Art contemporain
Hyper-connecté, mais plus seul que jamais ? L'exposition «Co-workers, le réseau comme artiste», en cours au musée d'Art moderne de la ville de Paris, tente de répondre à cette question. Visite guidée.

Sur internet, les photographies ne vieillissent pas. Ni jaunissement, ni moisissure. Le temps n’a pas d’effet car tout y est précisément dématérialisé. C’est ce non-phénomène que questionne l’artiste française Aude Pariset dans Last Spring/Summer. Le principe est de collecter des images sur le web, de les imprimer sur des rouleaux de papier, puis de les plonger dans un mélange d’eau, de sel et de chlore. Les photos subissent alors une altération progressive durant trois semaines, avant d’être retirées puis accrochées à un dispositif de séchage. 

Cette œuvre poétique, qui réintroduit le concept de temps dans la forme numérique, prend place au sein de l’exposition «Co-workers, le réseau comme artiste» (1), organisée et mise en scène par le collectif new-yorkais DIS, fondé en 2010. Une sélection d’artistes contemporains très divers mais qui partagent un propos similaire: interroger la société contemporaine hyper-connectée. «La plupart sont nés dans les années 80. Ils appartiennent à la génération qui a grandi avec les réseaux sociaux et les smartphones», commente Jessica Castex, co-commissaire de l’exposition. «Ils posent un même regard ironique sur l’univers digital, sa culture et ses codes. Sans forcément rentrer dans une critique frontale.»

«Individualisme connecté»

La scénographie de l’exposition n’est pas sans rappeler les espaces de co-working. Ces lieux de travail partagés en vogue, propres et froids, où l’individu, rivé sur son ordinateur portable, est à la fois indépendant et relié à des réseaux multiples. On pense aux Apple Stores, ou aux cafés Starbucks. Ainsi, les œuvres cohabitent mais ne communiquent pas forcément les unes avec les autres. Une organisation caractéristique de ce que le sociologue Barry Wellman appelle «l’individualisme connecté». Cette métaphore fonctionne en fil rouge tout au long du parcours d’exposition. «À la manière des plateformes d’agrégation de contenus, c’est aussi un espace de flux où les objets, les images, l’information circulent», interprète Jessica Castex.

Si chaque œuvre peut contenir un clin d’œil à internet, on est pourtant loin du mouvement net-art qui sévissait dans les années 1990 et 2000 et des œuvres numériques. Les références au réseau prennent corps dans le monde physique à travers différents médiums: performances, installations, sculptures, peinture, vidéos ou encore photographies. Le visiteur est par exemple accueilli par un spot de présentation qui parodie les vidéos dites d’ASMR (autonomous sensory meridian response), sortes de massages cérébraux sonores qui foisonnent sur You Tube. «Les artistes chuchottent pour mieux se faire entendre», sourit Jessica Castex.

Sponsoring

L’installation phare de l'exposition, intitulée The Island (KEN), pensée par le collectif DIS, a été conçue et produite en coopération avec Dornbracht, marque allemande de robinetterie. Cette sculpture monumentale qui combine avec beaucoup d’ironie une cuisine et une salle de bain est munie d'une «douche horizontale» qui permet de faire la cuisine tout en se lavant. The Island (KEN) fait référence aux objets connectés toujours plus innovants... et parfois absurdes. «Ce produit hybride remet en question les modèles acquis de logique et d'application et vient immanquablement titiller les habitudes visuelles du public», explique Dornbracht sur son site internet

Dans cet esprit, plusieurs travaux sont à mi-chemin entre l’œuvre d’art et le produit de consommation. «Cette génération de créateurs n’hésitent pas à lier des partenariats de sponsoring avec de grandes marques, pour financer un projet. Ils utilisent les codes du marketing et de la publicité, tout en les questionnant et les détournant.» D’ailleurs, les visiteurs se voient proposer d'acheter à la fin du parcours des objets, des t-shirt et autres goodies.

Malaise

Si l'ambiance générale de l'exposition est plutôt ludique voire humoristique, certains travaux, au contraire, évoquent un certain malaise face aux dangers du digital. À l’image de l’œuvre «claustrophobique» de David Douard intitulée We’ve Ne’er Gotten. Cette image, prélevée sur Google, dépeint un adolescent en souffrance encastré dans des caissons lumineux évoquant l’écran d'ordinateur ou l’affichage publicitaire urbain. «L’installation matérialise le malaise intérieur d’un être à la fois hyper-connecté et replié sur lui-même», révèle la notice de l’œuvre. Comme sur le web, la confrontation entre les images divertissantes et celles plus graves forment un contraste violent.

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