autres assureront que l’idée est reine. «Il faut arrêter d’avoir recours à l’esthétisme pour cacher le fait qu’on n’a aucune idée… C’est bien trop fréquent dans la création française», tranche pour sa part Bertrand Suchet, président du Club des directeurs artistiques. Notre création serait-elle en perdition ?

«Le niveau est clairement moins bon qu’avant… Dans les films, il n’y a aucune pièce qui met tout le monde d’accord. L’excellence qu’on arrivait à atteindre une fois par an fait désormais une apparition tous les deux ou trois ans», regrette Benjamin Marchal, codirecteur de la création de TBWA Paris. Dans le palmarès 2017 du Club des DA, seuls cinq films ont été couronnés (pour deux agences), sachant que TBWA sort en moyenne 60 à 70 travaux par an et BETC, 250, pour ne citer que ces exemples…

Produire plus de contenus et plus vite

«Les publicitaires sont tellement bercés par la mode cannoise qu’on est en train d’uniformiser notre métier, ajoute le codirecteur de la création, également membre du bureau exécutif du Club. On travaille à la mode américaine avec de jolis couchers de soleil et des mamans qui sourient, alors qu’avant on était dans le débat, il y avait du contexte, on arrivait à être caustiques. Et le dernier film Intermarché n’arrange rien à l’histoire… C’est ce genre de spot qui cristallise notre métier. Tout le monde fait du bon sentiment, du Ikea... Chez TBWA aussi, d’ailleurs. Le souci, c’est qu’on ne peut pas tout chambouler avec n’importe quelle marque, notamment celles qui n’ont pas beaucoup communiqué par le passé. On préfère rester prudents.»

L’avènement du digital, qui impose aux agences de produire plus de contenus plus vite pourrait expliquer la baisse de qualité créative. «On fait du snacking vidéo, les formats vidéos sont multipliés. Sur Facebook, on s’entend dire «la musique n’a pas d’importance, les gens ne l’entendront pas», donc c’est une description en dessous de la vidéo qui définit l’idée… De même, on sait que les internautes n’attendront pas la fin des 2 minutes de film ce qui implique qu'on doit dire un maximum de choses en un minimum de temps. C’est n’importe quoi ! Et c’est ce qui explique que le fond s’édulcore au profit de l’image», explique Benjamin Marchal.

Phénomène également imputable aux clients... «Les annonceurs demandent de plus en plus de contenus digitaux (gif, boomerang, behind the scene, moving images, cinémagraphes, etc.) dans un quasi même délai et avec très peu de budget supplémentaire, tout en demandant aux agences de produire des contenus plus classiques dont ils attendent une qualité optimale. On produit de plus en plus de contenus, mais de moins en moins de bons contenus», constate Damien Bellon, directeur de création chez BETC.

Jenna Haugmard, directrice artistique chez DDB Paris, membre du jury Typographie, est moins catégorique: «Il est très difficile de cacher le manque d’idée avec juste de l’esthétisme. De très bonnes idées sans craft ont été faites sur le digital dernièrement. Notamment l’opération de BETC sur Instagram pour Addict’Aide. C’est une idée maligne avec un vrai insight.»

«Craft béni, expression bannie»

Premiers cités lorsqu’on évoque le manque de fond: les spots pour le parfum, l’alcool et surtout l’automobile, ces derniers étant d'ailleurs absents du palmarès du Club (shortlists comprises). «99% des travaux sont interchangeables entre les marques. Les agences font appel aux mêmes réalisateurs, nous avons les mêmes codes… C’est comme si on voulait éviter à tout prix les différences. BMW et Mercedes en sont de parfaits exemples: le craft est béni, l’expression est bannie. On ne parle même plus du produit, il n’y a pas de discours… Il faut que les agences de ces clients apprennent à être positivement créatives», lance Bertrand Suchet.

C’est ce que tente de faire Volkswagen, accompagnée par DDB Paris, en misant sur l’humour. «Il n’y a pas de sur-esthétisme chez eux, la création est centrée sur l’humain. La marque réussit à montrer son ADN sans pour autant montrer la voiture pendant tout le film», précise Jenna Haugmard, qui travaille sur le budget. La complexité de la conception de ces publicités, partagée par beaucoup de créatifs, est le besoin du client de montrer la voiture sous toutes ses coutures et de donner l’ensemble des détails techniques. «C’est aussi pour ça que Volkswagen est une exception, ils nous laissent de la liberté», assure la directrice artistique.

Stéphane Kaczorowski, concepteur-rédacteur chez DDB Paris, membre du jury Affichage, cite également comme exceptions les films Citroën «Vivement la route» conçus par Les Gaulois; tout comme «l'idée de Marcel sur la DS3 série limitée Inès de la Fressange, intéressante sur les deux tableaux: idée moderne et originale, et esthétique soignée» et la campagne d’affichage Nissan de TBWA G1 «Parking in not an art», avouant toutefois: «Certaines marques positionnent leur voiture comme un produit de luxe et par conséquent font de l'esthétisme leur fer de lance, mais je ne pense pas que ce soit la conséquence d'un déficit d'idée, juste d'un positionnement qu'elles pensent le mieux adapté pour parler de leur produit.»

De manière plus générale, les créatifs perçoivent l’envolée de l’esthétisme comme une conséquence des nouveaux moyens techniques à leur disposition. «Les moyens actuels permettant de rendre la moindre image esthétique et léchée sont de plus en plus accessibles. On peut faire de jolies images plus facilement… On aurait tort de s'en priver», ajoute Stéphane Kaczorowski. Qu'importe le cadeau tant qu'on a un joli emballage...

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