De Washington à la Suède de Trump –avec son attentat terroriste imaginaire–, d’Emmanuel Macron gay au pizzagate, la rumeur s'est emparée de nos espaces et cyber-espaces. La défiance vis-à-vis des médias est aujourd’hui telle que des fausses infos fantaisistes ou mal intentionnées (Ali Juppé, Farid Fillon…) deviennent presque, par la grâce de Google et des réseaux sociaux qui les mettent sur un même plan, des «faits alternatifs», selon l’expression du président américain. Les médias introduisent même, selon les spécialistes, un «biais de confirmation»: «S’il y a dix rumeurs et qu’ils n’en parlent pas, c’est qu’ils font partie du complot», a résumé Patrick Eveno, professeur à Paris 1 lors d’une réunion du Geste, le 22 avril.
Devant l’ampleur des «fake news», réseaux sociaux et groupes médias commencent à réagir. Non, un prêtre n’a pas été récemment agressé. Oui, c’est un bien un faux compte Twitter de François Fillon qui a annoncé le retrait de sa candidature. Soutenus par le Google News Lab et le réseau First Draft, 37 médias français ont créé le 28 février la plateforme collaborative Cross Check en vue de l’élection présidentielle. Le principe: «Travailler ensemble pour donner des informations authentiques», affirme le site qui invite les internautes à lui soumettre de prétendues informations. «L’idée est de mettre en commun des contenus signalés comme douteux et de les remettre dans le système de façon à ce qu’ils aient la même viralité», assure David Dieudonné, responsable News Lab de Google France.
Trier le vrai de l'info
Ce sont ainsi 250 journalistes, notamment de la presse régionale, qui peuvent partager leur connaissance des faits et leur travail de vérification. Celui-ci n’est publié sur le site Cross Check que dès lors qu’il est validé par au moins deux rédactions. C’est le même principe pour Facebook depuis le 6 février: «Lorsqu’une publication sera qualifiée de fake news par deux des organisations partenaires, elle ne sera pas censurée, mais signalée par un pictogramme, a expliqué Laurent Solly, directeur général de Facebook France. Ce contenu ne sera plus affiché en priorité et ne pourra plus être monétisé.» Huit grands médias français (AFP, France TV, France 24, BFM TV, L’Express, Le Monde, Libé et 20 Minutes) auront ainsi pour charge d’invalider les contenus dans une interface.
Ostracisme ordinaire
De leur côté, les rédactions ont développé depuis quelques années des équipes spécialisées dans la vérification des faits: les Décodeurs, donc, mais aussi Désintox (Libé), Les Observateurs (France 24), etc. Avec Décodex, Le Monde va un pas plus loin en proposant une extension de navigateur capable de certifier les pages de l’internaute. Des couleurs sont même établies pour marquer s’il s’agit de sites douteux, parodiques, avec de fausses informations ou dignes de confiance. Ce qui a conduit à de vives protestations de la part de sites ou de blogs qui refusent qu’un média s’arroge le droit d’en certifier d’autres. «On s’est fait taper dessus par tout le monde. Il y a beaucoup de colère et d’émotion qui passe par les réseaux sociaux», reconnaît Samuel Laurent, qui réfléchit à revoir ses codes couleurs et à montrer la séparation entre les faits et l’opinion qui n’est pas toujours évidente pour l’usager.
La stratégie de la mouche
Pour Samuel Laurent, du Monde, l'essentiel est donc de reconquérir de la crédibilité auprès du public. «Rumeurs, complots, infos fausses, on voit monter les gens qui les croient, assure-t-il, nous avons vu basculer une liste de militants sarkozystes vers le site Égalité et Réconciliation d'Alain Soral.» Mais comment faire? D'abord ne plus ignorer le phénomène. Mounir Mahjoubi, animateur de la campagne numérique d'Emmanuel Macron, constate que la rumeur qui parasitait le discours de son candidat s'est arrêtée net le jour où celui-ci en a parlé avec humour. Attention, prévient toutefois Pascal Froissart, maître de conférence en Sciences de l'information à Paris VIII, à bien être conscient de la technique de la mouche à l'oreille de l'éléphant dans un magasin de porcelaine. «Cela hystérise et finit par gagner plus de monde. C'est aussi, parfois, une stratégie de captage de l'attention sur des sujets parfaitement anodins qui en cachent d'autres plus dangereux...»