Dossier Digital
Big data, voitures autonomes, drones, Internet des objets, intelligence artificielle… Retour sur les sujets tendance de la Silicon Valley avec Guillaume Cabrère, CEO d’Axa Lab, cellule de veille en innovation de l’assureur français installée dans la région depuis 2014.

Quelle est selon vous LA tendance forte de 2015 en termes de marketing digital ?

Guillaume Cabrère. 2015 a signé la montée en puissance du smartphone comme outil de marketing comportemental. La start-up InVenture, par exemple, demande à ses utilisateurs de partager leurs données mobile pour obtenir un prêt. Ses algorithmes scrutent la durée des appels, les SMS ou encore les activités liés aux jeux d’argent, pour en déduire un risque pour le prêteur. Hors du secteur financier, Uber commence à capter des données du gyroscope ou de l’accéléromètre du smartphone de ses chauffeurs, afin de définir des profils de conducteurs à risque. Demain cela pourrait servir dans des cas de litiges entre passagers et chauffeurs. Ce qui s’accélère ici, c’est l’usage de la data : un grand volume de données permet d’appréhender un client dans une réalité plus riche.

 

Quid du marketing prédictif ? Vous l’utilisez chez Axa ?

G.C. Nous commençons à l’utiliser. Sur des marchés matures comme le Royaume-Uni par exemple, nous utilisons des scripts sur nos plateaux d’appel. Nos opérateurs peuvent ainsi mieux cerner la personne appelée, sa valeur client et son risque de défection et déterminer la marge de manœuvre disponible pour la convaincre. Nous aimerions développer un nouvel usage du marketing prédictif : en collectant des données sur la conduite de clients automobilistes, nous espérons pouvoir détecter les périodes où elle est la plus dangereuse, pour leur envoyer des conseils de bon sens et, in fine, éviter les accidents.

 

Que voyez-vous se profiler en termes de voitures intelligentes et autonomes ?

G.C. Aujourd’hui, tous les constructeurs travaillent sur le véhicule autonome. Certains anticipent l’étape d’après : celle de flottes autonomes partagées, probablement gérées à distance. Uber ne s’en cache pas. Des Google Car roulent déjà à Palo Alto. En Angleterre, les villes de Bristol, Greenwich et Milton Keynes ont lancé des pilotes en zone urbaine pour compléter localement le réseau de transport public. Axa participe à deux d’entre eux. L’arrivée de flottes autonomes est donc en cours. Ce qui me frappe, par ailleurs, c’est la montée du phénomène « car as a service ». Plus qu’une automobile, Tesla propose par exemple un système d’exploitation doté d’un moteur, ici électrique, avec des mises à jours régulières. L’utilisateur peut ainsi facilement transformer sa Tesla traditionnelle en semi-autonome. Par ailleurs, ce système semi-autonome est apprenant : après plusieurs passages sur une même ornière, une Tesla va savoir ajuster la hauteur du châssis pour un meilleur confort. Avec l’expérience, le tandem humain-machine fait des prouesses : il atteint des niveaux de service et d’intelligence supérieurs.

 

Pour les drones, le boom a déjà commencé. Qu’est-ce qui se profile ?

G.C. À date, plus de 300 000 drones de loisirs ont été enregistrés auprès du contrôle aérien américain. Cela montre l’ampleur du phénomène pour le sport loisir désormais encadré par une loi de 2015. L’utilisation professionnelle le sera à partir de mars 2016. Les autorités commencent à s’équiper de forces spéciales capables de piloter et d’intercepter des drones. C’est une tendance lourde où l’assurance a été en pointe en 2015 : dix assureurs américains ont pu, par dérogation, utiliser des drones pour évaluer les dommages subis lors d’intempéries par des exploitations agricoles.

 

La livraison par drone suivra-t-elle rapidement ?

G.C. Elle arrivera, mais pas si vite qu’on le dit. Il s’agit en effet de transport d’objets parfois lourds, en zone urbaine et par des flottes probablement importantes. La négociation avec le régulateur va donc être serrée. La prochaine étape, selon moi, c’est plutôt le transport humain par drone pour désengorger le trafic. Le chinois Ehang a présenté un drone pour passager unique. Mais ce qui pourrait se développer en premier - et il y a des projets dans les cartons qui pourraient aboutir à l’horizon 2020 - c’est de faire voler l’équivalent de minibus par drone, sur des trajets très balisés, type navettes aéroport-centre ville.

 

Le décollage de l’internet des objets est annoncé pour 2016. Vous y croyez ?

G.C. Il existe encore un problème de maturité sur ce marché. Les offres utiles, qui ont du sens et représentent une vraie valeur ajoutée pour l’utilisateur, font défaut. Exemple avec les wearables, ces accessoires connectés qui suivent au choix mon rythme cardiaque, les calories dépensées, mon sommeil etc. Ce marché est déjà saturé et le taux d’abandon est assez fort, car il manque encore une forme d’aide à l’interprétation de ces données, pour que leur collecte apporte un « plus » dans notre quotidien. Hors des accessoires connectés, on voit toutefois qu’Amazon tente de démocratiser un type d’utilisation familial, avec Amazon Echo, une sorte de super-Siri permettant à la fois de gérer des interactions avec sa maison et d’obtenir diverses informations sur la météo, le trafic ou l’actualité. Il est trop tôt pour savoir s’ils vont réussir, mais Amazon Echo a été le produit de plus de 10 dollars le plus vendu sur Amazon.com lors du dernier Black Friday.

 

Et la santé connectée, où en est-on ?

G.C. Les investissements dans ce domaine s’intensifient de la part d’acteurs non traditionnels. Le fonds VC Google Venture par exemple consacre plus d’un tiers de ses efforts aux start-up de digital health. Verily (l’ex division « santé » du laboratoire Google X), travaille sur des devices qui monitorent l’état de santé de patients souffrant de maladies chroniques. Leur première offre est une lentille de contact qui mesure en continu le taux de glucose chez les diabétiques.

Leur philosophie consiste à créer des produits accessibles à tous, pas seulement aux pays développés. Via le monitoring, ils souhaitent aussi passer d’une médecine curative à une médecine préventive, en promettant d’énormes économies dans les systèmes de soin. Google envisage d’ailleurs de se faire rémunérer sur un pourcentage des économies ainsi réalisées. Ce qui augure d’une révolution de même nature et ampleur, dans la santé, que celle qu’ils ont provoqué avec la facturation à la performance pour la publicité en ligne, avec Ad Words.

 

Ces développements ne posent-t-ils pas une vraie question de cybersécurité ?

  G.C. Si. En 2015, 79 millions d’Américains se sont fait voler des informations personnelles lors du hack de Anthem, le 2ème assureur santé aux USA. En parallèle, l’Internet des objets accroît le nombre de point d’entrées et donc de failles possibles pour la sécurité. Je fais partie de ceux qui pensent que si l’on poursuit leur développement sans donner plus de poids à la sécurité, on s’expose à des problèmes à grande échelle. Au minimum, un rejet des consommateurs, mais cela peut avoir des effets bien plus néfastes en termes de sécurité individuelle, collective, voire de défense.

 

Et l’intelligence artificielle ?

G.C. C’est LE buzzword du moment. Bien sûr, il y a l’épisode récent de ce joueur de go, un jeu exponentiellement plus complexe que les échecs, battu pour la première fois par une intelligence artificielle. Nous avons donc franchi une étape en termes d’abstraction, d’anticipation et d’apprentissage. Nous avons dix ans d’avance sur ce qui était attendu. Mais pour quoi faire ? Ce pourrait annoncer l’arrivée de supers-assistants type Siri, comme « l’interface intelligente » Viv qui est encore en bêta. En dehors de cela, il n’est pas encore évident d’en voir les applications marketing.

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