C2 Montréal
Le C2 Montréal, c’est la rencontre de Davos et de Burning Man, une conférence à nulle autre pareille imaginée par l’agence Sid Lee et le Cirque du Soleil. Visite de cette fabrique à inspiration et rencontres d’affaires.

«Aujourd’hui, je serai… une rencontre, une ­erreur, une possibilité.» Ces quelques mots sont affichés dans une immense entrée dont les murs sont recouverts de vieilles portes en bois. Bienvenue à Montréal, au C2, une conférence d’affaires associant commerce et créativité, imaginée par deux fleurons québécois : l’agence de communication Sid Lee et le Cirque du Soleil, partenaire fondateur. Sur les rives du Saint-Laurent, la journée s’annonce ensoleillée, mais sous l’imposant hangar où s’engouffrent les visiteurs, c’est la pénombre. Des spots rouges et bleus éclairent des échafaudages, des sculptures, des bars et de larges tables d’hôtes, sur fond de musique ­techno omniprésente. Une ambiance de boîte de nuit pour près de 5 000 professionnels en quête de croissance et de pratiques d’affaires innovantes.


L’édition 2015 a pour thème le choix. Choix des entreprises, du consommateur, du citoyen… tous peuvent construire plutôt que subir le monde de demain. Pour l’heure, le premier choix qui s’impose concerne le très riche programme de l’événement. Le C2 affiche pas moins d’une centaine d’activités sur trois jours : conférences, classes de maître, labs créatifs, soirées festives, expériences culinaires…. En ce mardi 26 mai, les visiteurs peuvent opter pour un atelier sur le client de demain, s’installer au forum où un groupe de rock annonce la conférence sur les objets connectés de David Rose, chercheur au Tangible Media Lab du MIT. Ou découvrir de jeunes entrepreneurs présentant leur start-up sous un chapiteau, dans un espace inspiré des fêtes foraines avec ses buvettes, sa grande roue mais aussi un garage, lieu mythique et fondateur des entreprises de la Silicon Valley. «Dès l’origine, nous avons cherché à réinventer le modèle de la conférence d’affaires, à la sortir des hôtels pour la faire entrer dans le XXIe siècle, raconte le président du C2, ­Richard St-Pierre. Ici, les visiteurs sont avant tout des participants, en ­recherche d’inspiration et de contacts commerciaux.» L’événement s’est d’ailleurs doté d’un «directeur de l’expérience» en la personne d’Antoine Roy-Larouche. Il s’articule autour de quatre piliers : inspiration, expérimentation, connexion et célébration. Retour sur les temps forts de l’édition 2015.

 

 

INSPIRATION

Interviewés sur le mode de la conversation intime, ou seuls sur scène, maniant leur Power Point, les intervenants du C2 ont pour mission d’inspirer. Les têtes d’affiche soutiennent, en général, de grandes causes, d’Andre Agassi à Chelsea Clinton. L’ancien champion de tennis, ­aujourd’hui philanthrope, œuvre pour la transformation du système éducatif américain en finançant des écoles alternatives pour enfants défavorisés. La fille de Bill Clinton, jeune maman comblée, épaule son père au sein de la fondation humanitaire qu’il a créée, mais aussi sa mère. Au C2, son sujet d’intervention, la place des femmes dans une société encore très inégalitaire, est un soutien à peine déguisé, à l’ambition d’Hillary Clinton : devenir la première présidente des Etats-Unis. D’autres soutiennent leur marque de la tête aux pieds, comme Carolyn Everson. La vice-présidente des solutions marketing de Facebook n’hésite pas à faire du réseau social un sauveur planétaire se mobilisant pour aider, avec succès, les populations au Népal ou au Japon. «Etre connecté est un droit humain et notre mission est de bâtir un monde plus ouvert et connecté», lance-t-elle, vêtue d’une robe bleue aux couleurs de la marque.


Bertrand Piccard, lui, n’a pas besoin d’en rajouter. à l’applaudimètre, c’est lui qui l’emporte de loin sur tous les ­intervenants du C2. La salle de 1 700 places, archibondée, est conquise par les exploits du créateur de Solar Impulse, le premier avion à énergie solaire capable de voler jour et nuit sans carburant. Intervenant en direct de Chongqing, en Chine, où son engin est bloqué par la météo, le «savanturier» est revenu sur son objectif : prouver l’efficacité des nouvelles technologies propres pour sauvegarder les ressources naturelles de la planète. Pour lui, l’esprit de pionnier consiste, avant tout, à se débarrasser des certitudes et habitudes qui nous retiennent prisonniers de vieilles façons de penser et d’agir. «Trop de gens ont peur du changement. Faire évoluer les mentalités est un grand défi, plus grand que de construire un avion à énergie solaire, mais sortir de sa zone de confort est très stimulant et les solutions existent.» Applaudissements.


Morten Albaek, l’orateur qui lui succède, ne mise pas sur l’énergie solaire mais sur le vent. Vice-président en charge du marketing de Vestas, groupe danois spécialisé dans les éoliennes, il parle de mort et du sens de la vie avant de présenter son projet Wind for Prosperity : l’installation d’éoliennes dans les pays pauvres. «Vous ­ouvrez de nouveaux marchés en combattant la pauvreté sans émission de CO2. Voilà le capitalisme humaniste que j’appelle de mes vœux.» Créateur de WindMade, la première étiquette pour produits de consommation approuvée par les ­Nations unies, il lance aujourd’hui Voluntas, une société qui investit et conseille des entreprises dont l’ambition est d’avoir un impact social positif. A qui le tour ? Après l’aventurier et l’homme d’affaires éclairé, Leilani Münter a tout pour rendre le développement durable désirable. Militante écolo, cette charmante pilote de course a transformé sa voiture 100 % électrique en panneau d’affichage pour promouvoir le respect de l’environnement. Et comme Bertrand Piccard, elle a dû combattre un milieu conservateur et particulièrement polluant pour faire avancer ses idées.


Sur trois jours, les intervenants vont ainsi défiler sur la scène du forum. Les découvertes sont nombreuses. Qui connaît Ayah Bdeir ? Cette ­Montréalaise d’origine libanaise se positionne comme leader du mouvement des logiciels open source. Sa société littleBits, basée à New York, propose une bibliothèque de modules électroniques colorés qui s’emboîtent comme des aimants pour créer une foule d’objets. «J’ai voulu mettre la puissance de l’électronique dans les mains de tous, décentraliser le pouvoir pour libérer la créativité, transformer les consommateurs en acteurs pour qu’ils fassent partie du changement.» L’imagination au pouvoir.

 

 

EXPERIMENTATION

Comment aider les hommes à ­exprimer leurs émotions ? Comment pousser les fans de musique à s’engager pour des œuvres de charité ? Les questions sont posées à des participants assis sur des chaises rose fluo suspendues dans les airs, à cinq mètres du sol, au-dessus d’un filet. Elles sont en lien avec des sujets développés par ailleurs dans les conférences. Comme celle d’Adam Garone, fondateur de Movember, une importante organisation internationale dont l’objectif est de changer le visage de la santé masculine en luttant contre le cancer du pancréas ou des testicules.


D’autres séances de brainstorming sont au programme : ­discussion dans un brouillard opaque ou échange entre participants munis d’un casque de réalité virtuelle. «L’objectif est d’aider les visiteurs à penser autrement, hors des cadres de référence, commente Antoine Roy-Larouche. Faire un choix, c’est prendre un risque, gérer l’incertitude et l’instabilité du changement. De ces situations inhabituelles peuvent naître des idées inattendues.» Ces animations sont autant d’occasion de brasser des idées, de faire des rencontres et d’inciter à l’action. Les échanges sont aussi nombreux dans les ateliers où les visiteurs glanent des conseils pratiques pour innover.


Dans un «studio conversation» sur le client de demain, Gaëtan Namouric, un créatif canadien venu d’agence, aujourd’hui consultant indépendant, interpelle son auditoire. «Combien de couleurs possède l’arc-en-ciel ? Sept ? Non, des milliers. Et combien de Québécois sont interrogés pour connaître la perception de sept millions d’individus ? Environ 400. La réalité est complexe alors nous simplifions, quitte à laisser de côté bien des richesses. Mieux vaut toutefois partir de cas singuliers pour procéder par induction. Fuyez la pensée par déduction. Arrêtez de planifier, embrassez le flou, acceptez que tout change tout le temps, offrez-vous des moments à ne rien faire, marchez. Il faut un espace de liberté pour créer. Et demandez-vous quel est l’idéal de votre entreprise avant de l’incarner. Philips par exemple faisait des ampoules avant de se positionner comme spécialiste de la santé et du bien-être. C’est ainsi qu’il a pu développer un tout nouveau champ commercial.» A bon entendeur…

 

 

CONNEXION

Thierry Loriot, consultant français en innovation, ne regrette pas d’avoir déboursé 3 800 dollars, hors billet d’avion, logement et repas, pour participer au C2. ­Malgré des speakers «de niveau inégal», ce spécialiste de la santé a été conquis par la qualité des ateliers et les relations d’affaires qu’il a pu nouer. Il faut dire que le «networking» est l’un des points forts de l’événement. Les organisateurs se sont inspirés des sites de rencontres amoureuses pour favoriser des «deals», aidés par la start-up E-180, à l’origine d’un hub, plateforme de mise en relation où les participants se connectent avant la conférence pour faire des offres de service et des demandes de compétence. Un algorithme recommande alors une série de rencontres. Des rendez-vous sont pris sur place, certains dans… la grande roue qui propose deux tours pour conclure une affaire. L’événement est aussi l’occasion de tester sur place de nouvelles expériences, comme l’application Brain Date. Lancée cette année par E-180, elle permet, à la manière de Tinder, de détecter des contacts intéressants, autour de soi, sur le lieu de l’événement. «Le C2 est pour nous un lieu d’expérimentation», explique Jean-François Bouchard, le président de Sid Lee.


Un atout indiscutable pour cette agence positionnée sur ­l’innovation. Et une aubaine pour les affaires. En 2014, 23% des entreprises inscrites ont fait un deal, précise Richard ­St-Pierre. Ce qui représente des contrats d’une valeur de 105 millions de dollars et 1 033 emplois nouveaux au Québec. » Les ­retombées touristiques du C2, qui attire des cadres dirigeants venus de 29 pays dont 40% d’Américains, ont également été chiffrées : 1,1 million de dollars en 2014. Un retour positif pour un événement créé dès l’origine pour ­favoriser le rayonnement du Canada et son dynamisme ­économique. Enfin, bonne nouvelle, le C2 part à la conquête du monde. Des versions réduites d’une journée, baptisées C2 Spark, se sont déjà tenues dans plusieurs grandes villes ­d’Europe. «D’ici à deux ans, nous souhaitons déployer quatre événements de la taille du C2 de Montréal en Asie et en ­Europe, avec une préférence pour Paris», annonce ­Richard St-Pierre. La fête, c’est du sérieux.

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